Mathieu Nguyen

Brouillon de culture: les fake books, ça ne date pas d’hier

(Ana)chronique: un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

Tout le monde n’a pas la chance de savoir qui est Maddy Burciaga, c’est donc de bon coeur que nous affranchirons les ignorants: née Maddy Schleider, cette Parisienne de 27 ans a participé à des émission de télé-réalité dont le titre laisse rêveur, comme Les Marseillais vs Le reste du monde ou La villa des coeurs brisés 2, avant d’émigrer à Dubai pour y poursuivre une carrière d’influenceuse-entrepreneuse. Regard azur et plastique avantageuse, la demoiselle s’est fait remarquer l’automne dernier pour une sombre histoire de partenariat imposé à la Fondation Bardot, avant de réapparaître dans les sections people fin janvier, lors de la publication d’une vidéo sur Instagram. Très enthousiaste, elle y faisait la promotion de faux livres Chanel, Cartier, Saint Laurent ou Hermès, des trompe-l’oeil dépourvus de pages ou même d’un quelconque contenu, censés servir de déco. Des milliers de notifications plus tard, l’étourdie essuie les tirs de ceux qui ne voient dans ce concept qu’un désespérant symbole de vacuité, comme de ceux qui crient à l’arnaque, sous prétexte que ces faux bouquins étaient vendus six fois moins cher sur des sites chinois.

Placer un ouvrage en évidence pour se donner un genre, la pratique n’a rien de nouveau: en 1581 déjà, Montaigne s’émouvait que son Sur des vers de Virgile soit moins lu qu’exposé dans les salons, et réduit de facto au rôle de bibelot intello. Ce n’est toutefois qu’à partir des années 50 que ce format, entre ornement et allume-conversation, gagna réellement en popularité, le mot « coffee table book » apparaissant pour la première fois dans le volume 36 d’Art Magazine, en 1961. En passant, on constatera que l’anglais assume sans ambages la vocation presque décorative de l’objet, un point de vue d’ailleurs partagé par l’allemand et l’espagnol, qui s’approprièrent le terme dans la langue de Dryden et Shakespeare, alors que le français a pudiquement préféré mettre l’accent sur les qualités esthétiques et parler de « beau livre ».

Que celui ou celle qui n’a jamais achetu0026#xE9; un livre pour le laisser trau0026#xEE;ner des mois sans l’ouvrir lui jette la premiu0026#xE8;re brique.

Soyons de bon compte: bien qu’entre ces « livres pour table basse » et le parallélépipède en carton monogrammé de Maddy, il y ait un monde de différence – des pages et des choses imprimées dessus, notamment -, dans certains cas dont on ne se vante pas, l’usage final reste le même. On comprend qu’il soit tentant d’accuser une starlette d’être superficielle et cynique, mais que celui ou celle qui n’a jamais acheté un livre pour le laisser traîner des mois sans l’ouvrir lui jette la première brique.

Autre illustration des rapports distendus entre les stars des réseaux sociaux et les belles lettres: la YouTubeuse Léna Situations, phénomène d’édition qui affola tous les compteurs fin 2020 avec son guide de développement personnel – et bien entendu, nombre de gens s’en étranglèrent. Heureusement pour les vedettes de la Génération Z, la top-priorité actuelle n’est sans doute pas de trouver grâce aux yeux de ceux qui les disqualifient pareil, qu’elles vendent des sous-contrefaçons ou qu’elles écoulent leur modeste prose par camions. Et elles n’ont peut-être pas tort, tant que l’on préférera machinalement dézinguer les vedettes du jour plutôt que de chercher les raisons de leur succès. En attendant la prochaine polémique, un observateur taquin pourrait se demander qui, lors du triomphe de Léna, trépidait aux deuxième et troisième places du podium, impatients de détrôner l’importune et de restaurer la littérature dans ses droits? Pas besoin de se creuser, il s’agit des indéboulonnables Marc Lévy et Guillaume Musso, fin prêts à reprendre leur duel au sommet. On n’a pas fini de râler.

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