Lisette Lombé
De poésie, d’amour et d’eau fraîche
Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.
En août 2022, au retour du festival d’Avignon, lorsque j’ai commencé à marcher tous les jours, à l’aube et en début de soirée, c’était pour conserver ce tonus retrouvé en devant performer sur scène six soirs par semaine. Je ne pouvais pas m’imaginer, au cœur de cet été, que me mettre en mouvement quotidiennement allait me sauver la peau. Je vous l’écris aujourd’hui sans rougir car l’œil du cyclone est dans mon dos. Je me sens comme rescapée d’un naufrage. Sans ces milliers et milliers de pas enchaînés à une cadence assez soutenue que pour me vider la tête, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de mon équilibre psychique.
Je parle de perles de sueur et de larmes roulant sur la même joue. Je parle de rupture amoureuse, de fin de couple, de fin de cycle, de sortie d’emprise, de déclic, de déflagration, de deuil de la relation. Je parle de chroniques qui se métamorphosent insensiblement en espaces de catharsis. Je parle de paroles intimes et de propositions professionnelles qui s’entremêlent comme des lianes solides et solidaires. Je parle d’authenticité, de partages qui entrent en résonance avec une multitude d’autres vécus, d’autres expériences. Je parle de courage, de honte qui doit changer de camp. Je parle d’amitiés de longue date, de rocs, de phares. Je parle de résilience, de retrouvailles avec soi-même, de réveil des potentialités.
‘Vous méritez mieux que cela! Nous méritons, toutes et tous, mieux que cela!’
Dans ces premières respirations de 2023, je vous souhaite sincèrement de ne pas avoir à traverser des épreuves terribles pour vous réaligner et redevenir vous. Je vous souhaite de prendre conscience le plus tôt possible de la magnifique personne que vous êtes. Je vous souhaite de rencontrer des êtres qui vous aiment comme vous êtes, avec vos failles, vos brèches, votre dégaine, vos cicatrices, et qui ne retournent pas vos faiblesses contre vous, qui ne les exploitent pas, qui ne vous abîment pas en prétendant vous adorer.
Vous méritez mieux que cela! Nous méritons, toutes et tous, mieux que cela! Voilà ce que je me suis répété, en boucle, dans la pente finale de mon parcours pédestre du jour. Voilà avec quels mots je souhaiterais débouler dans cette nouvelle année. Véritable hymne à la souplesse des corps et des esprits, hymne au respect de soi et à l’écoute des autres, cri du cœur pour un projet d’existence simple et saine.
Evidemment, je suis bien consciente du luxe de ces invocations, du privilège de pouvoir consacrer du temps à sa santé, mentale, physique, émotionnelle. Me viennent simplement, en soutien de ma réflexion, les mots du regretté poète Christian Bobin: «A l’état de détresse répond l’état de poème. La réponse est entière. Le poème oppose un front de cristal à la vague noire. Il n’explose pas. Sa fragilité le rend invulnérable. Nous ne sommes pas seuls.»
Vous dire aussi que cela fait deux mois que je n’ai pas bu un seul verre d’alcool. Des fêtes de fin d’année sans vin, sans bulles, je n’avais jamais connu cela de toute ma vie de femme adulte. Mais, comme pour l’appel impérieux de la marche, l’abstinence s’est imposée comme un rituel de survie et de radicale délicatesse envers moi-même. Comme si le temps d’une autre ivresse était venu.
Pas si simple quand l’alcoolisme mondain est banalisé, glamourisé même, et encore largement associé à la pratique artistique. Pas si simple quand la tentation de noyer tristesse et tracas dans un verre, de s’anesthésier à peu de frais est omniprésente. Cependant tellement libérateur quand on parvient à comprendre la fonction profonde du produit, à interroger sa place dans l’histoire familiale et dans la construction de l’estime de soi.
J’étais de celles, il faut bien l’avouer, qui se moquaient de l’opération Dry January et des bonnes résolutions de début d’année qui tombent à l’eau après quelques jours. J’ai changé. Pas juste en surface. Révolution intérieure. Réconciliation des différentes matriochkas. Puissance gagnée aux forceps entre les échecs et les déroutes. Nouvelles vibrations, nouvelles questions. Comment apprivoiser la timidité? Comment je veux vieillir? Comment je veux participer humblement à l’amélioration du monde? Comment demeurer empathique, confiante, optimiste? Et vous? Comment?
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici