Raphaël Liégeois, futur troisième Belge dans l’espace : « Je vais devoir réapprendre la lumière »

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08:00 Mise à jour le: 10:47

Il est neuroscientifique, pilote de montgolfière et astronaute. Alors qu’il s’apprête à rejoindre la Station spatiale internationale à l’horizon 2027, Raphaël Liégeois se prépare à une rupture fondamentale. Pas seulement celle de la gravité, mais celle du temps et de l’éclat. Entre la physique quantique, la poésie de Baudelaire et l’entraînement physique intensif à Cologne, rencontre avec un homme qui s’apprête à voir le soleil se lever seize fois par jour.

Le timbre est posé, l’élocution précise. Raphaël Liégeois possède une quiétude propre à ceux qui savent que leur vie est sur le point de basculer, mais qui en maîtrisent chaque paramètre calculable. Installé à Cologne, au Centre des astronautes européens, il vit (pour l’heure encore) une expatriation presque classique. Sa famille l’a suivi, on apprivoise l’Allemagne, on gère le quotidien à distance de la Belgique via WhatsApp. Une vie terrestre, certes, mais dans son agenda, le compte à rebours a commencé. Bientôt, il s’installera au sommet d’une fusée pour devenir le troisième Belge dans l’espace, succédant aux figures tutélaires que sont Dirk Frimout et Frank De Winne.

Pourtant, quand on l’interroge sur ce qui l’attend, ce n’est pas le feu des réacteurs ou le vide sidéral qu’il évoque en premier. C’est une variable plus subtile, plus insidieuse, qui traverse ses travaux de neuroscientifique comme ses rêves de voyageur : la lumière. « Je vais devoir réapprendre la lumière », glisse-t-il. La formule résonne comme une confession. Là-haut, à 400 kilomètres du sol, notre étoile ne sera plus ce métronome bienveillant qui rythme nos vies depuis l’aube de l’humanité. Elle deviendra un stroboscope céleste, une beauté furieuse qu’il faudra dompter.

Singapour et l’illusion de l’éternité

Pour comprendre ce rapport singulier à l’éclairage, il faut revenir sur Terre. Avant d’être astronaute, Raphaël Liégeois a été un chercheur, un voyageur. Il se souvient de ses années passées à Singapour, sur la ligne de l’Équateur. Là-bas, la lumière ne varie pas. Douze heures de jour, douze heures de nuit. Une stabilité parfaite, implacable.

« On ne voit plus les saisons passer », raconte-t-il. « Cette uniformité lumineuse m’a révélé ce que l’on ignore souvent : la lumière est une horloge. » Sans les jours qui raccourcissent en novembre, sans la mélancolie des crépuscules d’hiver, le temps lui-même semble se diluer. On perd la mesure du vieillissement du monde.

Cette expérience équatoriale résonne étrangement avec ce qui l’attend. Car, si Singapour est le règne de la stabilité, la Station spatiale internationale (ISS) sera celui du chaos cyclique. En orbite à 28 000 km/h, la station fait le tour de la Terre en 90 minutes. Le résultat est vertigineux : seize levers et seize couchers de soleil par tranche de 24 heures.

« La lumière naturelle ne pourra plus jouer son rôle primaire, celui de régulateur biologique », analyse-t-il froidement. Si un astronaute ouvre un volet au mauvais moment, son corps peut croire qu’il est midi alors qu’il est censé dormir. La gestion des hublots devient alors une discipline de survie, aussi cruciale que la gestion de l’oxygène. Il faudra vivre dans une nuit artificielle pour préserver son sommeil, tout en sachant qu’au-dehors, le spectacle permanent du monde continue de tourner.

« La lumière naturelle ne pourra plus jouer son rôle de régulateur biologique »

L’école de l’obscurité

Le paradoxe est saisissant : pour se préparer à cette surexposition, l’Agence spatiale européenne (ESA) entraîne ses envoyés… dans le noir absolu. Raphaël évoque le programme CAVES. Une plongée spéléologique de plusieurs jours, sous terre, loin de tout photon.

« Ce n’est pas obligatoire pour l’ISS, mais c’est un exercice fascinant », explique-t-il. Plongé dans les entrailles de la Terre, le corps cherche ses repères. L’absence totale de lumière devient un laboratoire pour l’esprit. C’est là, dans le silence minéral, que l’on comprend la fragilité de nos rythmes circadiens. Il faut avoir connu le noir complet pour apprécier, ou redouter, la puissance du soleil. Raphaël Liégeois ne craint pas ce dérèglement, il l’étudie. Avec la confiance du scientifique qui sait que la machine biologique est résiliente, pourvu qu’on la respecte.

Un corps en chute libre

La lumière n’est pas le seul élément physique à réapprendre. À cela s’ajoute la gravité, ou plutôt son absence. Avec une précision de physicien, Raphaël tient à corriger le vocabulaire. On parle de microgravité, d’impesanteur, mais la réalité physique est celle d’une « chute libre permanente ». L’ISS tombe autour de la Terre, et ses occupants tombent avec elle.

