Lisette Lombé

Chronique | Danse, écris, danse encore !

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

Dernière chronique avant l’été. Et ce printemps en pointillé déjà dans le dos. Toujours un peu particulière, cette chronique d’avant break, d’avant grande respiration et repos. Comme celle de la rentrée ou celles de fin et de début d’année. Moment des invitations à savourer chaque jour malgré le monde en feu. Je viens de parcourir le carnet qui m’a accompagnée ces dernières semaines dans mes nombreux déplacements en dehors du territoire belge. J’y relis quelques rencontres inspirantes restées dans le silence parce que je n’étais pas parvenue à les relier au cœur battant du propos. 

Je pense à ce navetteur, recroisé à plusieurs mois d’intervalle dans un train Liège-Bruxelles, avec une intrigante petite sacoche noire contenant le même livre lors des deux voyages. Je lui ferai part de ma curiosité et il m’apprendra que le bouquin est un cadeau d’un ami cher, tellement important à ses yeux qu’il doit le transporter comme un objet précieux. Il l’a déjà lu plusieurs fois et en relit quelques pages chaque jour. Quelle différence avec une Bible? 

Je pense à ce taximan qui me demande «Est-ce que vous connaissez le poète et philosophe Rûmî?» Et voilà que s’engage une conversation à mi-chemin entre philosophie et parcours de vie. L’homme est iranien, n’a pas lu les grands philosophes dans le texte mais comprend leurs enseignements. Il se compare à un Anglais qui passerait à côté de la profondeur de Shakespeare ou un Russe de Tolstoï.

Je pense aussi à Eric Naszalyi, ancien numéro 1 mondial de Subbuteo (football de table). Pas de différences entre son vocabulaire et celui des passionnés du ballon rond. Entraînement, compétitions, passion, beau jeu, maillots, supporters. L’homme me montre des vidéos sur TikTok, m’explique que les femmes belges sont au top de la discipline. J’écoute avec beaucoup d’intérêt et je note un maximum d’informations. Ce jour-là, je perdrai mon agenda papier, avec toutes mes dates artistiques encore sous option, toutes mes notes de frais, des cartes postales de personnes chères… Les jours suivants, je paumerai deux bagues, oublierai ma veste dans un théâtre et ma clé de voiture dans un musée. Y voir un signe patent de fatigue? Un poète m’invite plutôt à imaginer une montgolfière qui se délesterait de poids inutiles pour prendre de la hauteur. A dire vrai, je préfère cette promesse d’élévation à un constat basique de risque de surmenage. 

Hier, avec 150 enfants de la Seine-Saint-Denis, nous avons tissé du lien entre poésie et sport. Chaque élève a lu un quatrain mêlant verbe de mouvement et action bénéfique pour soi ou pour le monde. Dans le métro qui me conduisait à cette rencontre dont j’étais la marraine, j’ai écrit quelques vers libres. Je danse pour me sentir abeille aux ailes recouvertes de pollen. Je danse pour la victoire de la souplesse sur les idées arrêtées. Je danse pour le slow que mes parents ne danseront plus jamais. Je danse pour dire tout ce que je ressens tout au fond de moi sans ouvrir la bouche. Je danse pour ne pas oublier que dans certains pays une danse peut coûter cher. Je danse pour faire croire à ma solitude que l’on est moins seule entourée d’autres solitudes. Je danse pour entrer en vibration avec d’autres libertés. Je danse pour le grand écart entre le jour et la nuit. Je danse pour faire rire ma fille.

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