Les mystères du Moscou médiéval dévoilés dans les sous-sols du Kremlin

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Descendre dans les sous-sols d’un bâtiment du Kremlin des années 1930 est une expérience édifiante: derrière les fondations en béton, des os humains mais aussi les vestiges les mieux conservés du Moscou médiéval apparaissent.

12e siècle, 13e, 14e: les marques laissées par les archéologues sur chaque strate du sol témoignent de l’ancienneté du lieu. Ici, à l’emplacement de ce qu’était le « Bâtiment 14 » du Kremlin, émerge une nécropole réservée à de riches Moscovites qui y reposaient depuis le Moyen-Âge.

Depuis qu’en 2014 le président Vladimir Poutine a ordonné la destruction de cet énorme bâtiment construit à l’époque stalinienne dans l’enceinte du Kremlin, les archéologues profitent d’un accès quasiment sans précédent sur cette zone, explique Nikolaï Makarov, directeur de l’Institut d’archéologie de Moscou.

Nikolaï Makarov, directeur de l'Institut d'archéologie de Moscou.
Nikolaï Makarov, directeur de l’Institut d’archéologie de Moscou.© AFP

« Le Kremlin recèle de nombreux mystères », explique-t-il en faisant visiter les lieux à l’AFP. Lieu de pouvoir, le Kremlin est longtemps resté fermé aux archéologues: « Il n’y a eu ici que deux fouilles archéologiques complètes, celle-ci comprise », poursuit M. Makarov.

– Destruction idéologique –

Après l’arrivée des Bolchéviques au pouvoir, la capitale est transférée en 1918 de Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) à Moscou et le Kremlin, devenu le siège du gouvernement, est fermé au public.

Aujourd’hui, les visiteurs sont fouillés par le Service de sécurité présidentiel avant de pouvoir visiter les églises du 16e siècle qui se trouvent à l’intérieur de la forteresse qu’est le Kremlin, un ensemble classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

Le Bâtiment 14, érigé en 1932, a été construit à l’emplacement du couvent de l’Ascension et du monastère Tchoudov, deux lieux saints de l’Eglise orthodoxe datant de la fin du 14e siècle et détruits par les Bolchéviques en 1929 et 1930.

« Cette démolition n’était pas seulement fonctionnelle mais idéologique », explique l’historienne Ioulia Ratomskaïa. Le gouvernement soviétique athée, qui s’était dans un premier temps engagé à reconstruire ces bâtiments abîmés par les combats de 1917, les détruisit dans le cadre d’une campagne qui vit la démolition d’innombrables églises à travers tout le pays.

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Les restaurateurs ne purent pas même sauver les fresques du 16e siècle du monastère Tchoudov, enfouies sous les décombres du bâtiment détruit.

L’idée initiale de Vladimir Poutine était de démolir le bâtiment 14, qui a abrité le Soviet suprême (parlement) de l’Union soviétique, pour reconstruire le couvent et le monastère à l’identique mais les experts n’y sont pas favorables.

« Ces pierres ont une histoire. Le couvent et le monastère sont des pertes énormes mais c’est erroné de penser qu’ils peuvent être remplacés par des reconstructions grandeur nature », explique Ioulia Ratomskaïa. « Une fois qu’une erreur est faite, on ne peut pas revenir en arrière ».

– 2.000 trésors exhumés –

Les archéologues se réjouissent pour leur part de la possibilité de fouiller cette zone où les premiers Moscovites s’installèrent au 12e siècle.

« Au début, je ne pensais pas que ce serait une bonne chose (de détruire le Bâtiment 14) mais j’aime cette vue », ajoute Nikolaï Makarov, en regardant l’espace libéré par le bâtiment stalinien sur lequel s’étend désormais un parc.

« Cette sensation de donjon exigu et froid a disparu. Le Kremlin est devenu plus ouvert », poursuit-il.

Parmi les 2.000 trésors sortis du sol jusqu’à présent, une pierre avec une inscription en cyrillique, qui est la plus ancienne trouvée à ce jour à Moscou. Une couche de suie, probable témoignage de l’incendie de la ville déclenché par le chef de guerre mongol Batu Khan au 13e siècle, a aussi été retrouvée.

En août, le président Poutine a ordonné la création d’un musée d’archéologie sur le site des fouilles. Nikolaï Makarov envisage d’en faire un lieu évoquant les nombreuses tragédies qu’a connu le Kremlin, en gardant les fondations du Bâtiment 14.

« Il y a des colonnes de style constructiviste datant de 1932 dont la base est faite de pierres du monastère. Des pierres des cathédrales qui ont été réutilisées, et parmi elles des pierres tombales. », explique-t-il.

« Nous devrions montrer cette juxtaposition. Nous devrions montrer les paradoxes et les fractures de l’histoire ».

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