Emma Dupont et Emma Moortgat, deux stars au firmament du cinéma belge: “sur le plateau, tu ne peux pas tricher”
Elles ont 17 et 28 ans. L’une vient du Nord et l’autre de Bruxelles. Emma Dupont et Emma Moortgat sont toutes les deux à l’affiche du film The last front. L’occasion pour nous de réunir, le temps d’un shooting, deux jeunes actrices en devenir.
Les tournages de cinéma sont comme des mini-mondes en parfaite autarcie. Leur temps n’est pas le nôtre. Il s’y dilue sur des semaines entières. Et traverse même les siècles pour conter des histoires qui nous touchent en plein coeur. En coulisses, la vie, la vraie, bourdonne entre les plans. Des amitiés s’y tissent parfois, nées de rencontres improbables qui ricochent au gré des projets.
Emma Dupont, 17 ans, et Emma Moorgat, 28 ans, se sont croisées pour la première fois sur le set du film The last front qui est sorti le 7 février sur nos écrans. Dans ce long-métrage en anglais du Belge Julien Hayet-Kerknawi, la première joue la fille de Léonard Lambert, un paysan flamand incarné par Iain Glen. L’arrivée des Allemands en août 1914 fera chavirer le vie de tous les habitants du village, y compris celle de Maria, la femme du boulanger à qui Emma Moortgat prête ses traits.
Nos deux Emma l’ignorent alors, mais leurs pères se connaissent. Lorsque les deux hommes se croisent par hasard, ils parlent de leurs filles bien sûr, réalisent qu’elles travaillent justement ensemble.
Et leur envoient en plein tournage un portrait d’eux, tenant à la main leurs téléphones, arborant sur l’écran une photo d’elles sur le set. La glace n’avait même pas besoin de ça pour être brisée.
Microcosme bienveillant
Dix-huit mois plus tard, par un matin de janvier engourdi par la neige, alors qu’elles trépignent toutes deux d’impatience à l’idée de découvrir ce film qu’elles n’ont pas encore vu, les voilà réunies à nouveau le temps d’un shooting exclusif pour Le Vif Weekend.
Un autre genre de microcosme qui met en scène cette fois cette complicité sororielle vite retrouvée, souvenir de ces instants passés ensemble dont elles se souviennent avec fierté.
“Les jeunes acteurs ne savent pas tricher, c’est au fond d’eux qu’ils puisent ce qu’ils ont à donner.” Emma Moortgat
« J’étais l’une des plus jeunes, j’avais 16 ans alors, dans un casting d’adultes, rappelle Emma Dupont. Bien sûr, il y a toujours une petite appréhension avant de commencer. Mais je me suis sentie tout de suite à ma place, l’ambiance était très bienveillante. C’était mon tout premier film d’époque, en costumes, dans un cast international. »
Entre le moment où la jeune fille est choisie et le tournage lui-même, les années ont filé, le Covid est passé par là. « Johanna, mon personnage, était toujours un peu dans ma tête, confie-t-elle. Je savais ce qui allait lui arriver (NDLR : sans rien divulgâcher, on la découvre dans le trailer menacée par des soldats allemands).
Je l’ai peu à peu peu apprivoisée, même si je n’ai heureusement jamais rien connu de pareil. Ce rôle, en anglais qui plus est, c’est une chance inouïe. J’ai appris tellement de choses. Entre les prises, nous discutions beaucoup, Emma et moi. Je pouvais compter sur ses conseils et ceux des autres actrices qui composaient notre petit groupe de villageois. Les regarder jouer aussi : tout cela ne m’apportait que du bien. »
Un point de vue plus que partagé par sa sœur d’armes sur le set. « Comme actrice, on se doit d’être sensible à ce qui se passe autour de nous, pointe Emma Moortgat. On développe des capteurs d’émotions. C’est ce qui nous aide finalement à nous mettre à la place de l’autre, de ce personnage auquel on donne vie et qui n’est pas nous.
Il y avait quelque chose de très beau à voir Emma devenir Johanna et ressentir sa peur. Une grande pureté. Les jeunes acteurs ne savent pas tricher, c’est au fond d’eux qu’ils puisent ce qu’ils ont à donner. Ils ont en cela beaucoup à nous apprendre. »
Passion d’enfance
Les deux comédiennes ont su très jeunes, toutes les deux, que leur vie passerait par le jeu et tracent chacune leur route à leur manière. Emma Dupont, fille de acteurs Charlie Dupont et Tania Garbarski, a grandi sur les plateaux. En décembre dernier, les spectateurs français ont aussi pu la voir aux côtés de son père dans Le Nouveau, un téléfilm doux-amer dont Charlie Dupont cosigne aussi le scénario.
