Edgar Kosma
Les numériques anonymes
Au royaume des réseaux sociaux, les jours passent et ne se ressemblent pas. Entre les buzz et les likes, le vrai et le fake, Edgar Kosma scrolle le fil d’actu d’un siècle décidément étrange. Hashtag sans filtre.
Parmi les 867 comptes Twitter auxquels je suis abonné, il y en a un dont j’avais envie de vous parler depuis longtemps: @_confessfantasm, un compte francophone avec pas moins de 700 000 abonnés. «Confess» de «confession», bien sûr, mais aussi «fess» de «fesse» car, on ne va pas se mentir, il y est surtout question de sexe, ou d’amour, appelez cela comme il vous plaira.
Son principe, expliqué dans la bio, est simple: «Envoyez vos confesses en DM (Direct Message ou «MP» comme on dit chez Facebook) pour qu’on les poste. Tout est anonyme.» Comme un court exemple vaut mieux qu’un long exemple, voici l’une de ces confessions telle qu’on peut en lire plusieurs fois par jour: «Ma copine n’arrive pas à pardonner le fait que je consommais beaucoup de porno avant de la rencontrer. Au début de notre relation, on en a pas mal discuté, mais elle considère ça comme de la tromperie et n’arrive pas à passer à autre chose. Je l’aime énormément, je la considère comme la femme de ma vie, on est hyper fusionnels, mais j’ai aujourd’hui peur de la perdre. J’aimerais l’aider à sortir de cette peur constante mais je ne sais pas comment faire.»
‘Les chiens sont lâchés dans cet écosystème impitoyable.’
Rien de neuf sous le soleil, me direz-vous, nous sommes ici dans le plus pur registre de la confession intime telle qu’on la pratiquait, par exemple, à la grande époque de Doc & Difool sur Fun Radio: un homme, une femme ou un non-binaire relate son histoire qu’il n’oserait raconter à découvert, avec le secret espoir de s’exhiber anonymement à une foule de voyeurs en tous genres.
Les questions posées sont vieilles comme le monde. Si les technologies de la communication ont évolué, les êtres humains semblent toujours aussi désarmés par rapport à leurs vies sentimentales: «Est-ce qu’une relation d’amitié peut finir en couple ou jamais?», «Mon mec regarde les stories de son ex, je dois m’inquiéter?» ou encore «Ma copine a des fantasmes qui me dégoûtent, que dois-je faire?»
Une différence notoire avec les médias traditionnels, c’est que, là où il y avait une écoute bienveillante sur les antennes, parfois avec un psy en studio, et qu’on n’entendait pas les réactions des lecteurs ou auditeurs, le confessant 2.0 a ici la liberté d’espionner les amas de commentaires qui s’accumulent par centaines sous son tweet. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser question pour sa santé mentale, puisque les réactions désordonnées sont, au mieux, moqueuses, au pire, malveillantes.
Par exemple, à une femme désespérée avouant qu’elle est amoureuse d’un homme marié et qu’elle est à deux doigts d’écrire à son épouse, un twitto sous pseudo jette un lapidaire «Trouve-toi une dignité avant» et je vous fais cadeau des tas d’insultes misogynes qui s’ensuivent. Les chiens sont lâchés dans cet écosystème impitoyable des sans nom et sans reproche.
Au-delà de leur côté drôle, touchant ou pathétique, ces confessions intimes qui sont balancées dans la grande arène des réseaux sociaux dans le but d’obtenir une validation, une exposition ou une flagellation ne disent-elles pas quelque chose sur notre société à la fois connectée et déconnectée, notre individualisme sans fin, notre difficulté grandissante à dire nos sentiments à ceux et celles qui nous attirent ou que nous aimons dans le monde physique?
Allez, voici une petite dernière pour la route, avec le retour de cette éternelle angoisse du mâle alpha: «En toute honnêteté, je voudrais savoir: est-ce que la taille compte vraiment?» Tout ce que je peux vous dire, cher Monsieur, c’est que, oui, la taille, ça compte, celle d’une chronique notamment, et il se fait que je suis justement arrivé au bout de celle-ci.
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