Lisette Lombé
Chronique | L’époque pourrait aussi être aux préludes…
Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.
Depuis quelques semaines, toutes les conversations engagées, avec des proches ou au sein de mon milieu professionnel, sont assombries par le mot sidération. Mon dictionnaire ne me propose aucun antonyme de ce terme. J’y vois une urgence à créer de nouveaux mots, à répondre à l’assèchement des solidarités par la luxuriance d’un vocabulaire inédit qui redonnerait aux peuples, aux familles, aux couples le goût du dialogue. Hier, un ami poète m’enjoignait de «continuer à faire ce que nous savons faire», c’est-à-dire rendre compte de la complexité du monde, dénoncer l’inepte, approcher le beau, protéger l’espoir. Encore et encore.
J’écris cette chronique, assise au balcon de la salle de concert de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, en invitée privilégiée. Journée d’auditions pour les violoncellistes. Moment crucial pour la suite de leurs parcours. Technicité, concentration, expressivité des visages, corps habités, engagement total. J’écoute tout autant que j’observe. Je me sens au même endroit que les personnes qui participent à mes ateliers de poésie et dont on dit qu’elles sont un public très éloigné de la littérature.
Je n’ai jamais plus touché un instrument de musique depuis ma flûte de l’école primaire et cette photo écornée de fancy-fair. Les morceaux classiques, je les associe à des films ou des pubs. Il y a bien eu cette tournée «Ça slame à l’Orchestre» en 2018, avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, et il y a bien ces compilations de chefs-d’œuvre que j’écoute pour favoriser une écriture plus lyrique, mais cela ne me rend pas moins page blanche.
Tout est éblouissement ici. Je prends énormément de notes. Aujourd’hui, ce qui me frappe, c’est la bienveillance des membres du jury lors des échanges. Pas de piège, des paroles rassurantes, une chaise qu’on avance, une question sur le bonheur. Je mesure le prestige du lieu aux réponses des candidat.e.s. Mes représentations s’affinent. Je me souviens avoir regardé des finales du Concours Reine Elisabeth à la télévision, avec mes parents. Mon père, plus de quarante ans après, reste marqué par les images du pianiste Pierre-Alain Volondat. Je lui apprends que 300 concerts sont organisés chaque année. Effervescence permanente. Passion derrière chaque mur. Multiplicité des langues qui se rient des frontières. Patrimoine qui interroge la femme métisse que je suis. Excellence, maîtres, présence royale. Contrastes déroutants avec le grésil de l’actualité. S’échapper et s’approcher. Humilité et respect.
Comment ne pas, en tant qu’artiste, faire siens les conseils prodigués par des sommités comme Sir András Schiff et José van Dam durant leur masterclass de piano et de chant? Essayez de sentir comment votre cœur bat sous vos doigts. Ne jouez jamais une note sans responsabilité. Il y a beaucoup de traits communs entre la musique et l’amour. Rester dans son personnage est plus facile quand on est vieux que lorsqu’on est jeune. Vous n’êtes pas juste un chanteur mais aussi quelqu’un qui raconte une histoire.
Dans ma liste du jour, les mots sueur, longévité, générosité, transmission, bois, matière vivante, élégance, calme, former un quatuor est un choix de vie, l’altiste est une force tranquille. Et ce message envoyé à un ami après un concert: «La musique classique, c’est sportif!»
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