Nicolas Balmet
Chronique | Le pique-nique consiste à «grignoter des choses sans valeur»
Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.
Une nappe à carreaux et un frigobox rempli de mets froids à partager. Un peu de rosé pour les grands et des Capri-Sun pour les mômes. Un parasol, parce que le soleil est parfois un brin insistant. Et une brise de printemps pour caresser les peaux, histoire de rendre le moment encore plus cool. Vous l’avez bien en tête, cette parenthèse bucolique qui annonce doucement l’arrivée de l’été? Vous l’entendez, Thomas qui éternue à cause des pollens, et Alice qui se plaint de la présence de guêpes en rappelant que son tonton a failli mourir à cause de ça? Alors vous entendez aussi Malik qui connaît le truc parfait pour les éloigner – le marc de café brûlé – et Valérie qui lui répond que, non, le mieux, ça reste le vinaigre blanc avec quelques gouttes de liquide vaisselle. Et vous écoutez bien sûr Juliette qui explique que, dans un reportage, elle a appris que la lavande faisait aussi des miracles.
Dans la plupart des cas, la discussion sur les guêpes est tellement animée que les gens oublient de se poser la seule question qui mérite vraiment d’être posée: d’où vient donc le «pique-nique»? De mon côté, j’avoue que cette interrogation a déjà surgi plusieurs fois dans mon esprit, mais que je n’ai jamais pris le temps d’entamer des fouilles approfondies. Une lacune également valable pour le «croque-monsieur» ou la «chauve-souris», mais bon, je n’ai qu’une vie et je ne souhaite pas la consacrer uniquement aux excentricités de notre chère langue française, sinon, je ne vois pas trop à quel moment je jouerais à Candy Crush.
Afin de nourrir cette chronique, j’ai (enfin) remué ciel et terre avec la minutie qui, l’air de rien, est en train de bâtir ma légende. Et il s’avère que les plus éminents spécialistes sont d’accord pour dire que la locution pique-nique résulterait de l’association du verbe «piquer» – dans le sens «picorer» du terme – et du mot «nique» désignant jadis une «chose insignifiante, dérisoire». Traduction: pique-niquer reviendrait grosso modo à «picorer des choses sans valeur». Bien entendu, je vous suggère de faire preuve de prudence avec cette info. N’allez pas dire à Antoine que son kombucha n’a aucune valeur, vous risqueriez de pourrir l’ambiance et, ainsi, de voler la vedette aux guêpes, ce qui aura le don de les énerver et c’est bien connu, il ne faut surtout pas énerver les guêpes, c’est d’ailleurs pour ça que le tonton d’Alice a failli y passer, il avait abusé sur le rosé et était convaincu de pouvoir tuer un essaim à coups de Justin Bridou.
Paradoxalement, malgré la modestie de son nom, le pique-nique s’est forgé sa réputation grâce à la bourgeoisie qui, dès le XVIIIe siècle, investit les parcs pour y déguster des joyeux repas dès l’arrivée des beaux jours. «Henrietta, il reste de la feta?» ou «Aristide, file-moi le cidre» sont alors des expressions (probablement) courantes. Mais le pique-nique prend une aura encore plus prestigieuse au XIXe siècle, notamment en Grande-Bretagne où il est organisé dans les somptueux jardins des palais. Cerise sur le château: les têtes couronnées font appel à des chefs de renom afin de pouvoir épater leurs convives lors de ces rassemblements en plein air dignes des grands banquets.
Au fil des siècles, le pique-nique se met à séduire toutes les classes sociales, et pour cause: qu’on y serve du caviar ou du taboulé, le plaisir est exactement le même. Mais c’est toujours en Angleterre qu’aujourd’hui, le pique-nique reste une véritable et immuable institution: chaque année, au mois de juin, nos amis d’Outre-Manche se réunissent en masse pour leur traditionnelle National Picnic Week, soit une semaine entière dédiée à l’art du «manger ensemble» et à la reconnexion avec la nature. Un peu comme si Manet organisait un gigantesque Déjeuner sur l’herbe mais en autorisant les femmes à venir habillées. Il paraît que l’ambiance y est champêtre et conviviale à souhait. Il faut préciser que cela fait belle lurette que les British ont trouvé un remède imparable contre les guêpes: ils emportent toujours un disque d’Ed Sheeran dans leur panier en guise de menace.
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