Nicolas Balmet
Chronique | Le premier homme à s’être enrichi grâce à l’eau pétillante est J.J. Schweppe
Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.
Ah ah! J’avoue, vous m’avez bien fait rire, sur les réseaux sociaux, avec vos blagues sur ce printemps pourri. J’ai bien aimé les photos des dauphins qui nagent dans vos jardins, le truc qui disait «En fait, Nicoletta a raison, il est mort le soleil», ou encore les citations du genre «La météo a été mise en examen pour abus de pleuvoir». En fait, je me suis même tellement bidonné que j’ai oublié de pleurer face à la sinistre vérité: le ciel se fout vraiment de notre tronche, ça n’a rien de comique, je suis au bout du rouleau. A l’heure d’écrire ces lignes, c’est bien simple, je suis à deux doigts de commencer mes cadeaux de Noël.
Pour être honnête, j’avais néanmoins prévu une chronique sur l’eau pétillante, ce breuvage que l’on dégaine sous le soleil afin de préparer du mojito se rafraîchir. Il va sans dire que dans un premier temps, j’ai pensé que mon sujet était tombé à l’eau (merci pour le like). Puis j’ai relevé la tête, redressé les épaules et crié «stop à la résignation!». Animé par la témérité que m’ont inculquée mes parents (et je les en remercie), je me suis dit que la pluie ne devait empêcher personne, jamais, de s’instruire. Aussi, contre vents et marées, draches et averses, orages et tempêtes, grêlons et… bref, j’ai choisi malgré tout de vous relater la fabuleuse histoire de l’eau pétillante.
Nous sommes en 1772 lorsque le théologien et chimiste anglais Joseph Priestley réussit à fabriquer une eau gazeuse artificielle en utilisant une solution calcaire mélangée à de l’acide sulfurique afin d’obtenir du dioxyde de carbone ensuite dissous dans de l’eau – à côté de ça, le gars qui a inventé l’eau chaude peut clairement aller se rhabiller. Ce cher Priestley enseignera même sa «recette» à l’équipage d’un navire du valeureux James Cook, avec un argument marketing imparable: son eau serait un excellent remède contre le scorbut. Hélas, sa théorie ne se vérifiera jamais. Et si le gaillard publiera un livre sur sa méthode, ce ne fut qu’une goutte d’eau dans l’océan… de flouze qu’il aurait pu se faire.
Car c’est un certain Johann Jacob Schweppe, horloger et bijoutier suisse, qui va flairer le bon coup en l’an 1783, en déposant un brevet pour une eau enrichie en gaz carbonique. La gloire l’attend au bout du couloir, et pour cause: son invention permet à la fois de conserver l’eau plus longtemps grâce au gaz qui ralentit la prolifération des bactéries, mais aussi de garder le liquide frais plus longtemps. En 1790, une usine entière est érigée à Genève, puis à Londres. L’eau pétillante y coule à flots, avant qu’elle ne se mette à gagner les étagères des officines où elle est prescrite contre les soucis de reins, de vésicule ou de digestion.
Plusieurs heureux hasards vont définitivement asseoir la réputation de Schweppe. Dans les années 1830, par exemple, la boisson se met à séduire la noblesse et les têtes couronnées, au point de rejoindre la prestigieuse liste des «fournisseurs officiels de la cour britannique» – il paraît que la reine Victoria en raffolait. En 1851, lors de l’Exposition universelle de Londres, une énorme fontaine de près de huit mètres de hauteur est posée au beau milieu de Hyde Park. Les visiteurs n’ont d’yeux que pour elle. Ce n’est pas un hasard si, encore aujourd’hui, le logo officiel de Schweppes représente cette même fontaine: plissez donc les yeux sur le petit rond rouge ornant l’étiquette si vous ne me croyez pas. Le tournant? Quand monsieur Schweppe décide d’ajouter à sa recette un peu de jus de citron vert et de la quinine, il soulage les Anglais stationnés en Inde en proie à la malaria. Ainsi naît un liquide qui deviendra en 1870… l’Indian Tonic. Ne me dites pas «waouh, on apprend plein de choses»: je sais.
La suite coule de source: toutes les classes sociales, partout dans le monde, vont adopter la boisson gazeuse. Dans les années 30, Joséphine Baker elle-même devient l’égérie de Schweppes. Plus tard, d’autres stars font pétiller l’image de la marque, à l’instar de Nicole Kidman, Uma Thurman ou Penélope Cruz qui lâcheront un «What did you expect?» ayant le don d’apporter une touche sensuelle à nos étés. Nos étés? Mais oui: ceux qu’on connaissait avant qu’entre le climat et nous, il y ait de l’eau dans le gaz.
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