Livres: nos conseils de lecture pour votre été
La rédaction du Vif Weekend vous propose sa sélection de romans pour les beaux jours, à savourer au bord de la piscine, dans un jardin à la campagne ou encore tranquillement à la maison. Peu importe le lieu, pourvu que le plaisir de lire soit de la partie.
A l’adresse du bonheur, par Lorraine Fouchet, Editions Héloïse d’Ormesson, 320 pages
Et si vous pouviez racheter la maison de vacances de votre enfance, le feriez-vous ? Cette demeure à l’ombre de laquelle les premières histoires d’amour de l’ado que vous étiez se sont nouées. Où les rivalités entre les membres d’une même fratrie se sont cristallisées.
Suite au décès de son mari, Adeline a dû dire adieu à Ker Joie, une imposante bâtisse nichée le long de la côte bretonne. Son fils Pierre découvre par hasard que les nouveaux propriétaires cherchent à s’en séparer. La vente lui échappe de peu, tout au plus parvient-il à négocier de pouvoir la louer le temps d’un long week-end pour célébrer les 80 ans d’Adeline. Mais le retour sur l’île de Groix de la famille Saint-Jarme ravive les souvenirs d’un accident tragique.
Tous les ingrédients d’une saga familiale digne des grands feuilletons de l’été à la française sont ici réunis, rebondissements rocambolesques compris. En bonus, Lorraine Fouchet a compilé la bande originale de son livre – après tout le titre faire référence à une chanson de Jean Ferrat – à écouter sur les plates-formes de streaming.
Il nous restera ça, par Virginie Grimaldi, Fayard, 396 pages
Voilà un livre qui fait du bien. On y suit Jeanne, 74 ans, Iris, 33 ans et Théo, 18 ans, trois êtres bien différents et pas épargnés par la vie, qui décident de cohabiter, pour le meilleur et pas le pire. Au fil des pages, Virginie Grimaldi, un peu trop vite cataloguée « écrivaine de romans feel good », aborde des sujets graves comme le deuil et la violence conjugale, mais sans se départir de sa plume légère, positive et pleine d’humour. E
t l’autrice à succès d’expliquer son titre, emprunté au slameur Grand Corps Malade : « Ces quatre mots contiennent tout. Hier et demain, les regrets et les espoirs, les cadeaux, l’essentiel. » On finit le récit avec le sourire aux lèvres et le cœur rassasié, parfait pour l’été !
Ainsi gèlent les bulles de savon, par Marie Vareille, Charleston, 400 pages
Le neuvième roman de la jeune Française est une fois de plus une merveille de sensibilité et de légèreté. Si l’intrigue est un peu plus attendue que celle de La Vie rêvée des chaussettes orphelines, ces bulles de savon ont tout pour accompagner avec douceur nos moments-bulles d’été.
On y croise des destins de femmes exceptionnelles et des sujets plus difficiles comme la dépression post-partum ou l’hypersensibilité, mais on rit aussi beaucoup. Une bonne référence feel good qui n’a rien à envier aux best-sellers de Valérie Grimaldi et Raphaëlle Giordano.
La décision, par Karine Tuil, Gallimard, 304 pages
Mai 2016. La juge Alma Revel doit se prononcer sur le sort d’un jeune suspecté d’avoir rejoint l’Etat islamique en Syrie. A ce dilemme professionnel s’en ajoute un autre, plus intime : mariée, la quinqua entretient une liaison avec l’avocat qui représente l’homme mis en examen. Entre raison et déraison, ses choix risquent de bouleverser sa vie et celle du pays… Karine Tuil nous entraîne dans le quotidien de juges d’instruction antiterroristes, au cœur de l’âme humaine, dont les replis les plus sombres n’empêchent ni l’espoir ni la beauté. Comme toujours chez l’écrivaine, il y a cette aisance et cette finesse qui virevoltent de pages en pages et qui nous passionnent. Elle a cet art bien à elle de tisser ses histoires en s’emparant du réel par le prisme du roman.
Et avec La décision, elle conclut sa partition avec brio. En évitant tous les écueils sur lesquels son roman pourrait s’échouer. Le sujet déjà, sulfureux : l’islamisme. Son personnage principal ensuite, très chargé et bourré de stéréotype : quinquagénaire en pleines crises existentielle et conjugale. Elle arrive délicatement à monter un parallélisme entre les décisions qu’Alma doit prendre: quitter ou pas son mari ; libérer Abdejalil Kacem au risque qu’il commette un attentat ou l’emprisonner alors qu’il est peut-être sincère dans son repentir et qu’il pourrait se radicaliser en prison ? Bref, on est comme happé tout au long de ce roman et on valse sous la plume vivace et intense de l’autrice et son ton toujours aussi juste.
