CHRONIQUE C'est pas faux de Nicolas Balmet
Le couteau suisse a été inventé par un… Allemand
Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.
Une grande majorité des citoyens de ce monde reste persuadée – et ça peut se comprendre – que le couteau suisse a été inventé par MacGyver. Mais une fois n’est pas coutume: dans cette chronique, il n’y a que la vérité qui compte. Et n’en déplaise aux fans, MacGyver n’est qu’un personnage secondaire dans l’histoire: il n’a fait que populariser le célèbre outil en montrant qu’avec un brin de débrouillardise et à condition de lire attentivement la notice, il était possible de l’utiliser pour changer une roue ou tondre sa pelouse.
Si on veut remonter à la source du couteau pliant, il faut citer le nom de John S. Holler, un ingénieur allemand qui, en 1880, a imaginé un premier modèle du genre contenant pas moins de 100 fonctions, dont une lame de rasoir, un accordeur de piano ou… un mini revolver – s’il avait vécu à notre époque, il aurait inclus un robot-cuiseur «au cas où».
Moins d’une décennie plus tard, le vrai couteau suisse va naître sous l’impulsion de l’armée… suisse. Bien sûr, je pourrais ici ouvrir une parenthèse pour évoquer le fait que la Suisse, contrairement à la croyance populaire, possède bel et bien une armée et que, de surcroît, celle-ci n’a rien à voir avec la fameuse Garde Suisse pontificale, mais je sens que si je ne ferme pas fissa cette parenthèse, je vais perdre un bataillon de lecteurs en cours de route.
On est donc en 1890 lorsque l’armée suisse prononce un vœu: elle aimerait doter ses valeureux combattants d’un couteau de poche qui leur permet à la fois de se protéger, d’ouvrir leurs boîtes de conserve ou de démonter leur fusil. Ainsi naît le Swiss Army Knife, dont la production est confiée à l’Allemagne – encore elle – qui en fera un objet de séduction massive auprès des campeurs, des scouts et autres baroudeurs du dimanche, même si ce sont d’abord les soldats de la Seconde Guerre mondiale qui se l’approprieront.
Aujourd’hui? C’est le coutelier suisse Victorinox qui façonne l’outil et fournit même plusieurs armées dans le monde – je vous assure que j’aimerais beaucoup parler de la neutralité suisse, vraiment, ce serait passionnant, mais je n’ai pas trop envie de me fâcher avec ces gens-là, j’aime un peu trop le Toblerone.
J’entends d’ici quelques sarcasmes: «Ah ah! Et je suppose que l’ajout de l’option tire-bouchon, c’est arrivé quand la Suisse s’est mise à équiper la police!» Encore un débat dans lequel je ne rentrerai pas. Mais bien sûr, le tire-bouchon est intégré uniquement aux versions destinées au grand public. D’ailleurs, s’il y a bien une qualité qu’il faut reconnaître à l’objet, c’est son côté… couteau suisse.
Ainsi, les pêcheurs peuvent opter pour la version contenant une écailleur à poissons, les bricoleurs prendront le modèle avec la scie à bois, les geeks craqueront pour celui avec la clé USB, et les détectives choisiront (probablement) celle avec la loupe. Oui, la même loupe qui, sur le même couteau, est utilisée par Macaulay Culkin dans Maman j’ai raté l’avion 2 lorsqu’il inspecte une carte de New York…
Tant que j’y suis à vous étaler ma passion pour le cinéma d’auteur, je dois aussi vous parler de L’Arme fatale 3 et de Seul sur Mars. Dans le premier, on aperçoit Mel Gibson en train de désamorcer une bombe avec le couteau suisse, tandis que dans le second, Matt Damon se sert plusieurs fois d’un joli Victorinox… et c’est loin d’être une anecdote anodine. En effet, il faut savoir que l’objet culte fait aujourd’hui partie intégrante du kit de survie des astronautes de la NASA, et ce depuis 1992, soit pile-poil l’année où Dirk Frimout est allé dans les étoiles (même si, dans le fond, ça n’a rien à voir avec l’histoire).
Bref, non content d’avoir conquis le cœur de Hollywood, le couteau suisse s’autorise régulièrement une petite odyssée de l’espace, tranquillement, sans faire de bruit. Au passage, il se permet même d’inspirer des créateurs du monde entier, à l’instar des célèbres frères Campana, stars du design brésilien, qui ont emprunté ses formes pour imaginer une cuisine multifonctions… et dépliable, présentée en son temps au Salon de Milan. Vous verrez: un jour, je suis sûr que le couteau suisse deviendra canif à la place du calife.
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