« Un mois sans Instagram, sans algorithmes, sans boutons à dopamine: qu’est-ce que ça change chez un être humain? »

digital detox un mois sans reseaux sociaux
Quel impact sur la santé, les relations, le bien-être mental d'un mois sans réseaux sociaux? © Getty images
Aylin Koksal
Aylin Koksal Journaliste

Notre journaliste Aylin Koksal a suivi une cure de désintoxication numérique sous la supervision de deux professeures de l’Université de Gand. 

Ce que je regrette le plus dans mes heures de scroll compulsif sur les réseaux sociaux? Ce ne sont ni les couchers de soleil manqués, ni les livres que je n’ai jamais ouverts. Mais toutes ces heures durant lesquelles, presque machinalement, j’ai confié mon identité à un algorithme. La prise de conscience est survenue un soir, quand j’ai demandé à mon mari: « Tu as entendu parler du “Italian brainrot?” Il m’a regardée avec perplexité. J’ai insisté: « Les mèmes! Tralalero, tralala, Ballerina, cappuccina, tu connais? » Il m’a fixée d’un air inquiet, comme si j’avais invoqué une entité surnaturelle. Et ce n’était pas tout à fait injustifié.

C’est là que j’ai réalisé à quel point il était embarrassant, à presque trente ans, non seulement d’être au courant d’une tendance de la Génération Alpha conçue pour désorienter les adultes, mais aussi d’en tirer un plaisir sincère. Et encore, ce n’est là que la dimension comique de l’addiction aux réseaux sociaux. Les véritables dégâts sont plus sournois, plus profonds.

J’ai repensé à tout ce que j’avais acheté au cours des dernières années sous l’influence de mon fil d’actualité: un Dyson Airwrap, un gilet de course, une tablette de chocolat de Dubaï, ridiculement chère, une lampe de Sabine Marcelis aperçue dans trois intérieurs d’influenceuses, une imitation de la Vitra Akari 25N.

Aucun pan de ma vie n’a été épargné: mes vêtements, mes loisirs, mes destinations de vacances, jusqu’à mes habitudes alimentaires et sportives. Mes goût personnels n’avaient rien de personnel. C’était un patchwork de tendances absorbées, sans en avoir conscience, sur TikTok.

Et moi qui pensais être au-dessus de tout ça. Je suis une personne sérieuse, n’est-ce pas ? Quelqu’un qui a déjà écrit sur la manière dont notre obsession de l’esthétique et de la consommation conduit, à toute vitesse, notre planète, notre identité et notre capacité de concentration droit dans le mur.

Et pourtant, j’étais là.
À sauvegarder des liens.
À remplir des listes de souhaits.
À céder à des phénomènes de mode dont je savais pertinemment qu’ils n’étaient que de microtendances.

Et je ne parle même pas des effets secondaires émotionnels: le petit pincement quand quelqu’un de ma génération se présente comme entrepreneur/auteur/sélectionné Forbes 30 Under 30. Cette solitude insidieuse en voyant des amis publier des stories de moments partagés sans vous. Cette peur et ce découragement face aux milliardaires et dirigeants qui laissent défiler les catastrophes. Cette culpabilité et ce chagrin, lorsque, une fois de plus, votre fil numérique se remplit d’images insoutenables venant de Gaza.

« Si vous avez de la chance, il vous reste ce soupçon de bon sens. Cette petite voix dans votre tête qui chuchote que tout cela n’est pas normal. Que votre cerveau, petit et humain, a besoin de calme et d’espace. »

Il y a un peu plus d’un mois, j’ai décidé d’écouter cette voix. Dans un mélange de rumination et de résignation, j’ai supprimé toutes les applis de réseaux sociaux de mon smartphone. Un mois sans Instagram, sans algorithmes, sans boutons à dopamine: qu’est-ce que cela change chez un être humain? Est-ce qu’on en sort meilleur? Quel impact sur la santé, les relations, le bien-être mental? Et peut-être plus important encore: que se passe-t-il après ?

C’est à ces questions que j’ai voulu répondre. Je suis allée à l’Université de Gand, où j’ai rencontré la professeure Marie-Anne Vanderhasselt, experte du stress, ainsi que Sofie Van Hoecke, professeure à la faculté de médecine et des sciences de la santé. Pendant un mois, elles ont examiné mon comportement, mon stress, mes pensées ruminantes, la variabilité de ma fréquence cardiaque, mon sommeil et mes fonctions cérébrales. Pendant un mois, j’ai été cobaye au service de la science (et un peu aussi de moi-même).

Et qu’en est-il ressorti? Un mois sans distractions numériques est bien plus bouleversant qu’on ne l’imagine. Pas parce que la vie devient soudain magique — ce serait trop facile — mais parce que votre esprit se tait enfin. Et c’est alors que remontent à la surface des idées, de la créativité, une envie de faire, de mieux connaître ses voisins, de tendre la main.

Il ne s’agit pas ici d’un plaidoyer pour vivre en ermite. Mais pour quelque chose de plus simple: réapprendre, de temps en temps, à choisir délibérément ce qui mérite notre attention. Et ce qui ne le mérite pas.

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