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L’homme à chats, nouvel idéal masculin ou misanthrope déprimé?

homme à chats
L'homme à chats n'en finit pas de faire parler de lui - Getty Images
Isabelle Willot

Sur les réseaux sociaux et les applis de rencontre, de plus en plus d’hommes prennent la pose avec leur chat dans 
les bras… ou à l’avant de leur moto. Un moyen d’afficher leur déconstruction ou leur envie de sortir de la norme.

Texte Isabelle Willot

Luca Gervasi n’a pas toujours été un homme à chat. Loin de là. Jusqu’au 13 juin 2020, l’influenceur italien plutôt beau gosse amassait dans les 200 likes pour ses jolies photos de voyage cadrées à l’horizontale sur son compte Instagram. Mais ça, c’était avant qu’une petite boule de poils nommée Belen ne débarque dans sa vie.

© instagram / @luca_gervasi

Dès sa première apparition lovée autour de son cou, la chatonne lui rapporte 2 394 « J’aime » et une flopée de commentaires de jeunes femmes truffés de cœurs. Postée il y a quelques semaines, une courte vidéo du jeune Italien toujours célibataire et de son chat filmés dans la même posture complice a été vue 68,6 millions de fois.

Nouvel idéal masculin ?


Loin d’être une exception, des profils d’hommes célibataires minaudant avec leur félin adoré pullulent désormais sur le Net, certains comptes comme @hotdudeswithcats vous proposant même une compilation des photos les plus « cute » repérées sur Insta.

La tendance semble d’ailleurs s’être déportée sur TikTok où les vidéos associées aux mots-clés « guy with cat » ou encore « cat dad » accumulent sans effort des millions de vues.

‘Rien de tel qu’un chat sur une photo de profil pour engager la conversation.’


Comme le vernis sur les ongles de Harry Styles ou le dressing chamarré de Timothée Chalamet, assumer son statut « d’homme à chat » serait donc devenu un moyen comme un autre d’afficher des signes de « déconstruction » aisément identifiables, en particulier sur les apps de rencontre, où l’on ne dispose que de quelques secondes pour éviter le swipe… à gauche.

© instagram / @thecatdaddy

Ce constat moins anecdotique qu’il n’y paraît a d’ailleurs attiré l’attention du très sérieux journal Le Monde en janvier dernier, celui-ci osant même cette double question à haute portée philosophique : « L’homme à chat serait-il en passe de devenir le nouvel idéal masculin ou au contraire un misanthrope blessé, pendant de l’horrible 
stéréotype de la vieille fille au chat » ?


Sur Tinder en tout cas, l’appât chat ne fonctionnerait pas aussi bien qu’espéré chez les couples hétéros. Des chercheurs de l’université du Colorado ont mené l’enquête sur un panel de femmes de 18 à 24 ans : le même homme dans la vingtaine « matchait » davantage lorsqu’il figurait seul sur ses clichés plutôt qu’accompagné de son matou.

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Pour justifier ce rejet, les répondantes le jugeaient « moins viril », potentiellement « plus dépressif »… mais paradoxalement « plus agréable » et « plus ouvert d’esprit ». Allez comprendre…

Un adjuvant de la loose


« Tout cela en dit plus finalement sur le mode de fonctionnement des applis de rencontre et le monde du dating en général que sur notre rapport au chat, pointe le journaliste Thomas Messias, créateur du podcast Mansplaining, dédié aux masculinités. On y est confronté à un double discours dans lequel on encourage les hommes à se montrer vulnérables, plus sensibles, moins dans la démonstration de signes de virilité ».

