Ce 18 novembre s’est tenue la remise des Belgian Fashion Awards à la Bourla d’Anvers. Un jury international d’experts y a récompensé les meilleurs talents de la mode belge de 2025.
Depuis 2017, les Belgian Fashion Awards célèbrent le meilleur de la création noir-jaune-rouge. Objectif: mettre en lumière la créativité et la diversité de la mode belge, tant à l’échelle nationale qu’internationale, et rendre hommage à celles et ceux qui œuvrent souvent dans l’ombre, des talents émergents aux grands noms. Mais aussi et surtout valoriser notre belgitude, rappeler que la mode de notre petit pays reste synonyme d’indépendance et de personnalité, parfois teintée de surréalisme, toujours à l’avant-garde.
Dès leur lancement, ces prix, organisés conjointement par Le Vif Weekend, Knack Weekend, Flanders District of Creativity, MAD Brussels et Wallonie-Bruxelles Design Mode, ont franchi les frontières. Cette année, le jury était présidé par la styliste et directrice artistique new-yorkaise Karen Binns. Réunis autour de dix catégories – dont deux inédites, Company of the Year et Model of the Year – les membres du jury ont distingué celles et ceux qui ont marqué l’année par leur énergie et leur créativité. Vive la mode. Vive la mode belge.
Designer of the Year: Julian Klausner
Né en Belgique et diplômé de La Cambre, Julian Klausner est, depuis décembre 2024, le nouveau directeur artistique de Dries Van Noten. Il a présenté sa première collection femme à Paris en mars dernier, suivie d’une collection homme en juin. Celle-ci, jugée «électrifiante» par le jury, a convaincu qu’il avait le talent pour emmener la maison encore plus loin.Pour le créateur, «la mode belge, c’est un mélange de créativité, de simplicité et d’audace. Il y a quelque chose de très personnel dans l’expression artistique des designers belges, une recherche sur l’identité qui s’exprime à travers les collections.
Les écoles de mode nous apprennent à faire beaucoup avec peu, à trouver des solutions, à transformer les obstacles en opportunités et à célébrer les accidents. Il y a cette touche de surréalisme propre à la Belgique qui permet ce décalage».

Julian Klausner est désormais installé à Anvers et se dit conquis. «On dit qu’Anvers a été la ville la plus influente du monde au XVIe siècle, et elle reste aujourd’hui une boîte à trésors.
Les Anversois ont un sens de la qualité et une appréciation pour l’histoire qui est très inspirante et qui se reflète dans leur monde artistique. C’est une ville qui pousse à l’expérimentation tout en valorisant ses racines.»
Accessory Designer of the Year: Mats Rombaut
Né à Gand et installé à Paris, Mats Rombaut a fondé en 2013 son label de chaussures Rombaut. Sa mission: transformer l’industrie de l’intérieur en créant des accessoires à partir de matériaux végétaux et à faible empreinte écologique. Le jury a salué son identité très forte, son engagement durable, sa constance et sa belle longévité.«Dans les accessoires, l’ADN belge consiste à faire des objets qui ont du sens, de la structure, de la «pensée design» derrière eux, plus qu’un simple logo ou une tendance, avance Mats Rombaut.
Dans mon cas, j’ai mis l’accent sur les matériaux végans ou recyclés, des semelles en caoutchouc recyclé, des fibres d’origine végétale, etc. L’objet devient un message, pas juste un signe extérieur.»Une démarche exigeante, parfois difficile à concilier avec les réalités économiques: «Le fait de vouloir sans cesse innover, d’avoir des exigences élevées sur les matériaux, de privilégier l’idée plutôt que le volume peut être un handicap commercial.

