La fin des vacances approche, et vous avez bien pris le temps de vous ennuyer? Sachez que le monde entier a fait exactement pareil le 11 avril 1954. Explications de notre chroniqueur à peine moins paresseux que vous.
Plusieurs études confirment une tendance: la nouvelle génération s’ennuie plus que la précédente. On ne dirait pas, comme ça, à les regarder en train de faire scroller des vidéos d’influenceurs qui font des play-back sur la dernière daube chanson de Taylor Swift, mangent des cupcakes par le nez ou fabriquent des shampoings avec leur salive. Mais en fait, ça ne les divertit pas plus que ça, les djeuns. Pire: c’est même à cause de ça qu’ils s’ennuient comme des rats morts.
En gros, plus ils passent du temps sur leurs appareils numériques, à se goinfrer d’images, de notifications ou de likes, plus ils ont du mal à trouver du sens à cette surabondance, et plus ils sont blasés. La stimulation s’occupe du reste: vu qu’ils sont constamment exposés à des contenus énergisants, les activités qu’ils font (parfois) à côté se révèlent moins attrayantes à leurs yeux. Du coup, bardaf: ils se morfondent comme des âmes en peine, assommés par les affres du temps et le sanglot long de l’accablement, qui mènent leurs petits corps fragiles vers la lassitude et la désolation… − j’ai oublié de vous dire un truc, mais quand j’étais moi-même un brin plus jeune, j’écrivais des poèmes, j’étais super fan de Baudelaire, je pense que j’étais une sorte d’artiste incompris et torturé, mais bon, c’était pratique pour draguer les meufs, surtout que je ne faisais pas de guitare.
Bien sûr, les philosophes vont répondre que l’ennui, c’est très bien, car ça permet de prendre le temps de contempler ce qui nous entoure et, ensuite, de laisser sa créativité s’exprimer. Puis ça permet de penser à soi-même, de se demander comment on va vraiment et même, le cas échéant, de changer de direction – si jamais il y a des jeunes qui me lisent, je ne parle évidemment pas de changer de direction à GTA 6, ne faites pas semblant de ne pas comprendre, hein.

Bref! L’ennui, disais-je. Aaah, l’ennui! L’œil chargé d’un pleur involontaire, il rêve d’échafauds en fumant son houka, tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, qui… Pardon, je m’égare, ma jeunesse tente de me rapatrier dans ses contrées. Un peu de sérieux, maintenant. Et votre attention, s’il vous plaît. Vous me connaissez maintenant comme votre poche (non, pas celle où vous mettez vos mouchoirs usagés, l’autre). Et il se trouve que durant mes recherches sur l’ennui – j’avais du temps à perdre, tout cela est d’une extrême et affolante cohérence –, tout à coup, presque brusquement, je me suis retrouvé face à une information pour le moins étonnante: le 11 avril 1954 a été décrété comme «le jour le plus ennuyeux du XXe siècle». C’est une étude très sérieuse qui l’affirme: plusieurs millions de données d’événements ont été scrupuleusement analysées, et il s’avère que, ce jour-là, il ne se passa absolument rien d’intéressant dans le monde. Pas de naissance ou de décès de célébrités, rien de spécial sur le plan sportif, pas de rebondissement sur la scène géo-politique et pas de grève en France. Rien. Que dalle. Nada. Même pas un petit tweet de Trump pour mettre un peu d’ambiance.
Et vous savez le pire, dans tout ça? Non seulement le monde s’est ennuyé à périr le 11 avril 1954, mais en plus, c’était un dimanche.
Je ne vous raconte même pas la tronche des présentateurs du JT qui, face à un tel néant, ont dû improviser leur bafouille: «Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonsoir. Alors voilà. On est désolés, mais en fait, il ne s’est rien passé aujourd’hui. Ouvrez-vous une boîte de saucisses Zwan, allez promener votre chien ou faites un puzzle, comme vous voulez, mais nous, on n’a rien en stock. Allez, salut.»
L’ironie de l’histoire, dans le fond, c’est que cette journée ultrabarbante a fini par devenir une journée dont on parle encore aujourd’hui, plus de septante ans après. Voilà qui rejoint précisément ce que les philosophes nous martèlent: parfois, l’ennui, c’est très bien. Ça a quelque chose de doux, d’inspirant, voire de poétique. Vous ai-je déjà dit, à ce propos, que ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, traversé çà et là par de brillants soleils, le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils? Les meufs, contactez-moi en MP sur Insta.
 
		