Exit le chalet en bois, l’architecture des cimes se modernise

Julien De Smedt - Le tremplin d'une carrière © Robert Goddyn / www.iwan.com

Le chalet traditionnel n’est plus seul à peupler les montagnes. L’art de bâtir, version 2.0, s’invite peu à peu sur les sommets tandis qu’un patrimoine moderne méconnu est remis timidement en valeur. Panorama de saison.

Lorsque les skieurs dévalent les pentes en direction de la station des Menuires, en Savoie, ils ne peuvent manquer l’énorme paquebot de logements amarré en bord de piste. La plupart y voient très probablement un mastodonte défigurant le paysage par sa présence imposante et ses matériaux pas vraiment du cru… Et pourtant, sous ses allures de conglomérat de « cages à poules » pour vacanciers mordus de glisse, cet immeuble est en réalité remarquable, et surtout exemplatif d’une époque et d’une façon de construire. C’est que l’art de bâtir en montagne a bien évolué au fil des décennies… « On a d’abord eu, avant-guerre, des stations-villages de première génération, comme Val d’Isère ou Valloire. Elles se greffaient sur des hameaux existants et les services, bien que s’adaptant aux citadins en vacances, y étaient très basiques », explique David Dereani de la Fondation Facim (*), créée dans les Alpes françaises du Nord pour favoriser les activités culturelles en altitude.

« Après la guerre 40-45, des stations montées de toutes pièces voient le jour grâce aux pouvoirs publics, à commencer par Courchevel, qui fête ses 70 ans. La volonté est alors de lancer une nouvelle économie et on fait appel à des architectes qui pensent tout de A à Z », poursuit le guide-conférencier. De cette époque, la station huppée a conservé notamment quatre chalets plutôt cubiques, aujourd’hui classés. « Le toit habituel à deux pans est abandonné pour privilégier des volumes plus simples, avec une toiture inclinée d’un seul côté qui dégage une grande façade vitrée et optimalise la vue et l’ensoleillement », décrit le spécialiste du patrimoine alpin. Dans les années 60, viendra le Plan Neige, initié par l’Etat français pour encourager le développement du secteur. Les institutions se chargeront alors de réaliser des routes et infrastructures, tandis que des promoteurs lanceront de colossaux travaux. C’est ainsi que naissent les Menuires, La Plagne, Les Arcs, etc. « A ce moment-là, le modèle se rapproche de ce que l’on retrouve dans les villes ; l’idée est de concentrer un maximum de logements dans des tours ou des barres. Il n’y a pas de recherche d’une esthétique typique du lieu ; le béton armé est privilégié et permet de véritables prouesses. »

Face à cette déferlante de stations sorties de terre comme par enchantement et imposant leurs lignes strictes, dès les années 70 apparaît une quatrième génération d’ouvrages mieux intégrés, tout en restant pratiques, tel Val Morel en 1976 où la pierre et l’ardoise ont à nouveau droit de cité… « Maintenant, on glisse vers des quartiers qui privilégient le « faux vieux » en reprenant des typologies savoyardes mais aussi venues… du Lubéron, comme c’est le cas à Arc 1950, derrière lequel on retrouve un groupe d’investisseurs canadiens », constate David Dereani.

Place au futur?

Au bord des pistes, aux Menuires, un complexe de logements aux lignes modernes.
Au bord des pistes, aux Menuires, un complexe de logements aux lignes modernes.© D. Dereani – Fondation Facim, 2010

Et l’architecture contemporaine dans tout ça ? « Il y a d’abord la question du développement durable car les bâtiments des années 60 ont été érigés sans se soucier des économies d’énergie, souligne l’expert du Facim. Certes les stations prennent le taureau par les cornes, mais de façon très ponctuelle. » Un revêtement de façade rafraîchi par-ci, une chaufferie centrale par-là, des superficies d’appartements parfois revues à la hausse, des bus électriques et exceptionnellement un building démoli… « Dans les Alpes françaises, on est très frileux, on veut répondre à des touristes qui attendent des chalets de Heidi, auxquels on ajoute éventuellement des fenêtres plus grandes ; à l’inverse de l’Autriche ou la Suisse qui n’hésitent pas à revenir au modèle cubique, voire sphérique, celui-ci étant optimal pour faire face aux conditions climatiques et garder la chaleur », analyse le guide.