Adieu Romy, par Violaine de Montclos, Grasset, 120 pages
C’est un tout petit livre d’une grande élégance. A peine 109 pages pour contenir l’immensité fragile de Romy Schneider, retrouvée morte à l’aube du 29 mai 1982, à 43 ans, dans son appartement parisien. Elle était actrice, mère désenfantée, l’ombre de ce qu’elle fut. Avec son Adieu Romy, la journaliste Violaine de Montclos s’approche à pas de loup de son sujet. Grâce aux témoignages patiemment recueillis et ainsi partagés, elle trace les contours des derniers jours de son héroïne fracassée.
Avec affection, avec précaution, elle la regarde vivre et puis mourir par le biais de celles et ceux qui aimèrent la femme, épaulèrent l’actrice blessée, travaillèrent avec la Passante du Sans-Souci, Rosalie ou la Nina de la Mouette. On y croise donc Claude Sautet, Alain Delon, Marlène Dietrich, Orson Welles, Monique Dury son habilleuse maternante, Harvey Keitel jeune, toute une époque, un certain cinéma. Romy Schneider y apparaît sublime, tremblante, intranquille, violente, exigeante, tyrannique. Peut-être parce que, comme elle aimait à le répéter, elle portait en elle le « spleen germanique ». Ça sonne comme bonjour tristesse.
Omerta, par R.J. Ellory, Sonatine, 587 pages.
Depuis qu’il a écrit Seul le silence (2007) qui est clairement à ranger sur la liste des polars qu’il faut avoir lu dans sa vie, l’auteur britannique R.J. Ellory ne rate pratiquement jamais le coche, en réussissant chaque fois à emporter ses lecteurs dans des intrigues denses et intenses. Le tout nouveau Omerta s’inscrit dans la (lointaine) lignée de son impressionnant Vendetta (2005), à savoir une plongée captivante dans les coulisses de la mafia new-yorkaise et de ses guerres intestines.
On y fait la connaissance d’un écrivain sur le retour nommé John Harper, qui découvre soudainement que son père, qu’il croyait mort et enterré, est non seulement vivant, mais qu’il semble aussi avoir de sacrés soucis avec les pontes de la pègre. Commence alors une enquête sous forme de récit initiatique, où Ellory mélange tous ses ingrédients préférés : des personnages torturés, des sous-intrigues relatées avec une écriture ciselée et tranchante, mais aussi une toile de fond qui tourne les pages de l’histoire américaine avec une précision quasi documentaire. Pas de doute : le « nouvel opéra mafieux de R.J. Ellory », tel que le décrit le bandeau de la couverture, est d’une puissance… lyrique.
Toucher la terre ferme, par Julia Kerninon, L’iconoclaste, 115 pages
« J’étais là, un bébé parfait dans les bras, et mon corps déchiré. Dans mon orgueil comme dans mon innocence, j’ai pensé que tout s’arrêtait, alors qu’au contraire, tout commençait. » Ce sont les mots qui inaugurent le sublime Toucher la terre ferme, récit sur la féminité qui s’accomplit, se questionne et se mêle de maternité-louve. Sur le bandeau qui entoure ce roman à la couverture rougeoyante : « Devenir mère, être femme ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de toucher la terre ferme de ces deux opposés si complémentaires, femme et mère. Là où tout s’unit, se pacifie. La protagoniste – dont on perçoit qu’elle a les contours de vie de l’autrice elle-même – s’y débat, entre ces pôles. Julia Kerninon avait déjà interrogé la féminité dans son très beau Liv Maria, l’histoire de cette femme qui a tout, mari aimant, enfants parfaits, vie toute tracée, mais ne s’en contente pas. Ici, c’est le même chemin, en plus autobiographique.
Le chemin commence à la naissance de son premier enfant, puis « flashbacke » vers les années d’innocence, le temps de l’écriture, des amitiés, des amours passionnées et pas installées. Puis cette maternité, immense énigme, et cette envie, ancrée au corps, à la tête, à l’âme, de rester la femme qu’elle est. Cette louve qui veut tout, mais surtout la liberté, aimer puissamment ses enfants, mais s’ensauvager, aussi, surtout, beaucoup. C’est comme un tourbillon de vie, un ouragan sur l’océan, dans une langue qui emporte, ciselée et violemment femme. Pour, à la fin, du bout des mots, et du corps entier, toucher la terre ferme, en sachant que la vague n’est pas loin, et qu’elle a la capacité de tout emporter. Soi y compris. Un récit sublime et grandiose. Féminin dans son questionnement, masculin dans son énergie. Ou est-ce le contraire ? Entier en tout cas. Comme la vie.
