Oubliez les chocolats, les fleurs ou les bougies parfumées. Le cadeau qui en jette lorsqu’on est invité à dîner, c’est désormais l’assortiment d’épices, soigneusement curaté. Des poivres et des piments en particulier. Rien d’étonnant à cela: nos assiettes sont aujourd’hui bien plus relevées que celles de nos parents.
En l’espace de dix ans, l’Europe a augmenté de 57% ses importations d’épices en provenance de pays n’appartenant pas à l’Union.
Le gingembre a particulièrement la cote (122.900 tonnes), devant le paprika (109.800 tonnes) et le poivre sous toutes ses formes (62.900 tonnes). Les cuisines indienne, chinoise, thaïe ou vietnamienne disponibles (presque) à chacun de nos coins de rue et leur influence sur la gastronomie locale y sont certainement pour beaucoup.
Des chefs pluri-étoilés en font chaque jour la démonstration, nous incitant à suivre leur exemple. À Liernu, San Degeimbre teinte avec délicatesse ses plats de saveurs venues de Corée, son pays d’origine. Anne-Sophie Pic, la femme la plus étoilée du monde, profite elle aussi de ses restaurants en Asie pour s’imprégner d’autres accords. Désireuse de comprendre ce qui faisait l’attrait de la célèbre sauce XO – un condiment très épicé à base de fruits de mer séchés –, elle s’est rendue sur place pour l’apprivoiser.
«Manger pimenté, c’est s’offrir un frisson maîtrisé.»
«Aujourd’hui, nous fabriquons à Valence notre propre version qui se marie parfaitement avec les agrumes», nous a-t-elle confié lors de notre passage dans son fief où elle crée tous les plats qui portent sa signature à travers le monde (lire page 18). Fou d’épices, lui aussi, le chef français Olivier Roellinger commercialise par centaines, sur son site Internet, ses trouvailles brutes comme ses mélanges signature, contribuant ainsi à démocratiser l’art de «ponctuer la cuisine».
Je vous l’avoue, j’ai moi aussi cédé à la tendance. Sur ma table de salle à manger, trône une collection de moulins à poivre. Je ne résiste pas aux accents citronnés du sichuan vert capable de réveiller tout en subtilité un curry de tofu un peu trop fade. Du côté des piments, j’abuse sans doute un peu trop du chipotle, une version séchée et fumée du jalapeño, qui score sagement entre 5.000 et 10.000 sur l’échelle de Scoville.
Le restaurateur Gérard Vives (lire page 30) a passé sa vie à rechercher les épices rares, celles qui piquent en particulier. Si nous aimons tant cette «douleur exquise», c’est, assure-t-il dans son nouveau livre Piquant brûlant, en raison des signaux que la capsaïcine, une des molécules contenues dans les piments, envoie directement à notre cerveau.
Si nos capteurs crient d’abord au danger, ce coup de peur maîtrisé incite aussi le corps à libérer des endorphines, les fameuses hormones du bien-être qui réduisent le stress. «Manger pimenté, c’est donc s’offrir un frisson maîtrisé, une dose d’adrénaline pour ne pas s’ennuyer pendant les repas», assure notre bourlingueur infatigable.
L’époque et les angoisses qu’elle génère pourraient donc expliquer, elles aussi, ce besoin très moderne de relever nos plats d’un petit quelque chose qui brûle. On aurait tort de s’en priver. D’ailleurs, repassez-moi un peu de chipotle.