Le confinement a-t-il eu raison du culte du corps?

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Pour mener une vie saine et heureuse, nombreux étaient ceux à miser sur un corps musclé et entretenu. La situation infléchira-t-elle cette obsession? Il est encore tôt pour le dire, explique la philosophe Isabelle Queval.

« Un esprit sain dans un corps sain »: l’adage séculaire ne pourrait mieux correspondre à notre société de performance. Le corps musclé et sculpté, avec une peau sans imperfections, est devenu le saint Graal, créant discriminations et culpabilités envers et pour les personnes hors de la norme. Ça c’était toutefois avant la crise du Covid-19. Car s’il est trop tôt pour savoir dans quelle mesure nous pourrons refréquenter salles de sport, saunas et autres centres de bien-être, il est clair que la distanciation sociale requise aura un impact sur notre perception du corps, et sur ce que nous nous permettrons de faire pour l’entretenir. Ancienne sportive de haut niveau, Isabelle Queval, philosophe, professeure et chercheuse française, a, au cours de sa carrière, beaucoup réfléchi à la performance physique, au corps et à sa révolution. Elle nous apporte des éléments pour entamer la réflexion.

Depuis des semaines, nous nous soumettons moins au regard des autres et avons moins l’occasion de faire du sport et de prendre soin de nous. La pandémie pourrait-elle impacter notre rapport au corps?

La crise sanitaire que nous vivons a un effet paradoxal sur la société. On pourrait croire que le confinement pousserait à moins se comparer aux autres, à faire moins attention à son apparence… Mais les gens se sentent privés de mouvements et l’être humain sans mouvements dysfonctionne. Etant contraintes de rester chez elles, beaucoup de personnes ne rêvent que d’une chose, bouger, et elles se précipitent ainsi dehors pour faire un jogging, alors qu’elles ne le faisaient jamais. Même si de nos jours, beaucoup d’initiatives prônent le lâcher-prise, les rondeurs, les regards plus tolérants par rapport au corps, force est de constater que cette norme du corps en action, du corps performant, du corps maîtrisé (qui est en fait tout l’enjeu), reste encore très forte.

Isabelle Queval
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Notre corps est donc une sorte d’objet de culte que l’on chérit?

Oui, tout à fait. Et puis, curieusement il a aussi pris la forme d’un jugement dernier. A travers le corps et la santé, nous jugeons les gens. Sur la durée d’une existence, nous voyons s’ils ont eu des comportements sains ou non. Certaines institutions ou entreprises, comme les banques ou les compagnies d’assurances, font peser beaucoup de poids sur ces agissements. Avec la crise, cela risque de se renforcer. Nous allons encore plus devoir prouver que nous menons une vie saine avant d’être assurés ou d’obtenir un prêt. L’aspect normatif de la santé va avoir tendance à s’accroître.

Comme l’évoquait André Comte-Sponville dans une interview pour France Inter, avec le coronavirus, la santé est devenue la valeur suprême dans la société…

La santé occupe une place centrale dans nos vies depuis que nous avons commencé à miser davantage sur nous-mêmes et que nous avons recentré nos valeurs sur le présent, l’individu et la longévité. Mais effectivement, pour l’instant, les gens lui donnent une place encore plus importante car ils sont confrontés, peut-être pour la première fois depuis un siècle, aux vraies questions de la vie et de la mort. La santé est mise sur le devant de la scène, mais elle ne peut pas être la seule valeur considérée, et encore moins la plus haute valeur au regard d’autres valeurs sociales. Ce n’est pas l’unique piste pour lire la société.

Quelle est finalement l’origine de ce culte du corps parfait et sain, un libre choix devenu presque une norme aujourd’hui?

Le corps est devenu central à partir de la seconde moitié du XXe siècle, soit le moment où la société a commencé à perdre les grandes idéologies qui donnaient un aspect un peu transcendant aux croyances, c’est-à-dire les idéologies religieuses et politiques. Les Hommes se sont dès lors concentrés sur eux-mêmes. Nous nous sommes ainsi plus préoccupés de notre vie terrestre que nous voulions de plus en plus longue. La santé est vite devenue normative: une vie réussie est une vie toujours plus longue et confortable. Etant un des vecteurs principaux de cette santé, le corps est naturellement devenu un objet de culte. D’où cette obsession pour la forme et la jeunesse éternelle…

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