Cette chute sans fin a un prix. Sans la contrainte du poids, le corps s’effrite. « On peut perdre 10 à 15 % de densité osseuse, soit ce qu’une personne âgée perd en vingt ans sur Terre », précise-t-il. L’ISS n’est pas un hôtel avec vue, c’est une salle de sport orbitale. La prescription est non négociable : deux heures d’exercice quotidien.

Il se prépare donc. Il court, il pédale. Il s’imagine déjà sur ce tapis de course mural, attaché par des élastiques pour ne pas s’envoler à chaque foulée, ou sur ce vélo sans selle. « Il ne s’agit pas de devenir un marathonien, mais de maintenir la machine en état de marche. » L’astronaute est un athlète de la maintenance, sculptant ses muscles non pour la performance, mais pour contrer l’effacement.

Les fentes de Young et la poésie du monde

C’est ici que Raphaël Liégeois surprend. On s’attendrait naïvement à un technocrate de l’espace, un exécutant de procédures complexes. Illusion totale : grattez la surface du scaphandre, et vous trouvez un poète, un amateur de philosophie, un homme qui cite Baudelaire de mémoire.

« Les soleils couchants revêtent les champs, les canaux, la ville entière, d’hyacinthe et d’or. »

Il récite ces vers de L’Invitation au voyage, avec une ferveur touchante. Pour lui, la lumière n’est pas qu’un phénomène électromagnétique, c’est une émotion. Il évoque ses vols en montgolfière, ce moment suspendu de l’aurore où « la nuit prend feu ». Il aime que la magie opère, même quand on en connaît les ficelles.

Son enthousiasme devient contagieux lorsqu’il aborde un sujet inattendu pour le grand public : les fentes de Young. Cette expérience de physique fondamentale, réalisée lors de son master, reste pour lui « l’une des plus belles choses qui existent ». Concrètement, elle révèle un vertige : tant qu’elle n’est pas observée, la lumière se comporte comme une onde et passe par deux fentes à la fois ; dès qu’on tente de la regarder, elle se fige pour redevenir une particule unique.

Traduction ? La réalité change selon qu’elle est vue ou non. « Cela remet en question notre manière de percevoir le monde », s’enflamme-t-il. L’observateur n’est pas neutre. Il participe à la réalité. C’est peut-être la clé de sa future mission. Raphaël Liégeois ne monte pas là-haut simplement pour réaliser des expériences sur des fluides ou des matériaux. Il y va pour être cet observateur qui change la réalité en la regardant.

L’espace comme miroir, non comme conquête

À l’heure où les milliardaires américains et les superpuissances asiatiques parlent de bases lunaires et de colonisation martienne, le Belge défend une tout autre vision. Interrogé sur la « conquête » spatiale, il marque un temps d’arrêt. Le mot lui déplaît. « En Europe, on explore pour le bénéfice de l’humanité », corrige-t-il. Il refuse la rhétorique guerrière ou impérialiste. Pour lui, l’ISS est un miracle diplomatique, née des décombres du Mur de Berlin, un lieu où d’anciens ennemis ont appris à flotter ensemble. C’est un sanctuaire de coopération qui doit survivre aux tensions terrestres.

Il aborde son voyage avec ce qu’il appelle joliment un « esprit naïf ». Non pas ignorant, mais ouvert. Il ne veut pas être formaté par les récits des autres. Il sait que la « Vue d’Ensemble » (l’Overview Effect), ce choc cognitif ressenti en voyant la Terre comme une bille fragile dans le noir, l’attend. « Difficile d’être insensible », admet-il. « Voir la Terre de l’extérieur touche au scientifique, au philosophique, voire même au spirituel. » Il espère que cette vision agira comme un miroir, nous renvoyant à notre finitude et (plus important encore) à notre lumineuse unité.

La Belgique « est un plaisir (et doit le rester) »

La phrase des Snuls n’est pas choisie par hasard. Dans cette odyssée, il emportera un peu de nous. S’il avoue avoir suivi les exploits de Dirk Frimout avec des yeux d’enfant, sans se soucier de savoir s’il était flamand ou francophone, Raphaël Liégeois se sent aujourd’hui investi d’une responsabilité nationale. L’expatriation a ceci de paradoxal qu’elle renforce les racines. « Je me sens plus Belge que Wallon », confie-t-il. Il veut incarner cette Belgique qui ose, qui rêve et qui s’unit, au-delà des clivages.

Dans sa cabine de la taille d’une cabine téléphonique, glissé dans son sac de couchage accroché à la paroi, Raphaël Liégeois fermera les yeux. De l’autre côté du hublot blindé, le soleil se lèvera et se couchera, encore et encore, indifférent à la fatigue des hommes. Pourtant, à l’intérieur, le troisième astronaute belge poursuivra sa quête. Celle d’un homme parti chercher la lumière, non pour la posséder, mais pour se laisser traverser par elle. Pour comprendre, enfin, ce qu’elle a à nous dire quand elle n’est plus une habitude, mais un éternel étonnement.