Et en effet, sur le terrain, cette observation se vérifie. Du côté des montagnes autrichiennes et helvétiques, mais aussi en Scandinavie, un art de bâtir tourné vers l’avenir s’invite sur les pentes neigeuses et devient même un argument touristique majeur. De grands noms signent des projets qui font le tour du monde par la Toile et rompent complètement avec le tissu local. Au lieu de se conformer à ce qui s’est toujours fait, des concepteurs relèvent le défi de trouver de nouvelles idées pour investir ces terrains difficiles. La déclivité et le climat boostent leur imagination, pour le plaisir des yeux. Tour d’horizon.

(*) La Fondation Facim propose, dans les Alpes françaises, un parcours thématique, appelé Archipels d’altitude et organisé sur mesure pour des groupes, à pied, en bus ou en voiture, pour découvrir l’histoire architecturale de la région. http://fondation-facim.fr

Zaha Hadid – Reine de la haute voltige

Au Sud Tyrol, le Messner Mountain Museum Corones de Zaha Hadid, fiché dans la montagne.
Au Sud Tyrol, le Messner Mountain Museum Corones de Zaha Hadid, fiché dans la montagne.© www.wisthaler.com

Magnifique exemple d’intégration que ce musée de Zaha Hadid, l’une des stars de l’art de bâtir au xxie siècle, décédée cette année. Implanté dans la très belle région du Sud Tyrol, sur le mont Kronplatz, le Messner Moutain Museum Corones – conçu à l’initiative de Reinhold Messner, alpiniste local qui fut le premier à gravir les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres dans le monde – est véritablement enchâssé dans la roche. Les visiteurs y pénètrent comme dans une grotte pour ressortir de l’autre côté, à la lumière du jour, sur l’une des terrasses qui émergent de la falaise et offrent des perspectives vertigineuses. Construit en béton renforcé de fibre de verre, le volume répond par sa teinte claire aux parois minérales et à la neige. Preuve s’il en est que l’architecture contemporaine, même la plus audacieuse, a sa place en altitude. Dame Hadid a d’ailleurs signé d’autres projets dédiés directement aux skieurs, à Innsbruck, en Autriche : quatre points d’arrêt du funiculaire et le tremplin de saut de Bergisel qui bénéficie, tout en haut, d’un café avec panorama.

Julien De Smedt – Le tremplin d’une carrière

Julien De Smedt - Le tremplin d'une carrière
Julien De Smedt – Le tremplin d’une carrière© Robert Goddyn / www.iwan.com

« Comment dessiner la tour Eiffel d’Oslo ? » C’est en ces termes que l’architecte belge Julien De Smedt s’est interrogé lorsqu’il plancha sur ce projet, le plus emblématique de sa carrière probablement : le tremplin à ski d’Holmenkollen (photo). « Nous nous sommes focalisés sur deux facteurs : la discipline sportive en tant que telle et l’idée de proposer un design qui ferait que les gens voient la région davantage comme un spectacle », explique celui qui commença à travailler dans les pays nordiques pour ensuite revenir chez nous. Le résultat : un majestueux ouvrage qui marque désormais la skyline de la capitale norvégienne de son profil élégant et est devenu un vrai monument pour les touristes qui peuvent, du dessus, bénéficier d’un vaste panorama sur les fjords.

Le concepteur a par ailleurs achevé en 2014, dans le Jura, à Bois d’Amon, une maison qui s’inscrit parfaitement dans le relief, maximisant la vue pour ses habitants.

Toggenburg – Nid de choucas

Toggenburg - Nid de choucas
Toggenburg – Nid de choucas© Corinne Cuendet

L’emplacement est idéal et tout proche de Zurich. Au sommet du Chäserrugg, un des sept pics de la chaîne suisse des Churfirsten, à 2 262 mètres d’altitude, prend place un restaurant panoramique signé par Herzog & de Meuron (photo), concepteurs helvétiques de renom. Le bâtiment, tout en affichant des volumes bien de notre temps, privilégie le bois pour une intégration optimale dans un paysage ouvert sur 6 pays et 500 sommets. Le même bureau a également réalisé dans le domaine les trois gares d’une grande télécabine inaugurée en 2016. Une bonne excuse pour miser sur le Toggenburg pour dévaler les pistes cet hiver.

