Sophie Malacord, costumière et modiste: « Dans mon métier, il faut savoir mettre son ego entre parenthèses »

© Justin Paquay
Isabelle Willot

Après des études de stylisme à Château Massart, à Liège, Sophie Malacord (38 ans) enchaîne aujourd’hui les commandes comme costumière dans les productions des Galeries et du Théâtre Royal du Parc. Cet été, ce sont ses créations féeriques mêlées à celles de l’artiste Thierry Bosquet que l’on découvrira dans les ruines de l’Abbaye de Villers-la-Ville où se monte La Belle et la Bête.

Créer, dit-elle

Je suis une fille des beaux-arts. Toute petite déjà, j’ai été attirée par toutes les formes d’art. La peinture, la sculpture mais aussi la danse et la musique. Tout naturellement, j’ai fait des humanités artistiques à l’Académie royale de Liège. J’ai même étudié l’histoire de l’art un an à l’université. C’était une expérience incroyable que je ne regrette pas. Mais cela m’a permis de me rendre compte que j’avais besoin de créer. C’est ce qui m’a décidée à m’inscrire en stylisme à Château Massart.

Sculpter le corps

Le vêtement est une forme de sculpture sociale. Je veux dire par là que l’habit va sculpter le corps, il sera le reflet d’une époque et souvent même de la classe sociale de celui ou de celle qui le porte. C’est mon amour de la sculpture qui m’a poussée vers le stylisme. Mais je me suis vite rendu compte que dans la vraie vie, les gens manquaient souvent d’audace. Comme modiste, il n’y avait pas de défi à reproduire cinquante fois le même Borsalino. Dans le costume de théâtre en revanche, je m’éclate car chaque spectacle est un challenge. Même quand je pars de pièces existant déjà dans les réserves, c’est toujours un défi: il faut trouver ou créer la tenue parfaite pour tous les personnages, même celui qui n’a que quelques lignes à dire.

Que tout soit parfait

Le costume parfait, c’est celui dans lequel le comédien se sent bien. L’un des plus beaux compliments qu’un acteur ou une actrice puisse me faire, c’est de me dire qu’un de mes costumes est le plus beau qu’il ou elle ait jamais porté. J’aime que tout soit parfait. Repérer lors des dernières répétitions le petit ourlet qui n’a pas été fait, la chemise mal rentrée dans le pantalon. Même si parfois, je les réprimande, j’adore chouchouter les comédiens, m’assurer que mes costumes les aident à entrer dans leur personnage.

Lâcher prise

Se déguiser, c’est oser lâcher prise. J’ai toujours aimé cela, même petite. Avec mon frère, on enfilait les vêtements de nos parents pour improviser des sketchs. Aujourd’hui encore, je suis la première à organiser des soirées à thème. Cela convoque une part d’insouciance. J’avoue, je rêve un jour de revêtir l’une des robes en velours à manches gigots et serties de bijoux que je crée pour les spectacles d’époque. Je ne l’ai encore jamais fait.

‘Dans un monde idéal, il n’y aurait pas de deadlines.’

Savoir-faire

Le savoir-faire des artisans est en passe de disparaître. Et cela m’inquiète. Je le vois bien dans mon activité de modiste. Il ne reste plus que deux personnes en France qui façonnent encore des moules à chapeau à la main. Tout s’industrialise. On préfère acheter plus, même si c’est mal fait.

Statut d’artiste

Le milieu d’où l’on vient ne devrait pas nous définir. Je ne viens pas d’un milieu favorisé et je n’ai pas eu une enfance toujours facile. Mais c’est sans doute ce qui m’a donné envie de me surpasser. Je refusais de me dire que parce que je n’avais pas eu toutes les cartes en main dès le départ, je devais renoncer à mon envie de devenir styliste. Pour moi, il fallait que je m’en sorte, je n’avais pas d’autre choix. Et c’est ce qui s’est passé. Je me suis fait un nom dans le métier, j’ai le statut d’artiste, je dois même parfois refuser des projets.

Canaliser le stress

Dans un monde idéal, il n’y aurait pas de deadlines. Surtout si, comme moi, vous êtes perfectionniste! On voudrait toujours un mois de plus. Il faut bien l’avouer, c’est souvent la course contre la montre. Dans l’action, j’arrive plutôt bien à canaliser mon stress, à ne pas le laisser paraître. Même si j’admire les gens qui parviennent à rester zen en toutes circonstances.

Pole dance ou soudure

Avoir le sens du collectif, cela vous permet de grandir. Et d’apprendre tous les jours. C’est important pour moi de toujours découvrir de nouvelles choses, que ce soit la pole dance ou la soudure! Dans mon métier, il faut savoir mettre son ego entre parenthèses. Je suis au service d’un projet, de la vision d’un metteur en scène. Bien sûr, j’adore créer des costumes fabuleux, comme ceux sur lesquels je travaille en ce moment pour La Belle et la Bête. Mais finalement, on peut avoir la meilleure idée du monde, il faut que ça fonctionne sur scène. Parfois, quelques jours avant la première, on se rend compte qu’il y a quelque chose qui cloche. Plutôt que de m’obstiner, je préfère rebondir et proposer des solutions.

La Belle et la Bête, à partir du 10 juillet à l’Abbaye de Villers-la-Ville.

deldiffusion.be

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