On a discuté art, voyage et solitude avec Rithika Merchant, artiste peintre

Rithika Merchant
Kathleen Wuyard

Célébrée pour son univers onirique ayant servi de décor au défilé printemps-été 2025 de Dior, l’artiste peintre Rithika Merchant a beau avoir grandi et habiter à Mumbai, un lien fort l’unit à la Belgique, pays d’origine de son mari. Jusqu’au 2 novembre, son travail est à admirer au Fonds Hélène & Édouard Leclerc, à Landerneau, en Bretagne.

Quand je peins, c’est comme si je créais ma propre mythologie

Mon travail a quelque chose de spéculatif, du domaine de la science-fiction, comme si j’imaginais à quoi demain pourrait ressembler. Le quotidien est tellement sombre, rempli de souffrance, alors je couche sur la toile un autre futur. Cela tient presque de l’auto-apaisement, comme si l’état actuel du monde me forçait à en peindre une meilleure version. C’est pour ça aussi que j’utilise des symboles libérés de toute référence de genre ou d’ethnie: je veux que chaque personne qui regarde mes peintures puisse s’y projeter. Même si je peins des réalités imaginaires, je suis convaincue qu’elles peuvent avoir un impact, voire inspirer ceux qui les voient à croire eux aussi en un futur plus doux, qui laisse plus de place à la gentillesse.

La mode est une forme d’art

J’ai eu la chance d’être recommandée à la maison Dior par la directrice d’une école artistique de Mumbai. Les collaborations entre les artistes et les maisons de couture permettent de mutualiser les publics, à une époque où l’interdisciplinarité fait sens. Grâce aux réseaux sociaux, le public est plus réceptif à ce genre de rencontres, ce qui permet de les repenser: il ne s’agit plus seulement de reproduire le travail de quelqu’un sur des vêtements mais bien de mettre en place une véritable collaboration créative.

Plus on voyage, plus on voit ce qui nous rassemble

Je suis née et j’ai grandi à Mumbai, puis j’ai déménagé à New York pour mes études, avant de partir un an au Portugal pour une résidence artistique, où j’ai rencontré mon mari, originaire de Belgique. Nous avons habité un an à Liège, puis vécu douze ans entre Barcelone et l’Inde avant de déménager définitivement à Mumbai. Avoir vécu dans tant d’endroits, et être mariée à quelqu’un qui vient de l’autre côté de la planète, fait que j’ai tendance à davantage remarquer les similitudes que les différences entre les personnes. C’est pour ça aussi que j’adore la mythologie comparative: c’est fou de réaliser qu’aux débuts de l’humanité, des gens qui n’avaient aucun contact ont imaginé des mythes très similaires. Ayant fait l’expérience de tant de cultures, je réalise à quel point nous sommes tous les mêmes.

La solitude n’est pas forcément quelque chose de négatif

J’aime être seule, particulièrement dans mon studio. J’appartiens à une génération qui n’a pas grandi avec les réseaux sociaux et l’hyperdisponibilité qu’impliquent les smartphones, et j’ai eu la chance d’apprendre à être en paix avec moi-même et à accepter de parfois m’ennuyer. C’est ce qui m’a permis d’être l’artiste que je suis aujourd’hui. Savoir rester seul avec soi-même et avec ses pensées est un privilège, même si tout dépend évidemment de la personnalité de chacun.

La Belgique a une lumière très particulière

Les parents de mon mari habitent la campagne, et quand on leur rend visite, cette luminosité spécifique, que je ne retrouve que là, influence beaucoup mon travail. Je sais dire où j’ai peint quelle toile en fonction des couleurs et des thèmes qui en émergent. À Mumbai, il y a beaucoup d’oiseaux, notamment des corbeaux, tandis que quand je me concentre sur les plantes et les feuilles, c’est l’influence de la Belgique qui ressort.

L’eau est une source d’inspiration permanente

J’adore nager. C’est une des seules activités où on ne parle à personne, il n’y a pas de téléphone, pas de technologie: vous êtes dans l’eau et vous n’entendez rien de ce qui vous entoure parce que votre tête est submergée. L’activité physique nourrit la créativité. La plupart des artistes que je connais font du sport, ça cultive leur imagination, et en plus, ça fait du bien à leur dos!

Le repos est un concept très anticapitaliste

J’adore les siestes, elles me permettent de dépasser mes blocages créatifs. On les voit souvent comme de la paresse, mais dans notre société centrée sur le profit, le repos est une forme de résistance. Je refuse de souscrire à l’injonction de l’hyperproductivité: les gens devraient pouvoir créer, profiter de la vie et se reposer sans avoir l’impression qu’ils doivent tout le temps produire quelque chose.

L’art est plus important que jamais

Il permet d’explorer d’autres manières de vivre, et de faire sens de tout ce qui se passe autour de nous. On ne peut pas mesurer la valeur de l’art en termes de retour sur investissement, cela touche à l’humain, à l’empathie. Cela donne une clé de lecture du monde, et ceux qui ne le réalisent pas manquent cruellement de vision.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire