Phénomène: Les sorcières sont de retour
Seules ou en groupe, elles lancent des sorts, communient avec la nature et se fient au pouvoir de la lune. Mais aujourd’hui, leur monde magique se teinte aussi d’écologie et d’empowerment des femmes.
De plus en plus présentes dans une pop culture qui a fait naître de nombreuses vocations, à coups de séries et de films cultes les rendant sympas et même sexy, les sorcières sont plus que jamais parmi nous. Mais ne cherchez pas les chapeaux pointus, les nez crochus, les guenilles ou les silhouettes ultragothiques. Les Carabosse modernes arborent plutôt le look sobre de l’apprentie Sabrina ou des tenues stylées dans la lignée de l’ancienne résidente de Poudlard, et fashionista à la ville, Emma Watson, alias Hermione. A l’heure où l’on réapprend à jardiner avec la lune et où l’on a soif de remèdes de bonnes femmes pour parer à tous nos maux, elles sortent du bois et exposent leurs pratiques. Ainsi, dernièrement, ces fées réputées malfaisantes ont fait parler d’elles en suggérant de jeter un sort, à l’échelle planétaire… pour éjecter Donald Trump du bureau ovale. De nombreuses personnalités, comme la chanteuse Katy Perry, se sont publiquement associées à cette initiative ésotérique. Une photo (non flatteuse) du Président, la lame de tarot » La Maison Dieu « , une épingle, une plume, une bougie blanche, un bol de sel… le rituel censé changer le visage politique de la plus grande puissance mondiale est assez basique et est renouvelé à chaque lune décroissante, depuis le mois de février dernier !
Se présenter comme les héritières de ces milliers de filles brûlées vives pour avoir refusé de plier devant l’éradication de leur monde. »
A l’origine de cette tentative de putsch, on retrouve les adeptes de la Wicca, un mouvement néopaïen né dans les années 50, en Grande-Bretagne, à l’initiative de Gerald Brousseau Gardner. » C’est lui qui a écrit Le livre des ombres, véritable bible sur le sujet, précise Christian Bouchet, ethnologue et auteur de La Wicca, les sorcières d’aujourd’hui (Camion noir). On y retrouve des éléments des cultes à mystères de l’Antiquité liés au renouveau, au printemps. Le fondement du mythe tourne autour de la hiérogamie de la Déesse et du Dieu cornu. » Plus largement, les rituels de ce qui est considéré aux Etats-Unis comme une religion suivent » la roue de l’année » qui alterne sabbats – célébrations de la nature et clin d’oeil aux sorcières médiévales – et esbats – rituels lors des nuits de pleine lune.
C’est également cet ouvrage de référence qu’utilisent les soeurs Halliwell dans Charmed, une série télé américaine qui raconte la vie de trois jeunes femmes ayant hérité des pouvoirs surnaturels de leurs aïeux et qui a participé à gonfler l’aura du mouvement. » En réalité, la Wicca a surtout pris dans les pays anglo-saxons, explique notre expert. D’ailleurs, les bouquins sur le sujet sont principalement en anglais, peu ont été traduits. Il faut dire que le New Age, auquel ce courant est associé, n’a pas beaucoup percé non plus en Europe. De plus, un groupe plus ou moins sectaire a agi en France sous le nom de Wicca internationale. Il a, entre autres, vendu des vidéos de sabbats par l’intermédiaire d’un producteur de films pornographiques et a brouillé l’image dans nos régions. » Le mouvement a néanmoins ses adeptes, ses forums et ses groupes Facebook dédiés sur le Vieux Continent.
