Un tête à tête exclusif entre la chanteuse Sylvie Kreusch et le styliste Tom Eerebout

Sylvie Kreusch et Tom Eerebouts
Sylvie Kreusch et Tom Eerebouts © Alexander Popelier

Meilleurs amis, l’artiste Sylvie Kreusch et le styliste Tom Eerebout se retrouvent pour la première fois ensemble, pour Le Vif Weekend, en interview et devant l’objectif. Confidences.

«Les gens nous demandent souvent si nous sommes frère et sœur. Surtout en soirées.» «Ou quand nous nous roulons une pelle.» Le ton est donné. A l’occasion d’un shooting exclusif, nous avons réuni l’artiste Sylvie Kreusch et le styliste Tom Eerebout, deux meilleurs amis qui aiment aussi travailler ensemble. «Nous avons tous les deux un côté très extraverti, et un autre très introverti. Nous parlons peu et sommes réservés, même au milieu d’un groupe de potes. Quelqu’un qui ne nous connaît pas pourrait nous trouver asociaux ou arrogants, alors que nous sommes simplement plongés dans nos pensées.»

Leurs C.V. aussi ont des points communs: ils sortent tous les deux d’humanités artistiques. Toujours prêts à faire la fête, ces adeptes de l’école buissonnière sont néanmoins des modèles de réussite professionnelle. A l’intersection entre la mode et la musique, lui est styliste pour des pop stars et elle manie l’art… de surprendre.

‘En dehors de la scène, je préfère ne pas me faire remarquer. Je ne suis absolument pas les tendances en matière de mode. Je veux être intemporelle à ma façon.’ Sylvie Kreusch

Montbray, le carrefour de leur amitié

Montbray, petit village normand planté au milieu de nulle part. Il y a cinq ans, Tom y achète une ferme du XVIe siècle. Un lieu déconnecté où il échappe à sa vie trépidante de styliste de people et où il se rend avec des amis, dont Sylvie. Ils y passent ensemble l’essentiel de la période Covid. «On était partis pour deux semaines, mais on est restés trois mois.» C’est là que Sylvie écrit son disque solo. Malgré le succès de ses albums précédents, Montbray lui offre une percée auprès d’un public plus large et lui permet de remplir son agenda de festivals d’été.

«C’est ainsi que j’ai intitulé l’album, car il est vraiment représentatif de ce lieu. De plus, ce nom signifie «colline humide», ce qui est à la fois triste et sexuel, deux éléments que j’aime associer, précise Sylvie. Cet été-là, l’atmosphère était unique. Nous vivions comme une sorte de communauté. En journée, chacun faisait son truc, dans mon cas, c’était composer. Le soir, on se retrouvait autour du feu de camp, on dansait et on jetait des petits mots dans les flammes en guise de rituel. On y inscrivait les choses qu’on voulait laisser derrière nous et les objectifs à atteindre. Cette atmosphère libre et optimiste est vraiment perceptible dans le disque.»

Ni hiérarchie ni égo

Tom lâche un clin d’œil et plaisante: «Les champis dans le champ, ce genre de «vibe».» Alors que pour Sylvie, la période de pandémie est hyper productive, Tom se retrouve sans boulot. Le showbiz à l’arrêt, il ne peut pas se rendre aux Etats-Unis où il bosse régulièrement.

«Je reconnais que c’était très pratique pour moi, confie Sylvie, parce que je devais faire beaucoup de clips vidéo, et Tom avait plus de temps que jamais.» «J’ai adoré faire ça, embraie-t-il. J’ai longtemps travaillé presque exclusivement pour une seule personne. Et malgré les défis que cette activité comporte, à la longue, une routine s’installe, ça devient une «petite usine». J’ai profité des confinements pour faire d’autres choses. Avec Sylvie, quand nous créons ensemble, il y a plus d’aventure. Sur le tournage du clip Wild Love, nous nous sommes presque noyés ensemble dans la mer du Nord.»

Leur collaboration ne se base absolument pas sur la hiérarchie ou sur l’ego. «Si j’ai le budget, je paie Tom, dit-elle. Mais je n’ai pas l’impression qu’il travaille pour moi. Et comme on se connaît tellement bien, je n’ai presque jamais besoin d’expliquer les choses. Il comprend tout de suite ce que je veux. Bien sûr, nous ne sommes pas toujours d’accord, mais alors, après, on va boire des bières ensemble.»

Tom Eerebout et Sylvie Kreusch. Copyright : Alexander Popelier © Alexander Popelier

La mode, le trait d’union entre leurs métiers

Le terme «artiste» définit le mieux le métier de Sylvie. Avec son image puissante, «chanteuse» ou «musicienne» ne suffit pas. Ses chansons ne sont que le point de départ d’un tout. Ses clips, concerts, pochettes de disques, tenues et shootings photo relèvent d’une atmosphère filmique cohérente. Cela nous rappelle ce que l’Irlandaise Roísín Murphy nous confiait il y a quelques années: «Je pense en tant que plasticienne, pas en tant que chanteuse.» Sylvie acquiesce.

