On pense la connaître. C’est un leurre. Pour le photographe français Yann Mathias, la lumière n’est pas un simple outil visuel, mais une matière vivante, un langage sensible. Rencontre avec un artisan du clair-obscur qui sculpte l’ombre et transcende les règles.
Rewrite the Rules of Light est une série réalisée en collaboration avec VELUX. Rendez-vous les mois prochains pour de nouveaux invités. Tous les articles de ce dossier sont disponibles via ce lien.
Sage, docile, fonctionnelle, la lumière ? On lui assigne tant de rôles : exposer, mettre en valeur, chasser l’ombre. C’est peut-être oublier qu’elle n’est pas qu’une technicienne du visible, mais une complice du vivant. Lorsqu’elle est libre de circuler, elle façonne les visages, apaise les lieux, transforme les espaces. Sa voix ancienne murmure à celles et ceux qui savent l’écouter. Yann Mathias est de ceux-là. Depuis 1995, il ne traque pas la lumière. Il l’invite, la modèle et la transforme en intention. Pour lui, l’image n’est pas une capture, mais une mise au monde du sensible. Son travail, qu’il s’exerce en studio ou en noir et blanc,obéit aux règles, mais n’hésite jamais à les réécrire, à s’en détacher, à la faveur d’une vérité plus intime.
La lumière n’est pas un effet
« Le travail du photographe est essentiellement la maîtrise de l’ombre par la lumière, de véritables noces alchimiques », nous confie Yann Mathias. Cette phrase semblerait ésotérique si elle ne décrivait pas, avec une clarté rare, ce que tant de photographes ressentent sans savoir le formuler. La lumière existe uniquement par contraste. Elle révèle parce qu’elle affronte l’ombre.
Dans l’univers de Yann Mathias, la lumière n’est pas un effet, mais un acte. En studio, il ne se contente pas d’orienter un projecteur ou de choisir une température de couleur. Il sculpte, comme un artisan, la lumière et son contraire. Il fabrique même ses propres modeleurs, ses propres outils de façonnage lumineux. Chaque faisceau devient un pinceau, chaque reflet une note d’intention. « J’aime dire qu’en studio, je peins avec la lumière. Ainsi, je donne vie, je souligne et crée des formes pour guider l’œil et mettre en valeur la personne ou l’objet que je photographie. »
Cette relation intime à la lumière, presque charnelle, n’est pas une posture. C’est un langage. Une manière de dire sans mots, d’écrire sans phrases. Là où d’autres parlent d’exposition, lui évoque une grammaire intérieure, une syntaxe du regard.
La lumière, ce langage intime
Yann Mathias enseigne la photographie depuis 1996. Il a accompagné plus de 2000 élèves, mais chacun de ses cours débute par une mise en scène simple et frappante. Sa main, à moitié plongée dans l’ombre, est révélée par une feuille blanche. Premier miracle. « Voici votre première rencontre avec la lumière, voici l’essence même de la photographie. »
Pour lui, la technique est une exigence. Non pas une contrainte, mais une clef. La lumière ne se devine pas. Elle se mérite. « La photographie est un langage, chaque langage a ses règles, et si on ne les maîtrise pas, il est impossible d’être compris. »
Cette rigueur n’est jamais rigide. Yann Mathias adapte son discours selon les profils, mais jamais, il ne cède à l’illusion du « feeling » pur. À ses yeux, la lumière exige un apprentissage. Elle est non seulement l’alphabet, mais surtout la respiration de l’image.
Une lumière sans artifices
Chez Yann Mathias, le regard précède toujours la technologie. Le choix de l’outil n’est jamais un caprice, mais un prolongement de l’intention. Il cherche des appareils sobres, précis, débarrassés du superflu. Ceux qui laissent la lumière circuler sans filtre, sans distraction. Ceux qui respectent le silence du sujet. « Une molette de sensibilité, un barillet de vitesse et une bague de diaphragme. Il n’y a rien besoin de plus, au bout du compte. »
Ce dépouillement volontaire, ce retour à l’essentiel, donne toute sa place à la lumière. Elle n’est pas un effet : c’est la structure même de l’image. Chaque variation de l’ombre devient respiration. Chaque faisceau se fait invitation à ralentir, à voir autrement. « Ce que je cherche à capturer, ce n’est pas la lumière brute. C’est ce qu’elle raconte, ce qu’elle murmure à ceux qui prennent le temps de la regarder. »
Cette exigence de simplicité, d’élégance fonctionnelle, résonne avec son besoin de cohérence : dans les outils comme dans les espaces, la lumière doit pouvoir s’installer, modeler, transformer. Elle est autant révélation du monde que révélateur de soi.
On peut révéler, mais jamais dominer la lumière
Contrairement aux photographes de l’extérieur qui « chassent la lumière », Yann Mathias se dit « cueilleur ». En studio, il la crée. Dans la vie, il l’accueille. Il ne cherche pas à la dominer, mais à l’accompagner. « La chasse manque un peu de poésie et de magie à mes yeux. Ainsi, j’aime les rencontres fortuites avec la lumière. »
Photographe de mariage pendant des années, il garde un souvenir intense de ces instants d’équilibriste entre le blanc d’une robe, le noir d’un costume, l’ombre d’une église et la dureté d’un soleil d’été. La lumière, ici, n’était pas un décor, mais le sujet. « Le photographe de mariage, c’est le Saint-Michel terrassant et maîtrisant la lumière ! »
L’obsession du noir et blanc : mettre en scène la lumière, et rien qu’elle
Chez lui, la couleur est parfois un bruit. Une distraction. Voilà pourquoi il préfère le noir et blanc, une forme de lumière nue. Une quête de pureté visuelle. « Le noir et blanc, c’est uniquement la luminance sans la chrominance. C’est ce qui me parle le plus dans ma quête de la maîtrise de la lumière. »
Il va jusqu’à utiliser un appareil à capteur monochrome Leica M, marque dont Mathias est l’un des principaux ambassadeurs français, renonçant totalement à la couleur. Citant Jacques Tati : « Trop de couleurs distraient le spectateur. Photographier en noir et blanc, c’est trier dans le visible. ».
Ce que l’IA ne verra jamais
Face aux outils d’intelligence artificielle, Yann Mathias ne cède pas à l’enthousiasme aveugle. Ainsi, il craint que ces technologies, en facilitant trop la création d’images, nous fassent perdre la compréhension intime de la lumière. Le regard s’éduque et ne se simule pas.
« La lumière fait la photographie. Embrasse-la. Admire-la. Aime-la. Mais surtout, connais-la. » Cette phrase, empruntée à George Eastman, le fondateur de Kodak, résume sa philosophie. Yann Mathias n’utilise pas la lumière. Il la respecte. Il la comprend. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, et plus que jamais, il l’enseigne comme une langue ancienne, sacrée, qui ne se transmet que par passion.
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