« J’ai du mal à me rappeler de mon premier souvenir de coulisses, sourit-elle. Le théâtre et le cinéma font partie de ma vie depuis que je suis toute petite. Etre comédienne, pour moi, c’était un métier comme un autre finalement. Une option en tout cas. Qui peu à peu est devenue une passion. Mes parents ne m’ont jamais poussée vers les castings, maman surtout voulait que je me rende compte que bien sûr c’est un job génial mais difficile aussi. »
Pour Emma Moortgat, le choix sera moins organique. Mais tout aussi déterminé. « Enfant déjà, j’adorais me mettre en scène, prendre la parole, se souvient-elle. Il y a peu, j’ai remis la main sur des carnets dans lesquels j’avais noté à 10 ans ce que je voulais devenir plus tard. J’avais écrit « actrice ». C’était en moi, depuis toujours. »
Celle qui crève l’écran aujourd’hui dans la série Knokke Off sur Netflix dont la saison 2 est déjà annoncée vient d’une famille d’entrepreneurs qui, sans vraiment la décourager, l’ont d’abord questionnée sur sa vocation.
Emma Dupont en bref
2006. Naissance le 14 février.
2012. Emma tourne pour la première fois dans le film Je te survivrai de Sylvestre Sbille qui sort sur les écrans deux ans plus tard.
2022. Début du tournage en septembre du film The Last Front du Belge Julien Hayet-Kerknawi dans lequel Emma incarne la fille de Iain Glen.
2023. Emma tourne Le nouveau en juillet et en septembre elle commence la préparation des concours d’entrée. Ce téléfilm, coscénarisé par son père Charlie Dupont, est diffusé pour la première fois le 21 décembre.
2024. The Last Front sort le 7 février. Emma terminera le lycée en juin.
« Mes parents sont plutôt rationnels, ils se demandaient si j’était vraiment faite pour ce qu’ils appelaient « une vie d’artiste », poursuit cette Gantoise, élevée en français et en néerlandais, deux langues qu’elle maîtrise à la perfection. J’ai d’abord entrepris des études de commerce, à Bruxelles puis à Londres au terme desquelles j’ai voulu tenter ma chance comme comédienne. Mon père et ma mère ont embrayé tout de suite. Pour eux, si j’allais essayé, il fallait que je m’y consacre à 100%. »
Après 3 ans de cours Florent, à Paris, Emma revient en Belgique, persuadée d’y avoir une belle carte à jouer. « J’avais le sentiment que l’on donnait ici plus facilement une chance aux jeunes comédiens, justifie-t-elle. Même sans expériences. Que les castings y étaient plus ouverts. »
Une intuition qui sera la bonne. En 2022, elle tire le gros lot, un rôle principal dans Dertigers, nouvelle génération, série à succès produite par la VRT dont le tournage de la troisième saison va bientôt démarrer.
Emma Dupont, elle, est à l’aube du grand saut. Etudiante au lycée français, à Bruxelles, en section théâtre, elle suit le soir des cours de déclamation et d’art dramatique, de piano aussi, enchaînant plus d’une dizaine d’heures de pratique artistique par semaine.
Avec le bac en ligne de mire, elle prépare en parallèle les concours d’entrée de plusieurs écoles prestigieuses à Paris et à Londres.
“Le théâtre et le cinéma font partie de ma vie depuis que je suis toute petite.” Emma Dupont
« J’ai trop hâte, s’exclame-t-elle. J’adore mon lycée, je m’y suis toujours sentie soutenue quand des projets de tournage se sont présentés. Bien sûr, il fallait que mes notes suivent. Pour mes parents, c’était essentiel que je termine mon cursus. Mais là, j’ai vraiment envie de me consacrer à fond à ma passion, sans plus aucune contrainte de temps. »
Une voie dans laquelle sa sœur aînée Lily, elle aussi comédienne, pourra à coup sûr l’épauler. « Nous sommes hyper proches, glisse-t-elle. Nous avons été élevées avec les mêmes repères, nous avons vu les mêmes films, les mêmes pièces avec nos parents. On s’aime trop pour être en concurrence. »
Partage d’expériences
Dans un milieu que l’on dit décrit souvent comme ultra compétitif, nos deux Emma préfèrent jouer la carte de la sororité.