La peur du jugement
» Je ne fais pas de Wicca, pas de rituels dictés par ce calendrier, mais il y a beaucoup d’ésotérisme dans ma pratique. J’ai remodelé les choses pour les moderniser. Ça m’arrive d’aller en plein air et de poser les mains dans la terre pour me reconnecter « , relate celle qui préfère se faire appeler Luna Coma quand elle parle de sa passion pour la magie. Car, si elles ne craignent plus le bûcher, les madames Mim contemporaines se méfient encore du jugement. » Je n’en parle pas à tout le monde. Certaines personnes sont réceptives – on est quand même en 2017 et les gens arrivent à voir les choses d’une autre manière – mais il y a encore un risque d’être prise pour une folle, s’inquiète-t-elle avec lucidité. Depuis que je suis petite, je ressens énormément de choses autour de moi. Je voyais déjà des esprits à 5 ou 6 ans. A cet âge-là, je le vivais comme un jeu, mais en grandissant j’en ai parlé à ma famille et j’ai alors appris qu’il y avait une lignée de guérisseuses. » Initiée au tarot, au reiki, au pouvoir des pierres et désormais à l’alchimie, la jeune femme explore différents champs. » Pour moi, la sorcière moderne est celle qui se relie avec tous les éléments qui sont autour d’elle. Elle repart d’observations primaires, de sensations… La femme a cette force de profondeur et il est important qu’elle suive son intuition. Nous sommes toutes connectées à la magie. Si l’époque est beaucoup plus ouverte à ça, ce n’est pas pour rien, c’est parce qu’on veut se rattacher à de nouvelles bases par rapport à ce qui se passe autour de nous. »
Un courant féministe
Réécrire le monde en plongeant dans la force du féminin, répondre à une urgence internationale, se reconnecter au sol ; autant de notions qui renvoient au courant de l’écoféminisme, né en pleine Guerre froide et liant constat de la destruction de la nature et oppression du sexe dit faible. C’est aussi un produit anglo-saxon mais qui percole désormais en francophonie, notamment grâce à la traduction de textes dans une collection que la maison d’éditons Cambourakis a choisi de nommer… Sorcières. » Pour les écoféministes néopaïennes, se nommer » sorcières « , c’est tout à la fois revendiquer et réinventer – reclaim, en anglais – cette ancienne religion de la déesse et se présenter comme les héritières de ces milliers de filles brûlées vives pour avoir refusé de plier devant l’éradication de leur monde par celui qui était en train de naître et sa logique de prédation « , explique Emilie Hache, philosophe et auteure d’un recueil de textes intitulé Reclaim, publié dans cette fameuse collection Sorcières. Pourquoi choisir ce mot, avec le risque de susciter rejet ou moquerie ? » Utiliser ce terme, c’est reprendre contact avec soi et le monde en se reliant à son histoire, avec l’échec des femmes devant la guerre que leur a déclarée le capitalisme, mais aussi avec leurs peurs – peur d’être rejetée, peur d’être agressée, peur d’être méprisée, etc. C’est une façon de se reconnecter à ses émotions, à son propre jugement, à sa propre existence et, finalement, à son propre pouvoir « , analyse la philosophe.
Des tutos sur YouTube
A l’heure des réseaux sociaux, les choses ont toutefois un brin changé. Luna Coma explique pouvoir agir à distance après un contact sur Facebook, notamment pour des rituels de bien-être : » C’est une concentration sur l’être, que la personne soit toute proche ou dans une autre ville, c’est le même processus. » C’est Internet aussi qui lui a permis de s’initier à certaines pratiques, gratuitement. » Il n’y a pas de notion d’arnaque. Il est question de transmission entre nous, de partage. » L’échange se fait aussi sur des chaînes YouTube. En intégrant les codes de son époque et du médium en ligne, Lana Corvus propose par exemple sur son canal des do-it-yourself pour réaliser son autel de voyage, ses cônes d’encens… Elle poste également des tutoriels où elle détaille un charme de détection des mensonges ou le B.A.-ba de l’utilisation d’un pendule. De quoi grossir les rangs de pratiquantes bien décidées à réenchanter le monde en protégeant la planète et en repensant la place des femmes. Si ça pouvait marcher…
Dans le chaudron des créatrices
• Très codifié, riche en symboles, l’univers magique de la sorcière inspire marques et créateurs. Ainsi, les cristaux utilisés pour soigner et protéger s’invitent, format XXL, sur les bracelets ou colliers en tous genres et la New-Yorkaise Pamela Love n’en finit pas de jouer avec les images de pendule, de poignard ou de lune pour ses accessoires.
• Amandine Lordenme, fondatrice de la marque Wild Folk Soul Clothing, s’est également plongée dans de nombreux ouvrages traitant d’ésotérisme pour nourrir son univers : « Je ne voulais pas créer des vêtements remplis d’incohérence, explique-t-elle. Je ne pratique pas, mais j’y crois énormément. Je garde volontairement mon rôle d’observatrice avec les pieds sur terre, mais c’est ma façon d’approcher toutes ces choses qui nous dépassent. » Sur ses patchs destinés à embellir blousons et accessoires, elle reprend les codes du milieu tels que les trois lunes, un symbole fort de féminité. Autre grand succès de sa dernière collection : l’écusson « Witchies are back in town ». Quand on vous le dit !
• Entre les crèmes au venin de serpent et autres formulations oniriques, le monde de la cosmétique se la joue également witchy. Très investi sur le créneau, Garancia n’hésite pas à donner à sa gamme une connotation tout droit sortie d’une marmite entre son Abracadabaume, son sérum Que mes rougeurs disparaissent et son iconique Pschitt magique.
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