M-Preis – Shopping avec vue

M-Preis - Shopping avec vue
M-Preis – Shopping avec vue© Architecte: Peter Lorenz. Photo: Thomas Jantscher

Le premier magasin M-Preis a ouvert à Innsbruck, en 1920. Aujourd’hui, les petits-enfants de la fondatrice, gèrent cette chaîne de supermarchés ancrée au Tyrol et qui compte désormais 250 points de vente… avec une particularité : depuis les années 80, chaque bâtiment est construit par un architecte local différent, qui inscrit l’ouvrage dans le paysage et dans l’air du temps. Exit les boîtes à chaussures formatées, l’accent est mis sur le respect de l’environnement et une esthétique novatrice. Trois enseignes ont par ailleurs été imaginées par Dominique Perrault, le concepteur de la Bibliothèque nationale de France à Paris. Une belle façon de mêler régionalisme – exacerbé puisque le label privilégie aussi les marques tyroliennes – et ouverture d’esprit.

Vorarlberg – Recherches au sommet

Vorarlberg - Recherches au sommet
Vorarlberg – Recherches au sommet© Adolf Bereuter – Bregenzerwald Tourismus

A l’extrême ouest de l’Autriche, la région du Vorarlberg fait office de labo européen d’archi contemporaine et eco-friendly. Depuis les années 60 déjà, on y construit des immeubles aux lignes épurées, peu énergivores et le plus souvent en bois, le matériau local par excellence. Tout a commencé par des commandes de logements privés, passées à quelques jeunes visionnaires. Peu à peu, le modèle, soutenu par les autorités, s’est généralisé, à tel point que le terme « Baukünstler » (artiste du bâtiment) a fait son apparition dans les années 80. La grande force de cette école constructive : un dialogue incessant entre ceux qui dessinent les volumes et les artisans qui les réalisent. Si la ville de Bregenz illustre bien ce mouvement, on retrouve des exemples dans les 2600 km2 du land, et donc en montagne aussi, du côté du Bregenzerwald.

Norvège – Pistes balisées

Norvège - Pistes balisées
Norvège – Pistes balisées© Jiri Havran

La belle idée de la Norvège pour soutenir son tourisme : en 1994, l’administration des voiries sélectionne dix-huit routes d’exception, traversant les régions de Vestlandet, Nord-Norge et Sørlandet, et les aménage progressivement en y plaçant des points de vue et aires de pique-niques plus futuristes les unes que les autres. Le projet devrait être terminé en 2020 mais de nombreux spots à couper le souffle sont déjà accessibles. Un argument à lui seul pour visiter ce pays ainsi revalorisé sur près de 2 000 km.

(*) La Fondation Facim propose, dans les Alpes françaises, un parcours thématique, appelé Archipels d’altitude et organisé sur mesure pour des groupes, à pied, en bus ou en voiture, pour découvrir l’histoire architecturale de la région. http://fondation-facim.fr

Avalanche au sommet

1. Un projet non retenu de l’architecte Bjarke Ingels pour un complexe hôtelier de montagne, à Trysil, en Norvège, dont les volumes ondulants, parfaitement intégrés au sol couvert de neige, ouvrent de nouvelles pistes de réflexion pour le futur.

Exit le chalet en bois, l'architecture des cimes se modernise
© Bjarke INgels Group

2. Un module pour vacanciers posé tel un ovni dans le Tyrol autrichien, à Nussdorf-Debant, et dont l’intérieur hyper fonctionnel est fabriqué tout en mélèze.

www.ufogel.at

Exit le chalet en bois, l'architecture des cimes se modernise
© Ufogel

3. Un refuge complètement cubique, en équilibre au bord du précipice, imaginé par l’Atelier 8000 dans les Tatras en Slovaquie. Les façades sont couvertes de verre, alu et panneaux photovoltaïques.

Exit le chalet en bois, l'architecture des cimes se modernise
© Atelier 8000

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