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Benjamin d’Aoust, scénariste (Des Gens Bien): «Face aux crises,l’empathie pourrait bien être notre richesse la plus précieuse»
« Qu’est-ce que la richesse? » On a posé la question à Benjamin d’Aoust réalisateur et scénariste (Des gens bien, La Trêve), qui partage ici avec nous ce qui, à ses yeux, rend vraiment riche.
Benjamin d’Aoust est réalisateur et scénariste. Il est l’auteur, avec Matthieu Donck et Stéphane Bergmans, de la série Des gens bien, diffusée sur la RTBF et Auvio.
Quand nous avons commencé à écrire Des gens bien, la crise des gilets jaunes battait son plein en France. Je me souviens que nos discussions du matin – rituel immuable de nos journées d’écriture – ont alors beaucoup tourné autour du sujet.
Et cette France périphérique et multiple, d’abord descendue dans la rue pour protester contre le prix de l’essence, a laissé sa trace sur nos personnages. Nos gens bien. Ces femmes et ces hommes amenaient avec eux quantité d’histoires, parmi lesquelles il nous a semblé voir à l’œuvre un mécanisme: l’endettement. Pour (sur)vivre, iels s’endettaient, se surendettaient, et finissaient par n’être plus qu’une dette béante, une faille dans un système schizophrénique où leurs dettes étaient à la fois le moteur et le problème central de leurs vies.
Je me souviens qu’au fil des mois, ces personnes venues d’horizons très différents se sont réunies et se sont mises à parler entre elles des injustices dont iels se sentaient victimes. Iels se sont installés pendant des semaines, des mois, ensemble, sur des ronds-points.
Je me souviens alors d’avoir espéré que sous leurs tentes, au milieu de ces ronds-points, iels fassent éclore une autre richesse. Une richesse qui n’aurait rien à voir avec leurs dettes. Une richesse faite d’échanges, de discussions… de désaccords aussi. Une richesse collective.
« Ce discours dominant de la rentabilité a pris le pas sur les autres discours jusqu’à les asphyxier »
Depuis plusieurs décennies nous vivons dans un monde du tout-à-l’argent, dans une société où tout a un coût et où tout doit être rentable – avec l’injonction ultime du temps, dans laquelle le temps, c’est de l’argent. Ce discours dominant de la rentabilité a pris le pas sur les autres discours jusqu’à les asphyxier. Or ces femmes et ces hommes avec leurs discours disparates, et parfois contradictoires, tentaient de raconter autre chose.
Etait-ce rentable de rester plusieurs mois sur les ronds-points périphériques de la modernité? Vraisemblablement pas. En tout cas pas en termes monétaires. En termes humains, c’est un autre débat. Car ce qui s’est passé à ce moment-là, dans ces collectifs où des gens comme vous et moi ont pu se raconter, a fait jaillir l’idée d’un autre monde. Un monde fait de diversité, de solidarité et d’équité sociale, où la valeur des choses ne serait pas monétaire mais humaine, où l’argent serait mieux réparti, et où il serait impossible qu’une personne gagne plus de dix fois ce qu’une autre gagne.
Cet autre monde est possible, et nécessaire, surtout dans cette période de crise énergétique où les écarts de richesse ne font que s’accroître ; surtout dans cette période de crise sociale où déjà les gens descendent dans la rue – à raison. Mais pour que ce nouveau monde advienne, il faut que nous fassions preuve de courage et d’empathie.
Dans mon métier, ce mot «empathie» est un mot galvaudé. Un mot souvent simplifié à la sympathie qu’on ressent pour un personnage. Mais l’empathie ce n’est pas tout à fait cela. L’empathie n’implique pas de jugement de valeur. Il ne faut pas être d’accord avec l’autre, il ne faut même pas le trouver sympathique. Il faut juste lui reconnaître sa qualité d’être humain et s’y projeter, d’égal à égal.
Or face aux crises qui s’annoncent, face aux grondements du monde, cette empathie pourrait bien être notre richesse la plus précieuse.
La saison 1 de Des Gens Bien est à voir intégralement en accès libre sur auvio.rtbf.be
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