Lisette Lombé
Chronique | Parmi tous les silences, celui-là
Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.
Tempête de neige. Appel de la forêt. Aller me faire tremper. Me laver des tracasseries, m’alléger. Que la blancheur éclaire mes noirceurs intérieures et mes doutes. J’oublie mes gants et mon écharpe. Qu’importe ! Le froid me fera me sentir plus vivante. Ça piquera donc ça vivra. Et c’est la vie que je croise sur mon chemin.
Un jeune couple d’amoureux qui se poursuivent, se lancent des boules de neige, glissent sur le sol, s’esclaffent et s’embrassent. Magnifique tableau qui me renvoie à toutes les émotions qui me traversent en ce moment. Plus loin, une jeune femme, assise sur un banc, énigmatique, recouverte de neige. Situation étrange. Je lui demande si tout va bien. Elle me sourit, façon Mona Lisa, et me répond que tout roule. Je poursuis ma promenade en me demandant ce qui anime les jeunes d’aujourd’hui. Comment aime-t-on à 20 ans, en 2024 ? Comment souffre-t-on ? Comment se répare-t-on ?
Il y a aussi les chiens en manteaux et en chaussons, il y a les traineaux, les luges, les bonhommes de neige et les enfants qui, comme à la foire, pleurent pour ne pas déjà rentrer à la maison. Je suis contente d’avoir bravé les intempéries et de me sentir reliée à d’autres personnes qui ont suivi le même élan. Ce lieu, La Chartreuse, c’est mon poumon, mon refuge, ma rive calme. J’écoute le craquellement de la neige sous mes chaussures. Les questions affluent. Où se réfugient les écureuils par pareil temps ? Comment rester juste dans ma démarche artistique ? Comment retrouver l’inspiration qui a fait naître les textes précédents ? Qu’ont à m’enseigner les arbres qui étaient déjà là bien avant ma naissance ? Comment ne pas recommencer à courir en ce début d’année ? Ai-je souhaité mes bons vœux à toutes les personnes importantes pour moi ?
‘Quelle part de notre jeunesse résiste en nous ?’
Je croise un homme qui marche au ralenti, comme s’il portait une combinaison d’astronaute et se déplaçait dans un environnement hostile contrariant ses mouvements. Il me salue et me dit que c’est une victoire, cette marche. Après son AVC, il ne pensait plus pouvoir remarcher seul. Un joggeur nous dépasse. Caleçon jusqu’au-dessous des genoux, tatouages avec de grands hiboux sur l’arrière des mollets. Croisement symbolique de deux vitesses, de deux souffles. Et puis, un peu plus loin, il y aura ce groupe de jeunes, à proximité du terrain de basket. L’un d’eux est au sol. On le recouvre de neige comme on l’aurait recouvert de sable sur une plage en été. Ils rient. Je souris de ce rapport au froid qui évolue avec l’âge. Je suis emmitouflée sous de nombreuses épaisseurs. Méconnaissable.
J’aimerais téléphoner à une personne chère et plonger, avec cet être attentionné, dans la neige et dans la vie. Petit pincement au cœur. Est-ce qu’en vieillissant, on perd forcément son insouciance, son audace, sa légèreté ou est-ce plutôt une question de tempérament ? Quelle part de notre jeunesse résiste en nous ? Comment continuer à crépiter et à désirer ? Comment rester sensibles et curieux ? Comment préserver notre soif d’absolu ? Comment refuser que ne crament nos idéaux et que ne s’étiolent nos rêves ? Je voudrais pouvoir en reparler dans vingt, trente, cinquante ans même. Parfois, je m’imite vieille dame. Je fais ça bien. Ça me fait rire mais pas mes enfants. Ils me veulent dans le présent. Dans leur présent. Dans notre présent.
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