Lisette Lombé

Chronique | À ces balles qui ne tuent pas

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

Paris. De la chambre de ma résidence d’écriture, je peux apercevoir le terrain de basket du parc d’à-côté. Il est 8h30. Une jeune femme élancée enchaîne les shoots avec régularité et efficacité. Hier déjà, plus ou moins à la même heure, c’est une femme seule qui m’avait donné le top départ pour le playground. J’apprendrai qu’elle est musicienne. Elle me fera écouter quelques-unes de ses compositions, très rock, très nerveuses. Elle m’initiera à ce qu’elle nomme du basket-ping-pong. Elle est là pour se détendre, pour évacuer un trop-plein d’énergie. Ce matin-là, quatre jeunes hommes, qui pratiquent un mélange de basket, d’acrobatie et de breakdance, tentent de réaliser et de filmer une figure inédite. Ils parlent d’art, de sport qui sauve la vie, de passion et de dépassement de soi. Nos vocabulaires sont semblables. 

La jeune femme de ce matin est lituanienne. Elle dit venir se défouler, évacuer la rage qui est en elle. Elle a 25 ans mais se sent fatiguée. On l’importune souvent dans la rue à cause de son physique. Malgré la chaleur, elle empile les couches pour venir faire du sport. A son arrivée en France, elle a coupé sa queue de cheval et a teint ses cheveux blonds en noir pour échapper aux sollicitations salaces. Elle est en colère contre tous ceux qui la réduisent à un morceau de viande. (Je reprends ses mots.) Elle souffre des stéréotypes plaqués sur les filles de l’Est. Filles faciles, filles vénales. Elle est diplômée, multilingue mais son accent la déforce et on ne lui propose que des jobs peu qualifiés. Sur papier, sa précarité fait d’elle une proie pour les réseaux de prostitution ou d’escortes. Chaque panier lancé est un coup qu’elle ne donne pas à un type harcelant dans la vraie vie, assène-t-elle. 

Petit pincement au cœur en pensant à toutes les stratégies à devoir mettre en place, en tant que femme, pour se sentir à l’aise et en sécurité dans l’espace public. Je souhaite tellement à cette jeune femme de rencontrer des personnes bien intentionnées et soutenantes qui l’accompagneront sur son chemin d’intégration en France. C’est en poussant la porte d’une association féministe, pour participer à des ateliers d’écriture, que ma vie a commencé à prendre un tournant vers la personne que je suis aujourd’hui. 

Lorsque la jeune femme s’en va, un homme propose à son fils de 12 ans de faire un match contre moi. Fait-il partie de ces hommes qui sont persuadés que n’importe quel garçon est plus fort que n’importe quelle femme? En tous cas, son fils a hérité d’une grande confiance en lui. Il semble certain de me battre. Je ne relève pas ses multiples fautes. Je le laisse shooter sans lever les bras. Je suis l’adulte. Je souris en moi-même. Grâce à ce petit 1 contre 1 improvisé, je retrouve ma botte secrète: une feinte suivie d’une accélération pour laisser le défenseur dans mon dos et aller marquer un panier facile sous l’anneau. Score final : 5-1. Je me demande quelle leçon ce garçonnet tirera de sa défaite, avec un père qui le chambre dès mon premier point et qui quitte le terrain pour aller téléphoner plus loin dès que l’écart se creuse en ma faveur. Soudain, je ne sais pourquoi, me revient l’image de ce prêtre à vélo, arrêté à un feu rouge. Question impulsive sous le soleil. Un rapport entre poésie et foi? Réponse qui fuse. Les psaumes! Vous connaissez?

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