Açores, les îles en couleurs

Mosaïque de verts sur São Miguel. Un panorama qui donne le ton... © Eric Vancleynenbreugel

L’extrême bout de l’Europe est un jardin presque tropical dont la végétation luxuriante surgit de la lave. Sur ses neuf îles aux microcosmes uniques, nous en avons parcouru quatre.

Presque à mi-chemin entre l’Europe et l’Amérique, l’archipel des Açores est l’un des endroits les plus éloignés d’autres terres. C’est ce sentiment exaltant d’être arrivé dans un monde à part qui envahit dès l’atterrissage sur l’île de São Miguel, la plus vaste et la plus  » animée « . Du moins à Ponta Delgada, car dès que l’on quitte la capitale, on pénètre dans un monde qui semble ne pas avoir changé depuis des siècles. Un univers paisible, où l’air pur et la lumière limpide typiquement atlantique ajoutent une aura particulière.

São Miguel, l’île verte

C’est un peu le navire amiral de la flotte açorienne. Et un fabuleux jardin botanique auquel il doit son surnom d’île verte. Une couleur légèrement trompeuse car, comme l’explique notre guide Eduardo,  » on n’a pas idée à quel point les Açoriens ont dû lutter pour survivre dès leur arrivée dans un lieu vierge et si distant de l’Europe. Il n’existait aucune issue de secours en cas de pénurie, de tremblement de terre ou d’éruption volcanique « . Tout pousse ici, c’est vrai, mais il a fallu du temps pour acclimater ce qui devait permettre de manger. Au gré des apports d’autres mondes, les îliens ont développé une multitude de techniques et de moyens de subsistance : blé, canne à sucre, vigne, agrumes, oliviers, ananas, thé, tabac, élevage et même chasse à la baleine. Autre fausse idée, le fameux  » anticyclone des Açores « , que l’on pense synonyme de temps radieux :  » Quand il se positionne juste au-dessus de l’archipel, la météo peut varier très rapidement. Il vaut mieux qu’il soit un peu décalé, révèle Eduardo. Nous vivons donc parfois quatre saisons en une journée, mais les températures ne descendent jamais en dessous de 15 °C !  »

Pour se convaincre de l’origine volcanique des Açores, rien ne vaut une visite du site de Furnas. Les fumées, les odeurs de soufre et les marmites de boue rappellent que l’on se situe sur la faille qui sépare l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. Astucieux, les locaux utilisent depuis longtemps cette chaleur gratuite. Sur les rives du lac de Furnas, ils enfournent dans la terre des marmites et, après plusieurs heures de cuisson, se régalent du pot-au-feu local, le cozido. On aime aussi l’endroit pour son fantastique parc botanique. Dessiné à la fin du xviiie siècle par le consul américain, il regroupe des milliers de spécimens venus des quatre coins du monde, parfois uniques en Europe. Une visite qui se termine en beauté par une baignade dans un grand bassin d’eau chaude et rougeâtre…

En s’aventurant sur les petites routes de l’intérieur, on change de panorama à chaque tournant. De belvédère en cratère endormi, on en prend plein les yeux, surtout à l’approche de Sete Cidades, caldeira de volcan aujourd’hui recouverte de deux lacs aux couleurs antagonistes. Les prairies perchées entre montagne et océan rappellent l’Irlande, les champs de lave l’Islande, les forêts de cèdres le Japon, les vignobles plantés dans la cendre l’île italienne de Pantelleria, et les fougères arborescentes géantes la Nouvelle-Zélande. Les vestiges de la laurisylve (forêt subtropicale humide) typique de la Macaronésie remettent les choses en place. Et partout où cela est possible, des fleurs en pagaille : hortensias, agapanthes, azalées, rhododendrons, strelitzias, jusque sur le bord des routes…

Terceira, l’île mauve

C’est la troisième île des Açores à avoir été découverte, d’où son nom. Aux xve et xvie siècles, les lourds galions espagnols et portugais y faisaient escale et entreposaient toutes les richesses ramenées des terres lointaines dans les hangars d’Angra, première ville européenne à se développer au milieu de l’Atlantique. Pour garder les épices fraîches, les transactions se déroulaient directement sur les bateaux dans la baie. Angra reste une merveille, inscrite sur la liste du Patrimoine mondial par l’Unesco. Déroulant ses rues pentues et pavées bordées de palais, de monastères, d’églises et de maisons colorées, elle évoque les villes coloniales du Brésil.