«Je ne me qualifie jamais de chanteuse, car je ne suis pas compétente sur le plan technique. Et comme je ne maîtrise aucun instrument, je préfère ne pas dire que je suis musicienne. Je sais faire un peu de tout. Pour moi, c’est l’ensemble qui compte. Une belle chanson avec une vidéo moche, ça nuit au morceau. La musique est quelque chose de très visuel. En composant, je vois les images qui vont avec.» Tom, lui, traduit ces images en looks concrets. Il emprunte aussi des pièces aux maisons de mode pour les shootings, les clips ou des événements.

Le rôle des vêtements

Pour la scène, Sylvie préfère généralement faire confectionner des vêtements. Tom la met alors en contact avec les bonnes personnes. Comme Elke Hoste, qui a réalisé la silhouette scintillante dans laquelle elle a enflammé le Roma en décembre dernier. «En live, je dois pouvoir bouger librement, avec des tenues résistantes. Comme on voyage en continu, on a peu de temps pour tout laver. En plus, on se dépense peu et on mange mal, donc le crop top n’est pas une option», rit-elle.

Quand on voit Sylvie sur scène, on ne peut que constater qu’elle est née pour ça. Le trac ne semble pas faire partie de son vocabulaire. Et la tenue est un compagnon précieux, voire crucial. «Ma performance dépend vraiment de ce que je porte. Je dois être fière qu’un si grand nombre de gens me regardent. J’aime la scène parce que c’est un lieu où il n’y a pas de règles. Tout est possible. Mais j’y joue un rôle. Un concert, c’est comme une pièce de théâtre, et mon look est mon masque.»

Courtisée par les marques

Malgré l’importance que l’artiste accorde au style et à l’image, elle entretient, dit-elle, une relation d’amour-haine avec l’univers de la mode. «Il y a quelque temps, j’ai eu la chance de me retrouver au premier rang d’un défilé de haute couture de Valentino. C’était très cool, parce que plusieurs de mes idoles musicales y étaient, notamment FKA Twigs. Il faut néanmoins se plier aux lois de ce monde fou: faire comme si on était une mégastar et prendre la pose devant tout le monde. C’est amusant, mais je ne ferais pas ça toutes les semaines. En dehors de la scène, je préfère ne pas me faire remarquer. Je ne suis absolument pas les tendances en matière de mode. Je veux être intemporelle à ma façon.»

Bien que la trentenaire n’appartienne pas à ce milieu-là, celui-ci raffole de sa musique et de sa personnalité. La marque française de chaussures Roger Vivier lui a proposé d’être l’égérie de sa campagne. Elle a chanté sur le catwalk d’Ann Demeulemeester, performé pour Delvaux et fait de la musique pour des défilés de Prada et de Victoria’s Secret.

Pendant la crise sanitaire, le créateur Olivier Theyskens lui a demandé de réaliser une vidéo de présentation de sa dernière collection pour Azzaro. Le metteur en scène s’appelait alors Lukas Dhont, et le styliste… Tom Eerebout.

Tom Eerebout et Sylvie Kreusch. Copyright : Alexander Popelier

Fanklub, la genèse

Le monde de la mode est le fil rouge de leur amitié. C’est dans cet univers que Tom et Sylvie se sont connus. «J’avais 18 ans, elle en avait 15, et nous allions aux mêmes soirées à Anvers. Je me souviens qu’elle m’a dit un soir qu’elle avait posté une petite chanson sur MySpace. Ça m’a fasciné, notamment parce qu’elle avait un air détaché, sans prétention.»

C’était un morceau du groupe Fell Floor Kitchen, le prédécesseur de Soldier’s Heart, avec lequel elle a remporté un concours de Studio Brussel des années plus tard. Les soirées underground où ils se voyaient s’appelaient Fanklub. C’était un creuset de créatifs, de queers et de coke. Mais aussi un vivier de talents, nuance Sylvie. «Beaucoup de nos amis de soirées de cette époque-là sont devenus de grands noms de la mode, comme Demna Gvasalia, Glenn Martens, Tom Van Dorpe et Louis Ghewy.»

«C’est gai de les revoir maintenant dans le cadre de mon travail, ajoute Tom. Je ne veux pas qu’on me qualifie d’ambassadeur de la mode belge, mais pour mes clients internationaux, je choisis souvent du belge. Simplement parce qu’il y a tellement de gens talentueux ici. Il règne aussi un sentiment de groupe parmi les Belges. Nous nous aidons et nous nous soutenons.»

Tom Eerebout et Sylvie Kreusch. Copyright : Alexander Popelier © Alexander Popelier

Plus qu’une fête, c’était une scène, un style de vie, dit Tom. «A Bredene, où j’ai grandi, j’étais un misfit (NDLR: un marginal). J’avais des amis, mais je me sentais différent. Lors des soirées Fanklub, j’étais entouré de gens comme moi. Tous les misfits s’y trouvaient. L’apparence était capitale. Avant une soirée, mes amis et moi passions des heures à confectionner nos silhouettes. Je compare souvent cet esprit à la Factory d’Andy Warhol. C’était très inspirant et libre, mais aussi très dur. Il y avait un petit côté sombre, avec de la malveillance.»

