Rencontre avec Aerin Lauder : « je suis le produit de mon environnement »

aerin Lauder
Aerin Lauder, digne héritière de sa grand-mère Estée Lauder
Isabelle Willot

Dans son dernier ouvrage, Aerin Lauder, petite-fille de la fondatrice du groupe Estée Lauder, partage sa passion des fleurs et de la décoration. Elle nous a fixé rendez-vous pour parler d’héritage et de transmission. Mais aussi de l’importance de trouver la voie qui ne soit qu’à soi.

Il suffit de discuter quelques instants avec Aerin Lauder pour comprendre qu’avec elle, aucun détail n’est laissé au hasard. Prenez l’élégant papier peint fleuri qui s’affiche derrière elle lorsqu’elle apparaît à l’écran pour notre entrevue. Il n’est pas sans rappeler les décors soignés mis en scène dans son dernier livre, Living with Flowers, ode à la passion qu’elle voue aux fleurs depuis sa plus tendre enfance.

Héritière de la légendaire Estée Lauder, Aerin Lauder a baigné dès l’enfance dans les sillages des essais de parfums de sa grand-mère. «Je suis vraiment le produit de mon environnement», concède-t-elle. Tout en revendiquant d’être parvenue à se construire un univers bien à elle dans lequel son amour des fragrances modernes et élégantes se conjugue avec un goût pour une esthétique «quiet luxury» peuplée de fleurs et d’objets raffinés.

Le souci du détail

En feuilletant avec elle les pages du livre, c’est le reflet d’une certaine Amérique – celle des grandes familles de la côte Est comme on les voit dans les séries télévisées – qui se dessine. Ici, rien d’ostentatoire, tout se joue dans les détails: un ruban, une assiette fleurie, une tapisserie couleur sable, un coquillage ramassé sur la plage. «J’ai pleinement conscience d’avoir la chance de vivre dans des environnements merveilleux, lâche Aerin Lauder. Mais, vous savez, il ne faut pas grand-chose – un objet que l’on aime, une simple fleur dans un vase – pour s’entourer de beau. Il suffit d’y prêter attention.» Démonstration.

Que signifie pour vous de porter le nom Lauder aujourd’hui?

Aerin Lauder. Je me sens fière. Vous savez, j’ai créé ma marque il y a douze ans, à peu près au même âge qu’avait ma grand-mère quand elle a lancé Estée Lauder en 1946. J’ai réalisé à quel point elle avait dû travailler dur et combien elle était créative. C’était une femme d’affaires extraordinaire. Qui a su transmettre sa passion à ses fils, à ses petits-enfants. Aujourd’hui, c’est mon fils aîné qui suit un programme de formation de deux ans dans l’entreprise. Il adore ça et s’y épanouit. La tradition familiale continue à s’écrire.

Pour Aerin Lauder, une maison sans photos de famille ou sans fleurs est comme une chambre d’hôtel.


Quand avez-vous pris conscience de cet héritage? Et du fait que vous n’apparteniez pas à une famille tout à fait comme les autres?

J’ai réalisé pour la première fois qu’Estée était Estée Lauder quand j’avais environ 12 ou 13 ans. J’avais emporté un gloss à l’école qui contenait des nacres de perle rose. Et nous étions toutes dans les toilettes en train de l’essayer. On adorait son iridescence. Et là, j’ai dit que c’était ma grand-mère qui l’avait créé. Nous étions toutes tellement excitées.

Photo de famille, avec Aerin Lauder au centre sur les genoux de son père.



Vos parents vous ont-ils encouragée à suivre la voie familiale ou au contraire vous ont-ils poussée à explorer d’autres directions?

Je suis vraiment le produit de mon environnement. J’ai baigné très jeune dans le parfum. Toute petite déjà, j’étais fascinée par les petits flacons de laboratoire que ma grand-mère avait en permanence sur son bureau. Mais le mantra de ma famille a toujours été: «Quoi que vous fassiez, faites-le bien et faites-le avec passion.» Au sein ou non de la société familiale. Pour moi cela s’est fait tout naturellement une fois que j’ai eu terminé mes études de communication à l’université de Pennsylvanie. Chaque été je travaillais pour une marque différente du groupe, je visitais les magasins, je rencontrais les parfumeurs. C’est comme cela que j’ai compris le business. Et j’apprends encore constamment.

Comment décririez-vous votre enfance?

J’ai eu la chance très jeune de découvrir le monde. Nous avons vécu à Vienne pendant presque deux ans lorsque mon père a été nommé ambassadeur sous Reagan en 1988. Notre famille était très soudée et nous avons toujours beaucoup voyagé tous ensemble, également avec mes grands-parents. Nous allions les voir dans leur maison à Palm Beach et nous les accompagnions aussi en Europe. C’est avec ma grand-mère que je suis allée à Paris pour la toute première fois. Elle vivait dans le sud de la France tout l’été et à Londres au printemps. Aujourd’hui quand je retourne dans ces endroits en voyage d’affaires, je me sens toujours un peu chez moi.

Aerin Lauder avec sa grand-mère Estée au Plaza à New-York


Pouvez-vous nous raconter le souvenir d’un moment passé avec votre grand-mère qui la décrirait parfaitement?

Si je souris c’est parce qu’en me voyant hésiter entre deux pâtisseries – je n’arrivais jamais à choisir entre un millefeuille et un éclair –, elle m’a dit: «Prends les deux.» C’était impossible avec ma mère! Je suis tellement heureuse sur cette photo et ça se voit.

Elle aimait la vie et elle était gourmande. Elle avait toujours des chocolats dans sa chambre. Et elle m’en proposait tout le temps en me disant: «C’est bon et ça aide à réfléchir.» Mais je repense surtout à cette photo que j’ai de nous deux prise à l’hôtel Plaza à New York où nous allions prendre le thé.

Aerin Lauder bio express

  • Naissance à New York en 1970.
  • En 1992, diplômée en communication de l’université de Pennsylvanie, elle rejoint l’entreprise familiale au sein du département marketing
  • Elle lance en 2012 sa propre marque, Aerin, dédiée à la beauté, au parfum et à l’art de vivre.
  • Elle publie en 2013 Beauty at Home, son premier livre, qui explore son univers. D’autres ouvrages suivront, notamment chez Assouline, affirmant sa place dans le paysage du lifestyle international
  • En 2025, dans son dernier ouvrage Living with Flowers, elle partage son amour des fleurs et ses idées créatives pour les faire entrer dans la maison.

Avez-vous gardé des objets familiers qui vous font tout de suite penser à elle?

Ses poudriers. Je pense notamment à l’un de nos modèles iconiques avec un motif de peau de crocodile embossé dans le capot en métal doré. Ils symbolisent vraiment son style et qui elle était. Elle en avait dans tous ses sacs. Et j’utilise encore toujours certains de ses anciens sacs magnifiques. Quand je les ouvre, ils sont là, souvent avec un rouge à lèvres. Je les y laisse pour qu’ils m’apportent de l’énergie positive et qu’ils me portent chance.

Si vous deviez la résumer en un mot?

C’était une travailleuse acharnée! Elle a commencé avec juste quelques produits, qu’elle présentait elle-même dans les salons de coiffure, en profitant du fait que les femmes étaient immobilisées sous le casque des sèche-cheveux. Elles n’avaient pas le choix, elle devait essayer puisqu’elles ne pouvaient pas partir. Et beaucoup se laissaient séduire. C’est cette détermination qui lui a permis de créer à partir de presque rien un empire extraordinaire. Elle incarne vraiment une certaine idée du rêve américain.

Les fleurs sont au coeur des compositions de parfums d’Aerin Lauder.

Quel est le meilleur conseil qu’elle a pu vous donner?

En plus d’être ma grand-mère bien sûr, c’était une mentore merveilleuse et une amie. Pour elle, il était important de toujours rester fidèle à soi-même. Si vous regardez sa marque, et celles avec lesquelles plus tard nous avons collaboré – Frédéric Malle, Jo Malone, Crème de la Mer… – ce ne sont pas des suiveuses. C’est elle aussi qui m’a parlé la première de l’idée de créer un dressing de parfums. Pour elle, comme cela allait de soi de ne pas porter la même robe pour jouer au tennis ou aller à un dîner formel, il en allait de même pour les fragrances.