Tout l’été, Terceira vit au rythme des lâchers de taureaux – la tourada à corda -tenus au moyen d’une corde par quatre hommes. L’île a gardé intactes ses traditions et son architecture. En témoignent les petites chapelles bariolées – les impérios – élevées quasi dans chaque village. Elles sont liées à la tradition des fêtes du Saint-Esprit. Chaque dimanche, de la Pentecôte à l’été, des processions partent des impérios et sillonnent les villages, dans le but d’éloigner les catastrophes. Et, chaque semaine, la procession élit un  » empereur « . Tout se termine par un grand repas offert à tous et, bien sûr, une tourada à corda. On ne vient pas aux Açores pour les plages, trop peu nombreuses, mais cela n’empêche pas de se baigner dans les innombrables piscines naturelles aménagées sur les côtes et qui se remplissent au gré des marées. Celles de Biscoitos, cernées de laves noires, sont parmi les plus surprenantes.

Faial, l’île bleue

Faial délivre un véritable festival de bleus : celui, pastel, des hortensias qui fleurissent par millions chaque été, auquel s’ajoute le bleu profond de l’océan. Plus que toute autre île de l’archipel, la vie ici est étroitement liée à l’Atlantique. Dans ce petit havre du bout du monde tant espéré, parfois, au bout de longues semaines en mer, les navigateurs ont leurs habitudes. Dont celle de sortir leurs pinceaux et d’imprimer une trace durable de leur escale sur les quais.  » A chaque passage, ils ajoutent une date et redonnent quelques couleurs à leur fresque patinée par le vent et les embruns, détaille Eduardo. Puis ils se retrouvent chez Peter, au Café Sport, juste en face des quais.  » Le repaire de tous les loups de mer qui viennent raconter leurs histoires de marins autour d’un gin tonic.

Petit flash-back en 1957 : à l’extrémité de l’île, un volcan surgit des flots à quelques encablures de la côte. Les villages proches sont évacués car les maisons commencent à crouler sous les cendres. Durant treize mois, les entrailles de la Terre crachent lave et bombes incandescentes, et l’île y gagne 2,4 kilomètres carrés. Le phare voisin est enseveli jusqu’au premier étage. Un édifice relique qui, aujourd’hui, s’est mué en centre d’interprétation. Le décor reste dantesque, et l’on s’y promène comme un astronaute sur la Lune…

Pico, l’île grise

Quatre kilomètres de mer séparent Faial de Pico et de son volcan, gigantesque cône gris presque parfait qui, lorsqu’il se couvre de neige, prend des airs de Fujiyama. L’endroit ne peut pas laisser indifférent. On vit ici au rythme de ce sommet culminant à 2 351 mètres. Le plus jeune de l’archipel. Un monstre qui s’est réveillé plusieurs fois depuis les débuts de l’occupation humaine. Pico, c’est l’île atlantique par excellence. Des petites routes perchées qui s’accrochent entre roche volcanique et océan, d’où la vue plonge vertigineusement vers une mer bleu encre. Des cratères endormis envahis d’eau douce, des pâturages gras et des vaches qui n’ont souvent d’autre limite que le précipice.

Phénomène rare, le volcan était totalement dégagé de son habituelle couronne de nuages blancs lors de notre passage, nous permettant de mieux apprécier la majesté du plus haut sommet du Portugal. On peut l’arpenter des heures sans croiser personne. Les quelques villages de pierre volcanique, tous situés sur le littoral, semblent vouloir témoigner de la rude vie passée. Il n’y a pas si longtemps encore, Pico vivait de la baleine et du vin, le verdelho qu’elle exportait jusqu’en Russie et au Brésil. Patiemment, les premiers colons ont dû dégager leurs petits lopins de terre encombrés de pierres et les entasser en murets coupe-vent. Ces currais bien rangés égrènent toujours le paysage le long des côtes et ont été classés, eux aussi, par l’Unesco. Dès que l’on s’éloigne des trois micro-villes de l’île ou que l’on remonte vers les hauteurs, Pico déplie à nouveau ses vallées sauvages, couvertes de leur végétation originelle. Pour la solitude totale, il reste encore deux îles tout à l’ouest, Flores et Corvo, puis plus rien avant la Nouvelle-Angleterre…

PAR ERIC VANCLEYNENBREUGEL

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