Sylvie tempère: «Pourtant, c’est surtout l’atmosphère créative positive que je garde en mémoire. J’avais un âge où l’appartenance comptait énormément. Je m’efforçais de me faire remarquer. Comme tout le monde, je réalisais mes tenues moi-même, par manque d’argent, mais avec le recul, je me dis que cela a vraiment stimulé ma créativité. Cette période bouillonnante m’inspire aujourd’hui encore.»

Anvers, la ville du rapprochement

Bien qu’ils se connaissent depuis 2006, leur amitié ne débute vraiment qu’en 2019, année où ils s’installent à Anvers. Tom y achète une maison, après avoir passé dix ans à Londres.

Le spectre du Brexit le ramène à ses racines. Quant à Sylvie, elle a quitté Gand pour retourner à Anvers, après sa séparation avec le musicien Maarten Devoldere des groupes Balthazar et Warhaus. «Dès le jour où Tom s’est installé ici, raconte Sylvie, nous sommes devenus très proches. En fait, j’habitais chez lui la moitié du temps. En tant que nouvelle célibataire, je voulais être entourée de mes amis constamment. Alors, j’ai fondé un genre de famille de cœur.»

Et de poursuivre: «Nous nous sommes toujours beaucoup intéressés l’un à l’autre. Je voulais mieux connaître Tom, mais pour ça, on ne se voyait pas assez souvent. Quand il habitait à Amsterdam, je me suis rendue plusieurs fois aux soirées style Fanklub qu’il organisait. Des années plus tard, je suis allée le voir à Londres. J’ai logé deux semaines chez lui. Je crois que c’était la première fois que je le voyais à la lumière du jour. Pendant ces deux semaines-là, nous avons vraiment appris à nous connaître. Quelques années plus tard, je chantais à son mariage.»

Ensemble devant l’objectif

En bon styliste, ce jour-là, Tom trimballe des sacs de vêtements remplis à ras bord. Nous sommes invités dans le showroom du décorateur Gert Voorjans, un temple de la couleur. Pendant que Sylvie se change discrètement à l’avant, Tom enlève son jeans et son sweat-shirt. Il pare son corps tatoué d’un costume Gucci, dont les manches sont ornées de plumes d’autruche noires. Il a apporté un costume de la même marque pour son amie. Pas un deux-pièces de l’époque du directeur artistique Alessandro Michele, mais un modèle en flanelle rouge, créé par Tom Ford en 1996. Une pièce iconique dans laquelle Gwyneth Paltrow avait jadis foulé le tapis rouge.

«Tu sais à quel point c’est dur d’être à côté de toi sur la photo? Tu es tellement photogénique», soupire Sylvie. Ils ont déjà participé ensemble à un shooting, pour la campagne des lunettes solaires de Tom pour Komono, une collection qui sera étoffée cette année.

Leurs projets à venir

«J’aime mon travail, mais je veux être plus qu’un styliste. Je tiens ça de ma mère. Je crois qu’elle a déjà eu cinquante jobs différents: d’infirmière à chauffeuse de bus. A partir d’octobre, je serai dans le jury de la nouvelle émission sur Streamz, Belgium’s Next Top Model, avec Inge Onsea d’Essentiel, le mannequin Hannelore Knuts et le styliste Tom Van Dorpe. Mon objectif pour 2023 est de faire un maximum de choses.»

«Je veux surtout écrire le plus possible pour mon prochain album, réplique Sylvie. Et me construire un petit nid. Jusqu’à présent, j’ai vécu de manière très nomade. Je créchais partout et je n’étais jamais chez moi. Je n’ai jamais pris la peine de rendre mon foyer agréable. Dorénavant, je compte investir là-dedans, j’ai besoin de calme pour créer. C’est quelque chose que j’ai découvert pendant la pandémie. Maintenant que cette parenthèse est fermée, je dois chercher cette tranquillité ailleurs. Mon nouvel appartement sera mon endroit zen.»

Sylvie Kreusch se produira le 30 mars à l’AB à Bruxelles (sold out) et le 31 mars au festival Les femmes s’en mêlent à l’Eden de Charleroi. sylviekreusch.com, tomeerebout.com

En bref : Sylvie Kreusch

Née en 1991 à Mortsel

Lauréate du concours De Nieuwe Lichting de Studio Brussel avec Soldier’s Heart en 2013

En 2016, elle change de groupe au profit de Warhaus

En 2019 et en 2020, elle sort deux EP sous son propre nom: Bada Bing!Bada Boom! et Wild Love

Son premier disque solo, Montbray, sort en novembre 2021

Elle est en couple depuis deux ans avec l’acteur Flor Van Severen, avec qui elle vit à Gand

Sylvie Kreusch. Copyright : Alexander Popelier

En bref : Tom Eerebout

Né en 1989 à Bredene

Il est le styliste de Lady Gaga depuis plus de dix ans

Il crée aussi pour Rita Ora et Kylie Minogue

Il est marié avec l’artiste néerlandais Joost Vandebrug

Il a vécu à Amsterdam et à Londres, mais il se partage actuellement entre Anvers et Montbray

Tom Eerebout. Copyright : Alexander Popelier

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