comment rester ami avec quelqu'un qui vote extrême-droite
Comment rester amis ou en couple quand on vote pour des partis opposés? Montage Kathleen Wuyard pour Weekend

Comment rester ami (ou en couple) avec quelqu’un qui vote à l’opposé de soi

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Plus ça va, plus les résultats des élections dénotent une division profonde. Dans l’arène politique, mais aussi dans la sphère intime, car au sein du cercle proche, le vote est rarement confiné au secret de l’isoloir. Avec ce que cela charrie comme problèmes, à commencer par une question bien d’actualité: comment rester ami ou en couple avec une personne dont on sait qu’elle a des opinions opposées, voire même extrêmes?

C’était hier, c’était il y a mille ans. Les années 2000 n’en étaient alors qu’à leurs balbutiements, et sans le savoir, les citoyens se trouvaient au bord d’un précipice. Bientôt, la société verrait l’avènement de l’ère des réseaux sociaux, et de toute une série d’errances guidées par ce qu’on ne qualifiait pas encore de fake news, entrainant dans leur sillon démocratie, dialogue et même respect de base dans une chute vertigineuse vers un manichéisme poussé à l’extrême et le règne de tous les excès.

Mais on n’en était pas encore là, donc, et à cette époque pas si lointaine, qui semble pourtant si éloignée aujourd’hui, avoir des opinions politiques anti-démocratiques était un vilain secret, qu’on tendait à garder pour soi, ou bien à partager en public à ses risques et périls.

C’était le temps où, loin d’être en permanence à l’arrière-plan, voire pire, en pôle position sur votre feed, les opinions racistes, misogynes et homophobes revendiquées étaient l’apanage de l’un ou l’autre triste sire qu’il suffisait d’ignorer, voire mieux encore, de tout bonnement éviter. C’était le temps d’avant, celui où l’on s’émouvait que les partis d’extrême-droite franchissent timidement la barre des deux chiffres de pourcentage aux élections, d’ailleurs, on en faisait même des chansons, et si, au sein d’un couple, d’un cercle d’amis ou d’une famille, on avait le coeur qui battait pour différentes couleurs politiques, a priori, ces dernières appartenaient toutes à des partis démocratiques. Cela n’empêchait pas les débats improvisés de s’enflammer, mais disons que cela déminait quelque peu le dialogue tout de même.

Mais ça, c’était avant, donc.

50 nuances de haine

Passée la nostalgie qu’on n’aurait jamais cru ressentir pour l’époque où les opinons politiques fascistes n’étaient « que » le propre de ce gros lourdaud de Tonton Fredo, dont on se tenait loin aux réunions de familles et avec qui on ne risquait pas de tailler le bout de gras en période électorale, le constat présent est glaçant. Les partis extrêmes, quel que soit leur positionnement sur l’échiquier politique, raflent toujours plus de voix, surtout à (l’extrême-)droite, et là où hier, on se cachait d’avoir des sympathies pour leurs édiles, désormais, c’est non seulement assumé mais aussi revendiqué à grand renfort de posts sur les réseaux et autres drapeaux.

Résultat, outre celui du scrutin de ce dimanche et la perspective pour le moins préoccupante qu’il dessine pour l’avenir de l’Europe et de ses nations, un clivage qui déchire aussi la sphère intime. Rien de tel en effet pour jeter le froid dans une soirée entre potes que d’entendre Machin ou Machine déverser ses idéaux anti-démocratiques, et quand c’est au sein du couple que cet écart se creuse, il est encore plus compliqué à combler.

Comme cette tendance semble malheureusement se renforcer à chaque visite aux urnes, une question se pose: comment rester ami ou en couple avec une personne qui vote pour des partis anti-démocratiques? Est-ce même envisageable? La réponse est bien peu dans l’air du temps, lequel est plutôt au clivage et à une vision du monde en noir et blanc.

Comprendre: il y a autant de nuances que de dynamiques interpersonnelles, et la décision de rester proche, ou non, d’une personne dont les opinions politiques sont diamétralement opposées aux siennes dépendra de l’appréciation de chacune et chacun.

Conflits insolubles

Même si, qu’on se le dise, partager sa vie et son lit avec quelqu’un qui se positionne à l’extrême de soi sur l’échiquier politique est tout sauf une partie de plaisir. « Les partis politiques reposent sur une série de valeurs, mais aussi sur une vision du monde et de l’avenir, or dans le couple, les valeurs et la manière dont on se projette dans un avenir commun sont des piliers essentiels à la longévité » explique Sarah Denis, psychologue et sexologue en région liégeoise.

Et de pointer que « la politique, comme la religion, le sexe, l’argent, la famille ou la belle-famille sont des sujets sur lesquels on peut avoir des conflits insolubles. C’est normal dans une relation de ne pas être d’accord sur tout, tout comme c’est normal qu’il y ait des disputes. Pour la plupart des conflits, on va pouvoir faire des compromis, mais quand on touche aux sujets de conflits insolubles, on n’est plus dans le compromis mais bien dans le sacrifice, lequel peut parfois coûter énormément à la personne qui le fait ».

« On ne peut pas plus forcer l’autre à faire l’amour X fois par semaine qu’à arrêter de voir sa mère qui est envahissante, ou à avoir les mêmes opinions politiques que soi, rappelle ainsi Sarah. Ce sont des sujets pour lesquels, si on n’est pas d’accord, il y a peu de chances que ça évolue ». Qui plus est au vu de l’état actuel de la société.

En 18 ans de métier, Valérie L’Heureux, sexologue à Bruxelles, confie dans un sourire n’avoir jamais rencontré de couple qui venait la consulter parce que Monsieur votait socialiste et Madame, pour le MR. Mais elle observe toutefois « une grande polarité des sujets économiques et politiques sur les réseaux sociaux, qui s’invite évidemment dans l’intime parce qu’aujourd’hui, tout le monde s’informe en ligne ».

« Aujourd’hui, ce n’est plus comme avant, quand on consommait l’information depuis son canapé et qu’on n’avait qu’à choisir entre RTL et la Première. Désormais, les sources d’information sont démultipliées, ce qui veut dire qu’il n’y a plus une seule source d’info pour le couple, et plus non plus d’échanges triangulaires à deux devant le même média. Chacun trouve son info de son côté, et après, c’est plus difficile de confronter les avis parce que les discours sont beaucoup plus polarisés qu’avant. On est soit « très pour », soit « très contre », mais il n’y a plus de nuance ».

Valérie L’Heureux, sexologue.

Et la thérapeute bruxelloise de souligner que si le politique ne s’invite pas directement dans la vie de couple, les valeurs, elles, bien.

De l’importance du dialogue

« Quand on touche aux valeurs et qu’elles sont diamétralement opposées, on peut imaginer que cela mène à une rupture. Si on n’est pas raccord avec l’autre, surtout quand il s’agit d’un jeune couple qui s’imaginait fonder une famille ensemble, c’est compliqué : comment éduquer des enfants à deux quand une personne est démocrate, et l’autre, non-démocrate? C’est plus facile de trouver un compromis si une personne est très à gauche et l’autre, très à droite, ou bien si l’un est très écolo et l’autre pas. Par contre, si un deux deux est prêt à monter une milice privée dans son quartier, c’est plus compliqué » pointe encore Valérie L’Heureux.

Que ce soit en couple, en famille ou entre amis, elle invite toutefois à cultiver la discussion, même si celle-ci a parfois tendance à tourner au dialogue de sourds. « Quand on est foncièrement démocrate et qu’on voit que la personne en face de soi a des opinions anti-démocratiques, cela touche à des choses profondes, très compliquées à gérer. Malgré tout, c’est important de s’inscrire dans une démarche de compréhension, parce que quand une personne est radicalisée, c’est souvent lié à un phénomène de peur. Si on aime cette personne, il faut pouvoir lui demander de quoi elle a peur, et ce qui la met tellement en colère qu’elle en vienne à s’identifier à des partis aux positions extrêmes ».

Et Valérie L’Heureux de rappeler que parfois, « c’est OK de se mettre d’accord sur le fait de ne pas être d’accord. Quand on a des opinions politiques qui divergent, il est intéressant de parler de ses valeurs, et d’expliquer à l’autre pourquoi on a telle ou telle appartenance, plutôt que de l’invectiver et de critiquer la sienne. Si on parle en « je » et qu’on rattache ses choix à ses valeurs personnelles, cela doit être audible pour l’autre. Si on est dans l’accusation, par contre, c’est beaucoup plus compliqué et cela va déclencher des disputes qui peuvent rapidement s’envenimer ».

Comprendre les règles du « je »

Pourtant, pointe encore la Bruxelloise, « même si ce n’est pas simple, il est possible de surmonter un écart politique, aussi profond soit-il. L’esprit humain a la capacité d’accueillir toutes sortes de variantes, et quelque part, il y a une forme d’humanité magnifique à pouvoir inviter au sein de son intimité quelqu’un qui a des valeurs diamétralement opposées aux nôtres, ou compliquées à comprendre pour nous ». C’est qu’on l’oublierait presque, mais se confronter à des points de vue (très) différents des siens, tant que c’est fait dans le respect, est une richesse.

« De nos jours, on a tendance à se fermer et à ne s’entourer que de gens qui ont les même idéaux que soi. Si on ne fraie qu’avec des personnes qui ont refusé la voiture de société qu’on leur proposait et qui font tout à vélo, forcément qu’on va conspuer celui ou celle qui vient de s’acheter une Porsche » sourit Valérie L’Heureux, « mais si on socialise avec des gens différents, cela permet de relier des opinions qui sont parfois différentes, certes, mais toutes humaines. Si on se contente de parler avec des personnes qui ont les mêmes opinions que nous, on diabolise les autres, quels que soient nos idéaux politiques ».

Et on en vient aussi à réduire son cercle intime à peau de chagrin au fur et à mesure que la sphère publique se morcèle et se radicalise.

Vote décisif

La bonne nouvelle, c’est que toutes les relations ne sont pas appelées à se détériorer pour cause d’opinions politiques aux antipodes de celles de l’autre.

Ainsi, en ce qui concerne les amis et la famille, « on peut être plus tolérant de l’avis de l’autre parce que réalistiquement, on ne doit pas vivre avec cette personne ni même rien gérer avec elle » rassure Valérie L’Heureux. « Il n’y a pas besoin de se mettre d’accord au jour le jour ni de s’accorder sur quelles valeurs transmettre à ses enfants : c’est plus simple, et c’est même assez chouette que des opinions différentes coexistent au sein des différents cercles relationnels, même si certains avis sont opposés, parce que ça en vaut la peine. C’est très intéressant de pouvoir confronter son point de vue à d’autres, ça enrichit le dialogue dès l’instant où celui-ci est possible. On n’est évidemment pas obligé d’aller parler tout le temps avec des gens qui ont des opinions diamétralement opposées aux nôtres, mais parfois, ça fait du bien ».

La mauvaise nouvelle, c’est qu’en couple, par contre, c’est plus compliqué. « Face aux sujets de conflits insolubles, il y a deux options, enfin trois, mais la troisième n’est vraiment pas cool et consiste à vouloir absolument convaincre l’autre à coup de chantage et de menaces. On perd du temps, de l’énergie, et on finit par se blesser, ce qui n’est pas OK. Les deux autres options? Premièrement, se dire que c’est comme ça, accepter que l’autre n’est pas parfait et se dire qu’on peut quand même vivre avec, et que son allégeance politique ne nous empêche pas de l’admirer, de le respecter et de l’aimer, même si ça nous dérange. Cela implique d’accepter la présence de tensions au sein du couple quand les élections approchent, mais on parvient à se dire que ce n’est pas une raison suffisante pour se faire la guerre ou se quitter » développe Sarah Denis.

Qui voit comme alternative « de se dire que la situation est insupportable, parce que le vote de l’autre personne ne cadre pas avec l’image qu’on a d’elle, ni avec la personne dont est tombé amoureux. Son point de vue va trop à l’encontre de nos valeurs, de qui on est et de ce pour quoi on se bat au quotidien. Cela va dépendre d’à quel point quelqu’un est engagé ou non dans des combats politiques, mais dans certains cas, la rupture sera inévitable » développe encore la thérapeute liégeoise. Qui se veut toutefois rassurante elle aussi: « En Belgique en 2024, on a la chance de pouvoir sortir avec qui on veut, mais aussi d’arrêter une relation quand on veut : pour certains, avoir des votes opposés ne sera pas une raison suffisante pour rompre, et pour autres, bien. Il n’y a pas lieu de juger ces choix, chacun fait ce qu’il veut en accordance avec ses valeurs, son fonctionnement et qui il est, et le parti politique pour lequel on vote peut être un sujet de rupture pour les personnes qui en décident ainsi ».

Comme l’union fait la force, le désaccord politique, lui, peut-être la faiblesse qui aura raison d’une relation. Et si on épargnera à toute personne fraîchement séparée l’adage éculé « un·e de perdu·e, dix de retrouvé·e·s », quand on se quitte sur fond de scrutin, disons au moins qu’on peut facilement se rabattre sur les pourcentages recueillis par chaque parti pour déterminer avec combien (10? 10.000?) de personnes ayant des idéaux proches des nôtres on est susceptible de retrouver l’amour.

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