En pratique pourtant, ces profils auront moins de succès que ceux qui vont user des bons vieux codes archaïques que l’on associe à la masculinité hégémonique. « Mais s’ils sont finalement moins valorisés par les apps, poursuit le créateur de contenus, c’est aussi parce qu’ils rencontrent moins bien les critères de celles qui se disent en quête de « vrais hommes » avec tout ce que cela peut recouvrir comme clichés. »

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Luca Gervasi l’a d’ailleurs bien compris : sur la vidéo publicitaire qu’il a réalisée pour l’application de rencontre Hinge, l’influenceur a pris soin de ne jamais inclure Belen dans les photos de son profil…

Dans le monde violent et sexiste du « dating », le chat en dépit de son capital « mignonnerie » resterait donc, pour les hommes aussi, « un adjuvant de la loose » comme le qualifie l’autrice Nadia Daam dans son best-seller sarcastique Comment ne pas devenir une fille à chats ?

Un animal avant tout familial

Alors, tous névrosés, les « cat dads » ? Ce n’est pas l’image qu’ils dégagent sur la toile. « En tout cas, les statistiques ne viennent pas du tout étayer la thèse du chat comme animal refuge des personnes seules et dépressives, pointe Philippe Villemus, auteur du livre Fous de Chats qui radiographie les possesseurs de félins.

Plus on vit seul… et moins on a de chat, analyse ce spécialiste. «Ou tout autre animal domestique d’ailleurs, ce qui est davantage dû à des questions de logistique – on vit dans des lieux plus petits, on a moins de rentrées financières, plus de difficultés à le faire garder en cas d’absence – qu’à des caractéristiques psychologiques. Le chat est l’animal transgénérationnel et familial par excellence. »

© instagram / @iammoshow

Comme le confirme le docteur Virginie Vermeire du cabinet vétérinaire Devevet, à Schaerbeek, si le chat séduit tant aujourd’hui, l’explication est avant tout pratique plus que philosophique.

«Dans une patientèle en ville, on est sur du 60-40 en faveur du chat, détaille-t-elle. Plus on a des horaires contraignants, plus on se satisfera aisément de l’indépendance du chat qui s’autogère plutôt bien tant pour ses besoins que pour son alimentation. C’est l’animal facile à vivre par excellence pour un célibataire qui ne pourra compter que sur lui, même si dans la pratique cela reste l’exception. »

@dontstopmeowing

Married a cat dad and well.. #fyp #foryou #foryoupage #catsoftiktok #UnwrapTheDeals #HomeOffice #trending #duet

♬ original sound – Kareem & Fifi
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Contrairement à ce que laissent donc penser les réseaux, il n’y a pas soudain plus d’hommes solos propriétaires de chats : ceux qui en adoptent seraient simplement devenus plus enclins à s’afficher avec eux, good buzz oblige. Ce constat rationnel vient aussi mettre à mal la liste des défauts – égoïste, sournois, asocial – que l’on prête aux félins et par extension à leur propriétaire prétendument solitaire.

Plus sociable qu’on ne le croit

« Cette image date d’une époque où le chat était d’abord un mange-souris, pointe le docteur Sébastien Monclin, vétérinaire au centre de spécialistes Caladrius, à Wavre. Il ne vivait pas dans nos maisons et certainement pas en ville comme aujourd’hui. Il n’était pas sociabilisé dès son plus jeune âge, ses interactions avec l’homme restaient très limitées. L’animal n’a pas changé par nature mais plutôt la place et l’éducation qu’on lui donne. »

‘Il y a l’idée de délicatesse et d’attention derrière le fait d’avoir un chat.’

S’il est un cliché que de nombreux « cat dads » s’employent à démonter sur les réseaux, c’est 
d’ailleurs celui du chat casanier, impossible à déplacer sans prendre le risque de le voir s’enfuir à la moindre occasion. C’est notamment le cas sur 
@mon_copain_ray de Rémy Vicarini, un jeune docteur en sciences de l’ingénieur, et de son chat Cathode qu’il a pris l’habitude d’emmener partout dans ses expéditions sportives.

© instagram / @mon_copain_ray

La séduction du baroudeur

Ou de Martin Klauka et sa chatte Mogli sur @motomogli qui a fait avec lui le tour du globe à moto pendant plus de cinq ans et dont les aventures sont aujourd’hui compilées dans un livre sur le point d’être traduit en anglais. Il est de moins en moins rare aussi de croiser des chats en laisse dans les rues, voire marchant à côté leur « maître » en forêt.