« Je suis quelqu’un qui par nature recherche plutôt le contact, la collégialité, pointe Emma Moortgat. Même avec des filles qui me ressemblent physiquement et face à qui je pourrais briguer un même rôle, je préfère partager mes expériences. Pareil quand je travaille avec des comédiens plus jeunes. C’est sans doute mon côté grande sœur – à la maison aussi, j’ai deux frères et le plus jeune a dix ans de moins que moi – que l’on peut voir à l’œuvre dans la série Knokke Off. C’est un rôle qui me va plutôt bien. Jusqu’ici d’ailleurs, ce sens du collectif m’a réussi : seul on va plus vite, ensemble on va plus loin, c’est une devise en laquelle je crois fortement. »
Emma Moortgat en bref
1995. Naissance le 27 décembre.
2013. Emma se lance dans un bachelier en gestion de l’entreprise à l’ICHEC, à Bruxelles, qu’elle termine en 2016. Elle s’inscrit ensuite à la London School of Economics (LSE) et décroche en 2018 son Master en International Management.
2018. Elle s’installe à Paris pour suivre des études de théâtre au célèbre Cours Florent dont elle sort diplômée en 2021.
2020. Elle décroche un premier rôle dans le film Dealer de Jeroen Perceval qui sort l’année suivante.
2022. Les choses s’accélèrent pour Emma qui obtient un rôle récurrent dans deux séries qui cartonnent, Dertigers et Knokke Off. En septembre, elle rencontre Emma Dupont sur le tournage de The Last Front où elle incarne Maria, la femme du boulanger.
2024. The Last Front sort le 7 février.
Si les tournages déjà prévus lui en laissent le temps, celle qui ne boude pas son plaisir à faire de temps à autre un peu de mannequinat se verrait mettre à profit sa maîtrise et son amour des deux cultures de notre petit pays pour tisser des ponts entre les deux communautés que tout semble parfois diviser.
Et de citer en vrac des réalisateurs comme Lukas Dhont qui draine dans ses films la crème du cinéma belge. Ou encore Baloji que la Belgique avait mandaté pour l’Oscar du meilleur film étranger aux Oscars, avec Augure.
« Nous vivons dans un monde anxiogène où l’on nous pousse à nous tourner vers ce que nous connaissons, regrette-t-elle. Mais je crois justement que ce sont les changements et les différences qui nous enrichissent. Un acteur ne devrait jamais perdre son humanité. Quoi qu’il arrive de bien ou de mal autour de moi, j’essaye toujours de comprendre et de me mettre à la place de l’autre. J’aspire à travailler avec des gens qui unissent, qui nous regroupent au delà de nos cultures et nos croyances. Le travail de Miet Warlop, metteuse en scène et plasticienne belge, en est un autre bon exemple. Dans sa pièce One Song, acteurs et spectateurs font partie d’un même jeu et celui-ci est universel et nous rappelle notre condition humaine. »
Des personnages légendaires
D’ailleurs, quand on leur parle de planches, les yeux d’Emma « M » comme d’Emma « D » pétillent, c’est ainsi que les ont rapidement surnommées stylistes et photographes chargés d’immortaliser le temps d’une journée leurs aventures très couture.
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« Sur scène, tu ne peux pas tricher, c’est à la fois terrifiant et tellement excitant », s’exclame la première, confortée par la seconde qui entre les cours du lycée et ceux de l’académie vit et rêve à travers les mots de Shakespeare, Tchekhov et Marivaux.
Face à ces personnages devenus légendaires qui lui tendent les bras, Emma Dupont ne veut pas choisir. Et ne semble jamais rassasiée de regarder les autres. « Dès que le peux, je file au théâtre, s’amuse-t-elle. Si je suis à Paris, je peux aller voir jusqu’à trois pièces par jour. Je veux tout essayer. » Et tout semble possible a qui peut oser.
Stylisme: Vincent Van Laeken
Photo: Athos Burez
Assistant photo: Bob Meylaerts
Coiffure et maquillage: Sanne Schoofs pour M.A.C Cosmetics
Assistante maquillage: Agnes den Engelsman
Assistante stylisme: Nathalie Klockaerts
Coordination: Ellen De Wolf
Remerciements à l’Hotel Mix à Bruxelles pour le décor. mix.brussels
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