Il y a donc un défi constant entre la pensée et l’action, entre l’idéalisme et les réalités de production. Et peut-être, culturellement, il existe une modestie inhérente: les Belges ont souvent moins tendance à se mettre en avant, à faire du bruit médiatique, ce qui, dans une industrie fondée sur la visibilité, peut être un désavantage.»
Emerging Talent of the Year: REantwerp
Dans l’atelier social de REantwerp, fondé par le créateur Tim Van Steenbergen et la journaliste Ruth Goossens, des réfugiés et primo-arrivants confectionnent des vêtements de haute qualité à partir de tissus provenant des stocks d’invendus des maisons de mode belges. En 2025, le projet a ouvert un pop-up au centre d’Anvers avant de s’installer dans un nouvel espace réunissant studio et boutique.
Pour le jury, la volonté de changement portée par REantwerp est un signe d’espoir pour l’ensemble de l’industrie.«La mode belge s’est fait connaître à l’international grâce à l’avant-garde des années 1980: les Six d’Anvers et les écoles comme La Cambre et l’Académie d’Anvers, rappelle Ruth Goossens. C’était un mouvement conceptuel et intellectuel, attentif à la forme et à la structure, en réaction à la mode commerciale alors en plein essor.

Aujourd’hui, cet héritage reste perceptible, mais la nouvelle génération est moins uniforme, plus hybride. Elle est plus diverse: on voit émerger une streetwear belge forte, des collections à l’esprit couture, et des créations où la durabilité occupe une place centrale, parfois les trois à la fois. La mode belge reste d’esprit international, mais fidèle à son individualité et à son authenticité.»
Most Promising Graduate of the Year: Chloë Reners
Diplômée en juin de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, Chloë Reners a signé une collection explorant le surréalisme et la représentation des femmes dans l’art. «Un travail puissant et mature», selon le jury. Installée aujourd’hui à Paris, elle effectue un stage chez Dior. «Pour moi, la mode belge, c’est l’authenticité, l’émotion et une voix singulière, confie-t-elle.

Ce n’est jamais bruyant ni tapageur, mais cela marque les esprits parce qu’il y a toujours une part de vérité. Les créateurs belges osent exprimer leurs émotions, expérimenter, tout en restant fidèles à eux-mêmes. Ce que j’aime le plus, c’est qu’ils laissent une place au doute et à la fragilité. Dans un monde obsédé par la rapidité et la perfection, ils osent être lents, bruts ou imparfaits.
C’est, je crois, notre vraie force: nous ne créons pas pour plaire, mais pour raconter, questionner et relier. Lors de mon entretien chez Dior, on m’a demandé quels créateurs m’inspiraient; j’ai répondu sans hésiter Pieter Mulier et Julian Klausner. Tous deux belges. Cela en dit long sur l’influence toujours palpable de notre scène.»
Model of the Year: Hanne Gaby Odiele
Originaire de Courtrai, Hanne Gaby Odiele a longtemps gardé le silence sur son intersexualité avant de briser le tabou en 2017. Le jury salue son engagement et son courage, et reconnaît son influence notoire au niveau international. En 2025, la mannequin reste une figure majeure du milieu, défilant récemment encore pour Maison Margiela, Lanvin ou Jil Sander.

«Aujourd’hui, certaines des propositions les plus créatives, audacieuses et artistiques de la mode viennent de Belges, souligne Hanne. En même temps, ces mêmes Belges dirigent quelques-unes des maisons les plus puissantes du monde, tandis que beaucoup d’autres travaillent dans l’ombre.
Nous prouvons qu’il est possible de concilier créativité et succès commercial: l’un ne doit pas se faire au détriment de l’autre, au contraire, ils se nourrissent mutuellement. Je suis immensément fière d’être belge et d’avoir collaboré, ces vingt dernières années, avec autant de talents exceptionnels venus de chez nous.»
Creative Professional of the Year: Sonja Noël
Impossible d’évoquer la mode belge sans mentionner Stijl, la boutique emblématique que Sonja Noël a fondée en 1984 dans la rue Dansaert à Bruxelles. Dès le départ, elle y a soutenu la jeune création et défendu une indépendance d’esprit devenue la signature de la scène belge. Le jury a tenu à saluer cette contribution essentielle.
En avril dernier, le Musée Mode & Dentelle de Bruxelles y consacrait d’ailleurs une exposition, 40+ years of Stijl.