Edmonde, l’envolée, par Dominique de Saint Pern, Stock, 350 pages
Comment, vous n’avez jamais entendu parler d’Edmonde Charles-Roux, alias Edmondaine? Par chance, cette biographie qui se lit comme un roman vous offre l’opportunité de vous rattraper, et de découvrir le destin extraordinaire d’une jeune fille bien née qui a passé sa vie entière à être là où on ne l’attendait pas. De l’objectif de Robert Doisneau à la couverture de Vogue en passant par le prix Goncourt, sans oublier la crème des dîners parisiens, découvrir son quotidien à mille à l’heure vous donnera le tournis, et l’envie d’en savoir plus sur cet incroyable personnage.
Le grand monde, par Pierre Lemaitre, Calmann-Lévy, 592 pages
Après sa trilogie consacrée à l’entre-deux-guerres, Pierre Lemaitre nous livre le premier tome d’une tétralogie dédiée aux Trente Glorieuses. Roman d’aventures, saga familiale, histoires de guerre et d’amour, c’est tout cela à la fois que l’on retrouve dans Le Grand Monde, où l’on suit les péripéties des Pelletier, éparpillés entre Beyrouth, Paris et Saïgon.
En 1948, le paternel a transformé sa savonnerie locale en fleuron de l’industrie libanaise, et les enfants, devenus jeunes adultes, se sont exilés, en France, où la vie est difficile au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ou en Indochine, où la guerre fait rage, et les scandales financier et politique ne sont pas en reste.
Nous voilà face à une histoire documentée de bout en bout, des personnages truculents et des rebondissements à foison. Le lauréat du prix Goncourt 2013 pour Au revoir Là-haut nous prouve une fois de plus avec cette fresque jubilatoire qu’il est le maître de la littérature populaire française.
Les Grandes Oubliées, pourquoi l’histoire a effacé les femmes, de Titiou Lecoq, éditions Iconoclaste
La célèbre historienne Michelle Perrot parle de «tour de force» pour évoquer ce livre. C’en est un effectivement, de convoquer, de déterrer autant de travaux scientifiques souvent passés sous silence ou inaperçus. Mais ce qui relève du tour de force est aussi de rendre cet exposé si brillant, si passionnant, si divertissant même. Comme si en lui-même son objectif était de ne laisser personne sur le bord de la route et d’embarquer tout le monde vers la lumière et l’histoire de l’Humanité, qui ne serait plus tronquée de sa moitié.
Pour se faire, l’auteure remonte aux origines ou presque de l’humanité. Elle remet l’église au milieu du village et sort les femmes de la maison, où le 19e siècle s’est appliqué à les cantonner. Pour lui rappeler le rôle qu’elle a, qu’elles ont joué depuis plus des siècles, des grottes paléolithiques à la fin du XXe siècle.
À la lecture de ce prodige, on a la sensation d’une lumière qui se fait sur un secret de famille. Celle de l’histoire d’une Humanité dont on se doutait intuitivement, sans trop savoir comment et pourquoi, qu’elle n’avait pu être écrite uniquement par des hommes. Et cette révélation, si passionnante, si captivante soit-elle, n’en est pas moins abordable grâce au l’intelligence et au ton jamais solennel de Titiou Lecoq.
L’idée ici n’est pas de « féminiser » l’histoire, mais de la « démasculiniser », en mettant au jour les stratégies qui ont permis de faire des seuls hommes les acteurs du récit national (et international) et par conséquence, les seuls modèles possibles.
Enfin, et les curieux, à l’appétit de culture dévorant, se réjouiront, car ce livre est un véritable vivier foisonnant de références, d’auteures, de scientifiques, d’actrices, etc à découvrir et à sortir de ce que Titiou Lecoq nomme l’oublioir. Dans sa conclusion l’auteure se demande « suis-je la seule à voir combien c’est dingue? » Qu’elle se rassure: grâce à elle, ce n’est plus le cas. Un bouquin indispensable.
Lire la version longue de cette chronique : Titiou Lecoq démasculinise l’Histoire
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici