Jonathan De Cesare: ‘Je ne suis pas là pour juger mais pour faire un portrait ‘
Armé de son crayon numérique et sa tablette, Jonathan De Cesare raconte en dessins le procès fleuve des attentats de Bruxelles du 22 mars. Ses croquis pris sur le vif resteront à jamais les seules images disponibles de ces audiences historiques. Son travail de témoin oscille entre celui de l’artiste et du journaliste.
Une dimension historique
Un procès de cette ampleur, c’est une tranche d’histoire. Totalement hors norme aussi par rapport aux affaires que je couvre depuis cinq ans maintenant. Ces audiences-là ne durent souvent que quelques jours. Ici, je savais que j’étais parti pour des mois. Mais je n’ai pas hésité un seul instant. Si tu es dessinateur d’audience, s’il y a bien une affaire à suivre, qui va marquer ta vie, c’est celle-là. En y assistant, j’ai l’impression de faire partie de quelque chose de plus grand.
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Le classicisme en ligne de conduite
Rembrandt aurait été un bon dessinateur d’audience. Certains de ses tableaux, comme La leçon d’anatomie, sont des successions de croquis de tranches de vie. Il y a dans ces toiles quelque chose de vivant que je ne retrouve chez aucun autre artiste. J’aime cette peinture classique, réaliste. Moi, je n’ai jamais suivi de cours de dessin. Bien qu’enfant déjà, je savais que je voulais devenir artiste peintre, je me suis cherché longtemps. J’ai même été photographe de presse plus de dix ans, ce qui m’aide aujourd’hui pour les contacts mais aussi pour cadrer mes dessins.
Autodidacte
Je me suis toujours senti un peu d’une autre époque. Fin de l’année dernière, avec une quinzaine d’autres artistes, j’ai eu l’immense chance d’exposer l’une de mes toiles au Rijksmuseum à Amsterdam, dans la salle où se trouve La ronde de nuit, à l’invitation d’une marque de peinture néerlandaise dont je suis l’ambassadeur. Pour réaliser cette madone, je me suis pris pour un de ces peintres de la Renaissance que j’admire tant, en travaillant au doigt sur une planche de bois. J’ai forgé ma technique et mon style en allant dans les musées. Je pouvais y passer des heures à regarder des détails. Je faisais des photos de tout près, en cachette. Les gardiens ont sûrement dû me prendre pour un faussaire. Chez moi, je reproduisais pour comprendre.
Un besoin de comprendre
Le mythe de la cour d’assises est toujours vivace. Quelle que soit l’ampleur du procès, le public reste fasciné. Il suffit de voir la manière dont les affaires qui y sont jugées continuent d’inspirer les romans et les séries. La plupart des procès que je couvre sont ce que j’appelle des «meurtres à la Columbo». Certes, les faits sont souvent atroces. Mais à la fin des audiences, on peut espérer comprendre ce qui s’est passé. Dans le cas présent, je crains que l’on ne sache jamais ce qui a motivé de tels actes et pourquoi ils se sont produits.
Une image vaut mille mots
Les médias auront toujours besoin d’images. Pendant le confinement, j’ai fait des aquarelles d’infirmières. J’ai été contacté par une journaliste du Figaro qui faisait des longs reportages dans les hôpitaux et ne pouvait pas être accompagnée d’un photographe. Chaque jour, elle me racontait ce qu’elle avait vu et je peignais les scènes. Mes dessins ont été publiés toute une semaine, j’ai aussi fait la Une. Dans le cas d’une cour d’assises, on n’est plus dans le traitement de l’événement, en l’occurrence les attentats, mais dans l’après. On a envie de «voir» les témoins de l’histoire, qu’il s’agisse des accusés, des victimes, des avocats… et les photos «prétexte» ont vraiment leur limite.
Transmission
Je ne suis pas là pour faire de beaux dessins. Je dois transmettre ce que je vois, ce que j’entends un peu comme un journaliste mais tout en restant un artiste. Il faut aller vite et j’aime ces croquis rapides qui traduisent une attitude, un geste. Je ne cherche pas à être dans la ressemblance pure, au contraire, pour le jury d’ailleurs il faut même l’éviter. On me reproche parfois de rendre les accusés «trop beaux». Mais ce n’est pas mon rôle non plus de les enlaidir. Je ne suis pas là pour les juger mais pour faire un portrait, pour proposer mon interprétation de la réalité.
Le dessin comme protection
Le plus dur, c’est le silence qui s’installe dans la salle d’audience. Face à des images fortes qui nous sont montrées et que le grand public ne verra jamais, c’est comme si tout à coup le vide se faisait autour de nous. Tout le monde se prend la même claque, en même temps. Pas question alors de se laisser submerger par l’émotion. Car c’est cet instant qu’il faut dessiner, sans montrer l’immontrable évidemment. En me concentrant sur la technique du dessin, je rentre dans ma bulle. Ça m’aide aussi à me protéger.
Carolo et fier de l’être
Dans certaines parties de la Belgique, ce n’est pas facile de revendiquer être fier de Charleroi. Mais je l’assume. Cette identité, je veux la garder, je suis attaché à ma région. Et je le montre en travaillant aussi pour Télé-Sambre. Je leur fournis chaque semaine un résumé de l’actualité en dessins, dans le registre de la caricature. J’avoue, je suis un peu jaloux de l’aisance de Pierre Kroll et de Vadot. Là, je sors de ma zone de confort. Mais je m’éclate et j’apprends tous les jours.
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