Pour Lio, « la vie est une tragédie », et même après 44 ans de carrière, elle a toujours peur

© Laetitia Bica
Anne-Françoise Moyson

Nous avions rencontré Lio, 62 ans, alors qu’elle s’apprêtait à monter sur scène à Bruxelles, au TTO, dans Playlist d’Albert Maizel, joué dès le 17 octobre prochain. Et si elle a finalement été remplacée in extremis pour « raisons personnelles », notre entretien avec elle n’en reste pas moins fascinant. Elle a la peur au ventre et la puissance de celles qui tentent de rester debout, cheveux courts et verbe haut. Interview.

Travail d’équipe

J’ai peur. Peur de ne pas être à la hauteur, de flancher, de ne pouvoir aider mes enfants et ma mère malade. Peur aussi de décevoir mes partenaires dans cette pièce de théâtre. Je ne veux pas les manger, parce que je sais que je prends une place étrange – en 44 ans de carrière, il y a plein d’autres choses extérieures à l’art et à mon métier qui ont fait Lio. Et ça parfois, cela mange mes partenaires. Et je ne veux surtout pas que cela arrive, je sais ce que c’est de porter un projet, à quel point on se donne et à quel point c’est un travail d’équipe.

Ne pas se taire

Merci à celles qui nous font voir clairement ce qui se passe. Merci à Chloé Thibaud qui a écrit un essai Désirer la violence, Ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer et que j’ai préfacé. Le sujet de la violence patriarcale est inaudible depuis si longtemps… Et pourtant, je l’ai dit – en 2004, déjà, dans le livrePop Model, je parlais de moi et de Marie Trintignant. J’avais eu la chance de ne pas mourir, je ne pouvais pas me taire. Et j’ai continué. J’ai rongé mon frein, j’ai travaillé dans l’ombre, avec des associations, des think tanks d’avocates mais mon Dieu que c’était inaudible. J’attendais qu’une nouvelle génération s’empare de tout ça et déconstruise le discours patriarcal.

‘J’essaie de réparer autant que je peux là où j’ai merdé.’

Trio rock’n’ roll

On joue avec ce que l’on est. Et avec des règles extérieures aussi. Et c’est ce frottement qui fait l’étincelle. Dans Playlist, avec Riton Liebman et Erico Salamone, on interprète un trio qui ne s’est pas vu depuis longtemps et qui, à un moment unique, dans une existence absolument apocalyptique se retrouve au bout de quarante ans. Leurs rapports se font à travers la musique de leur adolescence, c’est drôle, touchant, ultra-enlevé, rock’n’roll quoi. J’y retrouve tout ce que j’ai connu dans les années 80, plein de bribes de ma vie, qui sont en fait celles de notre génération.

Etre parent

Le corps de la femme est éthique. Parce qu’il accueille son semblable et son différent et qu’il lui donne le meilleur de lui-même. N’est-ce pas la meilleure définition de l’amour? J’ai fait mes six enfants dans la joie de la vie. En pensant d’une manière enfantine que le monde allait devenir meilleur. Je me suis mis une grosse responsabilité sur le dos, c’est logique et normal, cela va avec le fait d’être parent. Mais je n’ai pas le sentiment de les avoir protégés comme il fallait. J’ai pris très à la légère le fait que des enfants puissent accepter sans problème quatre pères différents… J’essaie de réparer autant que je peux là où j’ai merdé.

Pop model

Je débaptise et rebaptise les gens qui m’énervent. Quand ils me déplaisent par des propos que je trouve pas nets, je change spontanément leur prénom. C’est devenu une blague avec ma manageuse. Ça m’est arrivé en travaillant sur mon nouveau projet de disque. Clairement, l’industrie de la musique n’attend pas une chanteuse pop de 62 ans. Elle a toujours été tenue par des hommes et je ne veux pas me replonger dans ce monde-là ni à ses conditions, comme si j’étais une pauvre débutante. Je veux le faire comme moi, en tant que nana, j’ai envie de le faire. A mon rythme.

Hurler

Etre ingénieuse, c’est avoir du génie en soi. Je suis ingénieuse, surtout quand je suis acculée. J’ai été violée à 10 ans par un ami de la famille dans la voiture où se trouvaient mes parents et ma petite sœur. Il a mis deux doigts dans mon vagin le temps d’un trajet, 40 minutes. J’ai essayé d’attirer l’attention de mes parents mais je n’osais rien dire… On s’est arrêtés dans une pâtisserie, on me demande quelle tarte je veux et moi, dans ma tête, je ne pense qu’à une chose: «Comment faire pour qu’au retour, il ne mette plus ses doigts?» Et j’ai cette idée de génie qui est de prendre ma petite sœur sur mes genoux. S’il essaie de me toucher, il la touche aussi. Et je peux alors hurler.

Plus belle la vie

La vie est une tragédie. Puisque à la fin on meurt… Donc à quoi ça sert de la prendre tragiquement? C’est redondant. Et c’est un manque d’élégance absolue. Je pense que le dernier jour de ma vie, comme Paul Eluard, je dirai que tout de même cette vie fut belle. Je me le souhaite en tout cas. Et je travaille à ça.

Playlist, au TTO Théâtre à Bruxelles. Du 17 octobre au 23 novembre. ttotheatre.com

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