Et aujourd’hui, ce vestiaire compte 24 parfums. Quel est celui qui vous ressemble le plus?

Mon oncle dit toujours qu’il ne faut jamais choisir un favori. C’est comme choisir un enfant préféré (rires).

Oui mais il doit bien y en avoir eu vers lequel votre main se tend le plus souvent, non?

Je dirais Rose de Grasse, c’est l’un des tout premiers que j’ai lancés et pour moi cette rose pâle est le symbole de l’amitié et de l’amour. Il me rappelle le jour de mon mariage. Je me suis mariée un 1er juin, je portais des gardénias blancs dans les cheveux et je tenais un bouquet de muguet.

Le parfum Rose de Grasse rappelle à Aerin Lauder le bonheur du jour de son mariage

Il me replonge dans de merveilleux souvenirs. Après, j’adore aussi porter Tubéreuse Le Soir, qui est construit autour d’une tubéreuse d’Inde. Il est plus opulent, plus luxueux.

Dans votre dernier livre, on vous voit dans des décors sublimes que l’on associe à une certaine idée de la success-story à l’américaine. Avez-vous parfois l’impression de vivre un rêve éveillé?

Définitivement oui. J’ai pleinement conscience d’avoir la chance de vivre dans des environnements merveilleux. Mais, vous savez, tout au long du livre, vous verrez aussi beaucoup de petits détails. Un objet que l’on aime, une simple fleur posée sur le bureau, il n’en faut pas plus pour s’entourer de beau. Il suffit d’y prêter attention.

Pour Aerin Lauder, les petits détails de la décoration peuvent faire toute la différence.

Les fleurs sont au cœur de cet ouvrage et plus largement de votre vie. D’où vous vient cet engouement pour elles?

Si j’ai dédié ce livre à ma mère, c’est parce qu’elle a été la première à me transmettre l’amour de la nature. J’ai grandi entourée de magnifiques plantes et de fleurs. Quand j’étais petite, lors des fêtes d’anniversaire, elle mettait toujours dans les petits cadeaux que l’on offrait aux invités un plan de géranium.

A l’époque, ça m’embarrassait, j’aurais préféré qu’elle y glisse des bonbons ou des jouets. Mais elle voulait un présent qui dure longtemps. Et elle avait raison. Quand mon livre est sorti, une de mes plus vieilles amies m’a écrit pour me rappeler cette anecdote et le plaisir qu’elle avait eu à recevoir cette fleur.

On vous connaît aussi pour votre passion pour la décoration qui se traduit également dans votre marque Aerin qui propose aussi des objets. C’est une affaire de famille?

Quand j’étais petite, mon jouet préféré, c’était ma maison de poupée. J’adorais ça. J’ai toujours aimé décorer. Quand je faisais des promenades sur la plage, je ramassais de jolis galets pour les mettre sur mon bureau dans ma chambre. Lorsque les éditions Assouline m’ont proposé d’écrire des livres sur des lieux de rêve que j’aimais, je me suis sentie très honorée.

J’ai commencé par Aspen, puis Palm Beach où nous avons aujourd’hui notre propre maison et une boutique qui fonctionne très bien. Nous y allons presque tout l’hiver, en famille. C’est un endroit très sentimental et très spécial à mes yeux, car il me rappelle les bons moments passés avec Estée et Jo, son mari. Nous avions nos petites traditions – faire des longues balades sur la plage, savourer de délicieux bonbons à la noix de coco et au chocolat – et je les transmets aujourd’hui à mes enfants.

Tous les matins, Aerin Lauder quand elle le peut cueille des fleurs de son jardin.

Dans toutes les maisons que vous avez aménagées, y a-t-il un objet que l’on retrouve partout et dont vous ne pourriez jamais vous passer?

Un cadre avec une photographie de mon mari et de mes enfants. Une maison ne devient réellement un foyer que lorsqu’on y voit des souvenirs et des touches d’humanité. Sans fleurs et sans photographies, c’est un peu comme un showroom ou une chambre d’hôtel.

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