Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.
J’avoue: durant longtemps, j’ai moi-même crié au scandale, outré par cette masse d’azote se dégageant de mon paquet de Cheetos au moment de l’ouvrir, et éberlué de constater que la quantité de chips était beaucoup moins conséquente que ce que la forme du paquet ne laissait présager. «Fourberie et entourloupe!», ai-je souvent aboyé, suppliant mes camarades d’apéritifs à me rejoindre dans ma bataille contre le joug capitaliste. «Je ne peux plus tolérer que nous demeurions les esclaves d’une telle duperie! Réagissons! Attrapons quelques canettes de houblon et partons vers les usines Lay’s, Croky et Pringles! Montrons-leur de quel bois nous nous chauffons! Nos aïeuls ont combattu des forces tout aussi obscures que celles-là, et ils ont réussi à les terrasser: pourquoi pas nous?»
Bien sûr, pour une raison que j’ignore, mes camarades ne m’ont jamais suivi – j’imagine qu’on a les amis qu’on mérite. Passée ma déception, j’ai néanmoins pris le temps de me remettre en question, mais surtout de me lancer dans mon activité préférée: faire quelques recherches. Ma première piste m’a mené vers la «shrinkflation», cette technique commerciale consistant à réduire en catimini le poids d’un produit tout en maintenant son volume afin de masque discrètement l’augmentation de son prix. Mauvaise trajectoire, hélas! Car en réalité, pour les chips, il ne s’agit pas de supercherie, mais bien… de survie. Ma seconde piste m’a ainsi conduit vers la science, rien que la science. Et vers une vérité encore plus vraie que la véracité elle-même: les chips ont besoin de gaz afin de préserver leur fraîcheur et leur croustillance.
Traduction? Il est tout à fait normal que les paquets de chips soient constitués d’environ 70% de «vide» – principalement de l’azote, soyons précis, je connais des profs de science qui me lisent et ces gens-là sont impitoyables avec l’exactitude des choses, en plus d’avoir un réseau tentaculaire. Si le gaz est leur ami, c’est parce que, sans lui, les chips deviendraient mous, fadasses et rances en deux temps et trois craquements. Ils s’oxyderaient bien trop vite et, dès lors, seraient virés comme des malpropres bien avant l’âge légal de leur pension, contraints d’aller se trouver un nouveau job sur LinkedIn: «Bonjour. Après des années passées à égayer les soirées du monde entier, je suis en quête d’un nouveau challenge. Mes atouts: je parle couramment le paprika, le pickles et le poivre & sel. Je suis également très flexible, capable de m’adapter aux rondelles de saucisson, aux cubes de fromage ou même aux saucisses Zwan. J’aime le travail en groupe, et on dit de moi que j’ai un petit Tuc en plus, ah ah ah.»
Bref, chez les experts ès chips, on estime que l’azote des paquets permet d’augmenter considérablement leur espérance de vie: sans cela, la date de péremption passerait de 290 jours à… 55 jours. Autre atout non négligeable: l’air emprisonné forme un coussinet protecteur qui, lors du transport, empêche les chips de se transformer en amas de miettes. Je fais donc ici une promesse que je compte bien tenir: plus jamais je ne porterai atteinte à la réputation des Doritos ou des Grills en tentant d’embarquer mes camarades d’apéritifs dans une guerre qui ne se justifie guère. Je veux la paix, désormais. Un cessez-le-feu immédiat qui, je l’espère, permettra également à d’autres combattants de se mettre autour d’une table et d’accepter les pourparlers sur un sujet tout aussi brûlant: est-ce qu’on dit «un» chips ou «une» chips?
Sans vouloir orienter le débat, je suggère ici une bribe de réponse: le mot «chips» (qui vient de l’anglais «chip» signifiant «éclat», «copeau») est aujourd’hui reconnu comme étant féminin par le Larousse et Le Robert… MAIS il fut un temps où ces mêmes dictionnaires avaient admis que «chips» était un nom masculin pluriel, et c’est probablement à ce moment-là que le Belge a appuyé sur le bouton pause. Permettez-moi d’apaiser encore un peu plus les esprits avec un argument qui, d’après moi, devrait anéantir tous les autres: aucun être humain de cette planète est organiquement capable de s’arrêter à un ou une seul(e) chips, alors pourquoi palabrer?
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