Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.
A la question «un logo peut-il sauver une ville?», la réponse semble évidente: «Non, à moins que ce logo ne s’appelle Chuck Norris.» Et pourtant. Celui qui fut imaginé en 1976 par l’artiste Milton Glaser peut se vanter d’avoir, à lui seul, fait en sorte que New York ne sombre pas dans la dégénérescence la plus totale. Il ne l’a pas seulement aidée à tenir debout. Il l’a secourue, l’a soignée puis l’a réanimée, à une époque où la Grosse Pomme était tombée… dans les pommes.
Flashback, comme on dit là-bas (oui, on dit ça chez nous aussi, je sais, mais en réalité, on devrait dire «voyons un peu voir ce qui s’est passé auparavant», il faut juste avouer que c’est un brin plus long et on ne va pas se mentir, on est tout de même des sacrées feignasses quand on veut). Nous sommes le 13 juillet 1977, il est 21h47 et un immense nuage noir se met à tapisser le ciel new-yorkais. Un coup de tonnerre éclate. Puis un éclair flamboyant apparaît, jaillissant du sombre cumulus pour frapper le cœur de Manhattan. La ville est subitement plongée dans le noir total, et pour cause: toutes les grandes stations électriques qui alimentent la métropole viennent de griller l’une après l’autre.
Blackout, comme on dit là-bas (oui, je sais, on dit la même chose ici aussi, mais on devrait dire «punaise, panne de courant généralisée, j’espère qu’on a encore des bougies dans un tiroir», mais bon, hein, vous savez quoi). De ce coup de tonnerre, naîtra bientôt… un coup de foudre. Sous la forme d’un cœur rouge. Mais avant cela, New York va trembler. Et même s’effondrer. Dans n’importe quel film hollywoodien, au moment précis où la ville basculerait dans les ténèbres, des aliens surgiraient de partout pour dégommer les êtres humains avec leurs grandes tentacules dotées de griffes bioniques et leurs yeux en laser (une chouette idée de chanson pour Marc Lavoine, tiens). Mais c’est la réalité que les New-Yorkais découvrent: un chaos sans précédent qui provoque plus d’un millier d’incendies à travers toute la ville, ainsi que des émeutes et des pillages…
Conséquence de ces 25 heures tragiques: la crise sociale et financière que New York vivait en sourdine est exposée au grand jour. La criminalité avait déjà augmenté, les usines avaient commencé à fermer, et les déchets s’amassaient dans les rues. Autant dire qu’au lendemain de la panne de courant, l’image de la cité était carrément catastrophique – un peu comme si un marshmallow géant y avait tout écrasé sur son passage —, avec des dégâts estimés à plusieurs centaines de millions de dollars.
Heureusement, comme le disait Jeff Goldblum: la vie trouve toujours son chemin. Quelques mois plus tard, New York va s’offrir un improbable comeback, comme on dit là-bas (oui, chez nous aussi, alors qu’on devrait dire «un retour fracassant au premier plan», mais zut à la fin). Afin de redorer son blason, la ville, désespérée, fait appel à une agence publicitaire. Un designer renommé, Milton Glaser, qui a déjà bossé pour Bob Dylan, va cette fois réaliser l’impossible: un logo avec un cœur rouge inspiré par les amants qui gravent leurs initiales sur les troncs d’arbres. Milton est alors dans un taxi jaune, et il a griffonné vite fait son idée sur un morceau d’enveloppe.
Quand les New-Yorkais découvrent la campagne de promotion dans les journaux et sur des affiches, le charme opère assez rapidement. Ils adoptent le logo qui, pour eux, symbolise à la fois l’espoir et une forme de fierté d’appartenir à «la ville qui ne dort jamais», alors même que le tueur en série surnommé le Fils de Sam empoisonne la Grosse Pomme. Au fil des semaines, I NY se transforme en porte-drapeau et fait son bout de chemin dans les brochures touristiques. L’air de rien, grâce à lui, New York est alors en train de soigner sa crise identitaire tout en remplissant à nouveau ses hôtels.
Le devis de Milton Glaser? Il s’élève à 2.000 dollars, mais le créateur n’encaissera jamais le chèque, préférant offrir son œuvre à sa ville natale. C’est ce qu’on appelle là-bas une jolie love-story (oui, chez nous aussi, mais en fait, on devrait dire «une attirance mutuelle entre deux personnes qui finit souvent en eau de boudin mais pas chaque fois»).