Edgar Kosma
J’peux pas, j’ai conf’ call: « La Zoom Vanity, une énième prolongation digitalisée de notre narcissisme primaire? »
Au royaume des réseaux sociaux, les jours passent et ne se ressemblent pas. Entre les buzz et les likes, le vrai et le fake, Edgar Kosma scrolle le fil d’actu d’un siècle décidément étrange. Hashtag sans filtre.
Il y a quelques jours, j’ai reçu un e-mail d’une éditrice française me proposant de nous « e-rencontrer » à travers une réunion Zoom. J’ai trouvé cette demande un peu directe de la part de quelqu’un avec qui je ne suis même pas ami sur Facebook, mais j’ai tout de même répondu avec un certain sens de l’e-courtoisie: « Chère e-Madame, j’ai bien noté cet e-RV et je vous souhaite une bonne e-journée! »
Depuis le début de la pandémie, force est de constater que la conf’ call est bien malgré nous devenue « the new place to be », en remplacement (temporaire?) de nos anciennes machines à café où nous aimions tant, dans le monde d’avant, nous échanger des pièces de 1 euro contre l’un ou l’autre ragot. Nostalgie du gobelet brûlant, quand tu nous tiens. A tel point qu’en ces temps incertains, le « j’peux pas, j’ai conf’ call » a bel et bien volé la vedette au classique « j’peux pas, j’ai piscine ».
Evidemment, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne et certaines professions en sont dispensées. Mais si vous êtes un télétravailleur actif dans le secteur tertiaire et que votre quotidien consiste à être assis devant un écran comme des millions d’autres télétravailleurs, il y a de fortes probabilités pour que – vous souffriez de douleurs lombaires mais aussi que – vous passiez un certain nombre d’heures par jour connecté à Zoom, Teams ou Meet. Multiplié par les centaines de jours ouvrables durant lesquels les entreprises ont été fermées, admettez qu’il y a de quoi avoir l’e-tournis – si pas l’e-overdose – quand on pense au temps perdu à regarder du coin de l’oeil nos supérieurs, collaborateurs et autres collègues cloîtrés chez eux comme des cas contact au bord de la crise de nerds.
Mais puisqu’on en parle… Vous, là! Oui, vous! Ne faites pas comme si votre caméra ne fonctionnait pas, je vous vois très bien. Durant vos visios, ne feriez-vous pas partie de ceux et celles qui passent plus de temps à se contempler discrètement plutôt que de scruter religieusement leurs interlocuteurs? Pas de panique: vous êtes loin d’être le seul à mordre à ce phénomène qui n’a d’ailleurs pas attendu bien longtemps pour recevoir une appellation officielle, j’ai nommé la Zoom Vanity, que nos cousins québécois pourraient traduire par « Vanité visioconférencielle » – on comprend aisément pourquoi les anglophones gagnent toujours les combats linguistiques.
Qu’est-ce que c’est encore que ce truc? Une énième prolongation digitalisée de notre narcissisme primaire? Pour tenter de répondre à cette question, un centre de recherche américain – le Carson College of Business de l’Université d’Etat de Washington – a analysé ce nouveau comportement en interrogeant un panel de visioconférenciers. Publiée dans une revue, leur étude a révélé qu’un grand nombre de répondants préfèrent se regarder fixement lors de leurs réunions virtuelles plutôt que d’observer les autres. Néanmoins, les chercheurs ont constaté – non sans surprise – que ce n’étaient pas les personnes ayant une grande confiance en elles qui aimaient s’auto-lorgner, mais plutôt ceux qui étaient moins sûrs d’eux. Déduction: la Zoom Vanity ne serait pas tant une expression égocentrée qu’une façon pour les plus timides d’éviter la confrontation directe. Pourquoi ne pas tout simplement désactiver la caméra, me direz-vous? Ce n’est malheureusement pas toujours possible, certains chefs utilisant l’outil – non pas pour contempler nos jolis minois bien apprêtés au-dessus mais en pyjama en dessous – mais pour vérifier que nous ne sommes pas au bord de la piscine. Car c’est tous ensemble que nous devons souffrir. Quant à mon petit plaisir narcissique perso, désormais, ce sera de savoir que vous pensez (un peu) à moi quand vous croisez votre regard perdu dans le coin de l’écran…
Edgar Kosma: linktr.ee/edgarkosma
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