© instagram / @motomogli


« Du point de vue de la séduction, ce genre de profil va toucher toutes les cases, ironise Thomas Messias. Avec son côté baroudeur, il reste associé à une certaine idée de la virilité traditionnelle, surtout s’il y a la musculature ad hoc à la clé. Et en même temps, il y a cette idée de délicatesse et 
d’attention derrière le fait d’avoir un chat, de s’en occuper et de faire des trucs « trop mignons » avec lui.

Il y a aussi étonnamment un rapport à la transmission que l’on observe plutôt d’habitude chez le propriétaire de chien. Un animal que l’on « éduque », à qui l’on apprend à « obéir » et à qui on transmet des « valeurs » un peu comme à un enfant. »

© instagram / @greatgramsofgary

Le charme déconstruit de l’homme d’intérieur

A l’inverse, l’homme à chat d’intérieur – on est plutôt sur une relation façon Choupette et Karl Lagerfeld – le gâtera comme un enfant roi… ou une princesse. Ce faisant, il conforte des clichés de séduction à l’ancienne – regarde, je ne te refuserai rien non plus. Tout en projetant l’image de l’homme capable de se frotter à la trivialité des tâches ménagères – à savoir le remplissage des gamelles et surtout l’entretien de la litière – qu’il se doit forcément d’assumer s’il est célibataire.

Un sens du « care » qui pourrait laisser supposer une habilité au partage des corvées. Voire un engagement d’allié dans la cause féministe.

© instagram / @sarperduman


« Il est indéniable que le chat a longtemps été associé symboliquement à la féminité – je pense à la déesse égyptienne Bastet, au chat compagnon des sorcières, poursuit Philippe Villemus. Et à une forme de sexisme larvé que l’on retrouve jusque dans certaines expressions langagières, prenez par exemple l’expression « minet » qui a longtemps désigné de manière péjorative les hommes que l’on disait efféminés.»

Et notre expert de pointer aussi « une première vague de popularité chez les hommes à partir du XIXe siècle en devenant l’animal des artistes, des poètes, des écrivains, de peintres, des savants.» Des profils masculins qui véhiculaient déjà une autre image de la virilité. »

L’aura d’Hemingway

Deux siècles plus tard, l’homme à chats bénéficie encore inconsciemment de l’aura de « cat dads » aussi illustres que Baudelaire, Gide ou Lévi-Strauss. Perçu comme disrupteur car vivant à l’écart des normes tel un Hemingway sur son île entouré de matous polydactyles, il serait par extension plus rebelle à l’autorité car il a fait le choix d’aimer un animal… qui ne se dompte pas.


Lui-même propriétaire d’un félin, Thomas Messias reconnaît en tout cas son pouvoir certain lorsqu’il s’agit de briser la glace.

« Ce n’est pas quelque chose que j’ai anticipé ou calculé, mais la présence d’un chat sur une photo de profil peut certainement aider à engager une conversation. Finalement, c’est un point commun comme un autre qui peut déboucher sur des heures de discussions. Les réseaux sociaux aujourd’hui vont toujours privilégier l’interaction, ce qui engage. Dans ce sens-là, le chat est sûrement un atout. »

L’effet golden retriever


Mais sûrement pas une garantie. « Sans mauvais jeu de mots, on se rend bien compte qu’il y a une part de « catfishing » derrière ces mises en scène souvent trop belles pour être vraies, relativise Lana, 28 ans, maman d’une minette tricolore. Il y a toujours des types qui vont faire un carton avec leur golden retriever caramel. Et ce n’est pas une garantie non plus.»

Comme Taylor Swift dont elle est fan, la jeune femme assume elle aussi complètement son côté cat lady qui n’a plus rien de rance ni de vieillot. Son futur partenaire aimera forcément les chats. Sans cela, red flag assuré.

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