«Je me souviens des premiers défilés des Six d’Anvers, on comprenait immédiatement que c’était des personnalités, que leurs vêtements avaient un ancrage dans la réalité. Avant, on savait que la Belgique produisait de la qualité, du sérieux, on pouvait acheter en confiance mais ce n’était pas de la mode. Grâce à cette génération-là, la mode belge est née. Ils ont ouvert la voie.
Et moi, je voulais tout acheter pour le proposer dans ma boutique, je sentais que c’était ma mission, raconte Sonja Noël. Aujourd’hui, ma définition de la mode belge n’a pas changé. Les créateurs belges ont conservé leur propre identité, ils ne sont pas sous influence. Et c’est toujours exceptionnel pour un si petit pays de compter tant de jeunes qui lancent leur propre collection avec une identité puissante.»
Changemaker of the Year: Masjien
Avec leur agence Masjien, Jasmien Wijnants et Ann Claes accompagnent les marques de mode dans leur transition vers une entreprise responsable. En 2025, elles ont lancé Josie, un chatbot IA qui répond aux questions liées au greenwashing, et Motor, un mouvement de mode numérique qui rassemble les créatifs qui tentent de repousser les limites.

«La mode belge est un laboratoire de créativité, avec aujourd’hui une forte présence de voix féminines puissantes, souligne le duo. Les opportunités sont nombreuses pour ancrer encore davantage la durabilité et la technologie.»
Love Brand of the Year: MXDVS
Avec MXDVS, Max Reynders a créé un label à la frontière entre art et rébellion, entre Rick Owens et Raf Simons, entre gothique et street.

Cette année, il a lancé une collection de maille inédite, comprenant aussi ses premières pièces d’intérieur, et ouvert un pop-up à Anvers qui a attiré un public international. Le label a été élu Love Brand of the Year par le vote du public.
Company of the Year: Arte Antwerp
Née en 2009 d’une capsule de tee-shirts, Arte Antwerp s’est imposée comme une marque internationale à part entière, avec des boutiques jusqu’à Paris et une communauté mondiale de fans. Son fondateur Bertony Da Silva a récemment dévoilé une collaboration avec Adidas. Le jury a salué sa capacité à rallier une nouvelle génération autour de la mode belge.«Je vois Arte comme une marque de streetwear raffinée.

Pourquoi raffinée? En raison d’Anvers, répond Da Silva. Ici, la mode haut de gamme est omniprésente: on grandit entouré de cette culture. On croise les étudiants de l’Académie, on fréquente les stocksales, on apprend à regarder. À l’étranger, quand on parle d’Anvers, on pense d’abord à la mode. Cela influence forcément. Si j’avais grandi ailleurs, sans figures comme Dries Van Noten ou Raf Simons, ma vision du vêtement serait probablement très différente.»
Outstanding Achievement Award: Tony Delcampe
Directeur du département mode de La Cambre, Tony Delcampe a formé plusieurs générations de créateurs aujourd’hui à la tête de grandes maisons internationales – de Matthieu Blazy chez Chanel à Anthony Vaccarello chez Saint Laurent. Le jury récompense le rôle clé qu’il a joué, et continue de jouer, dans l’histoire de la mode belge, tout en appelant à une reconnaissance plus large de La Cambre Mode(s).«Les créateurs belges travaillent sur le vêtement quoi qu’il arrive.

On le retourne, on le met dans tous les sens, on le multiplie pour faire une pièce, mais le vêtement reste le point de départ et le sujet principal, contrairement à la tradition française et italienne qui tire le vêtement vers des thématiques hors vêtement. Même avec la nouvelle génération, telles Marie Adam-Leenaerdt ou Julie Kegels, cela parle de vêtement qui se transforme, se déplace sur le corps. La mode belge peut être conceptuelle mais elle est surtout intelligente, et les process le sont aussi.»