Lisette Lombé
Chronique | Et nous nous aimerons en toute amitié…
Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.
J’écris cette chronique du village de Watou, situé en Flandre-Occidentale, à quelques kilomètres de Poperinge et tout proche de la France. Je suis invitée en résidence d’écriture. J’ai pour mission, avec ma casquette de Poétesse nationale, de rédiger une série de poèmes évoquant la singularité des environs. La maison, het Huis van de Dichter, est chargée des présences des poètes qui ont trouvé calme et inspiration en ces murs avant moi. Je n’avais plus goûté à un tel silence, ininterrompu pendant plusieurs jours, depuis des mois. Dans quinze jours, je réitérerai l’expérience de cette solitude choisie, à Ostende.
Je reprends mon rituel des listes, redeviens petite éponge du monde. Aube mauve. Mousse sur briques. Poème rouillé. Branches nues. Cimetières. Alignement de croix blanches. Jeunes hommes morts au combat. Vitraux. Portes vermeilles. Cierges pour la paix des peuples. Passage de frontière. Rouler. Mont Noir. Villa Marguerite Yourcenar. Ouvrir un livre au hasard. Elle écrit: «Je n’aime pas non plus le fait que ce recueil soit entièrement réservé à des écrivains femmes. Ne rétablissons pas les compartiments pour dames seules.» Multiplicité des points de vue. Accueil chaleureux de l’équipe. Dehors, grisaille. Vaste domaine. Herbe grasse. Boue. Brume. Lutte contre le blues. Partout, beauté. Arbre remarquable. Humilité. Calme. Inverse de la course, inverse de l’effervescence des commerces à quelques minutes de là. Contraste saisissant. Passage de frontière. Rouler. Acte d’achat impulsif. Me faire plaisir! Sagesse populaire. On n’a que le bien qu’on se fait! Absolument rien d’essentiel mais besoin de couleurs dans ma garde-robe et à l’horizon. Un emballage cadeau? Non, c’est pour moi!
Nous sommes des paysages à retardement. Nous nous écrivons, nous croyant à un endroit, et nous nous lisons déjà ailleurs.
J’écris en 2024 et vous me lisez en 2025. Les fêtes sont dans notre dos, les bonnes résolutions sont prises. Puissions-nous, en cette année neuve, trouver assez de force pour continuer à nous révolter contre les situations injustes et à nous montrer solidaires des plus fragiles! Puissions-nous trouver assez de lucidité pour poser des choix qui nous grandissent! Puissions-nous trouver assez de classe pour savourer, sans culpabilité, toutes les occasions de jouir et de se réjouir!
Je viens d’envoyer une carte de vœux à un ami. J’avais un peu oublié à quel point j’adore la correspondance à l’ancienne, le papier, l’encre, les timbres, la marche vers la boîte aux lettres, l’anticipation du sourire, le mot tendre au milieu des factures. C’est un jeu d’équilibriste, de trouver une juste distance avec une personne dont on est très proche. C’est un choix, un endroit sain. Et c’est plus simple lorsque l’on cesse de se prendre pour un personnage de film. Je me répète les mots de la poétesse Laura Schlichter: «Tout / Absolument tout / Est question de trouver / La bonne distance».
A un autre ami, j’écris que nous sommes des paysages à retardement. Nous nous écrivons, nous croyant à un endroit, et nous nous lisons déjà ailleurs. Nous aimons le mouvement des corps et des esprits, l’impermanence et la vie imprévisible. Nous peinons à nous poser et à nous reposer. Nous n’avons pas peur des doutes, des réponses complexes, des essais qui se soldent par des erreurs. Notre amitié tire sa force du dépassement de l’ambiguïté très souvent présente au cœur des relations entre les hommes et les femmes. Là est ma nouvelle rive de création, je le sens.
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