Du glamour du mannequinat à la mort en prison, anatomie de la chute de Jean-Luc Brunel

Près de deux ans après son suicide en prison, l’ancien agent de mannequins Jean-Luc Brunel fait à nouveau l’actualité. Ses avocats demandent en effet l’ouverture d’une enquête sur la mort de celui qui a longtemps côtoyé les plus grands noms de la planète mode. Retour sur un parcours passé de la gloire à la déchéance.
Coup de théâtre, alors que l’affaire Epstein multiplie actuellement les rebondissements: à l’approche des deux ans du suicide en détention de l’ancien agent de mannequins Jean-Luc Brunel, accusé de viols sur mineur, ses avocats, Marianne Abgrall et Christophee Ingrain, demandent l’ouverture d’une enquête sur de supposés « dysfonctionnements majeurs » de la justice française. Lesquels auraient, selon eux, abouti à la mort de leur client, qui avait fait plusieurs tentatives de suicide en prison avant d’être retrouvé mort, pendu, dans sa cellule dans la nuit du 18 au 19 février 2022, à l’âge de 75 ans.
Et Maîtres Abgrall et Ingrain de dénoncer un traitement « émaillé d’innombrables manquements », qui s’apparente à un « désastre judiciaire », « au-delà du profond sentiment d’injustice de Jean-Luc Brunel » qui s’affirmait innocent. Mais comment celui à qui on attribue la « découverte » de Milla Jovovich et Christy Turlington entre autres s’est-il retrouvé en prison? Tout commence à Paris, dans les années 70.
Les coulisses sordides du mannequinat
Alors attaché de presse pour un voyagiste français, Jean-Luc Brunel effectue un virage professionnel et devient « découvreur de mannequins » pour le compte de l’agence Karin Models, dont il prendra la tête en 1978. Autres temps, autres moeurs: c’est l’époque où Claude François, avec qui Brunel collabore, clame à la télévision sa passion pour les très jeunes filles, les qualifiant de « vieillardes » si elles sont âgées de plus de 18 ans. Et où on ne parle de consentement que dans le cadre de la signature d’un contrat, et encore. Un contexte propice aux abus pour celui que son métier place au coeur d’une nuée de (très) jeunes et (très) jolies filles?
En 1988 déjà, Jean-Luc Brunel fait l’objet d’une enquête journalistique longue de sept mois de la part de l’équipe de l’émission américaine 60 Minutes. Dans laquelle la journaliste de renom Diane Sawyer l’accuse, lui et l’agent de Paris Planning Claude Haddad, d’agressions sexuelles réparties sur trois décennies. Deux mannequins, mineures au moment des faits, l’accusent notamment de les avoir droguées et violées, tandis que le faisceau de témoignage rassemblés laisse supposer un problème systémique plutôt que des agressions isolées.
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Brunel, Epstein et Maxwell
De quoi dérailler sa carrière? Au contraire: 1988 voit également le Parisien fonder Next Management Company avec son frère, Arnaud Brunel. Une agence qu’il quittera au mitan des années 90, emportant avec lui les mannequins de la division de Miami, et voyant l’aventure se terminer au tribunal. Ayant quitté l’Europe au profit des Etats-Unis, Jean-Luc Brunel, poursuivi par des accusations d’agressions sexuelles, y établit MC2 Model Management, avec le soutien financier… de Jeffrey Epstein.
Dans le rôle d’intermédiaire entre les deux hommes, nulle autre que Ghislaine Maxwell, qualifiée « d’ombre sinistre » du milliardaire américain, mais aussi de trafiquante de chair fraîche par ses accusatrices…
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D’ailleurs l’une d’entre elles, Virginia Roberts Giuffre, affirme dès 2014 que l’agence MC2 n’était rien d’autre qu’une couverture pour trafic sexuel, dont l’objectif n’était pas tant de repérer ou représenter des mannequins que de fournir des jeunes filles au milliardaire.
Qui, toujours selon ses dires, se serait vanté d’avoir « couché avec plus de mille filles de Brunel ». Avec lequel, d’après celle qui affirme également avoir été contrainte d’avoir des rapports sexuels avec le Prince Andrew, elle aurait été forcée à des rapports par Ghislaine Maxwell. Des accusations que Jean-Luc Brunel « nie fermement » à l’époque.
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Jean-Luc Brunel, « danger dans le milieu »?
L’agent de mannequins, victime collatérale de la chute d’Epstein? Pour Maritza Vasquez, ancienne comptable de l’agence MC2, Brunel est un « cocaïnomane doté d’un appétit insatiable pour les jeunes filles ». Interviewé par Michael Gross pour son livre explosif Model, paru en 1995 outre-Atlantique, Jérôme Bonnouvrier, le fondateur de l’agence Glamour, n’hésite pas à qualifier son concurrent de « danger dans le milieu », tandis que d’autres l’accusent de non seulement exhorter des faveurs sexuelles à de jeunes mannequins, mais aussi, contrairement à ses pairs, de les pousser à faire de même pour ses amis.
Dont Epstein? En 2015, alors que l’ampleur des agissements de ce dernier commence à être révélée, Jean-Luc Brunel se retourne contre lui. Et va jusqu’à porter plainte, pointant que ses « actions illégales » ont entaché sa réputation dans le milieu du mannequinat et lui ont coûté des contrats.
Entre justice et « lynchage médiatico-judiciaire »
Las, cette prise de distance ne suffit pas, et alors que l’affaire Epstein prend toujours plus d’ampleur, une enquête contre Brunel est ouverte en 2019 par la police française. En décembre 2020, l’ancien agent de mannequins est arrêté à l’aéroport Charles de Gaulle alors qu’il s’apprête à s’envoler vers le Sénégal, et mis en examen pour viols sur mineur et harcèlement sexuel. Des crimes pour la plupart proscrits, mais pas en ce qui concerne la mannequin néerlandaise Thysia Huisman, qui l’accuse de l’avoir violée quand elle n’avait que 18 ans. Et déclare, au moment de son arrestation, « je suis heureuse, je pleure des larmes de joie, c’est le plus beau cadeau de Noël qu’on puisse me faire ».
À l’été 2021, nouvelle mise en examen, pour viol aggravé sur mineure cette fois, après qu’une mannequin l’accuse de l’avoir droguée et violée alors qu’elle était âgée de 17 ans. Une accusation que les avocats de l’agent déchu, Marianne Abgrall et Mathias Chichportich, qualifient de « nouvelle illustration du lynchage médiatico-judiciaire » subi selon eux par leur client depuis le suicide d’Epstein.
Un suicide qui aura épargné à ce dernier d’avoir à affronter ses accusatrices et la justice. Jean-Luc Brunel ne devra pas non plus leur rendre de comptes: après avoir tenté de s’ouvrir les veines et de s’infliger une overdose médicamenteuse, il meurt par pendaison dans sa cellule le 19 février 2022. La faute à la justice française?
Alcool, cocaïne et accusations de viol
Ses avocats en semblent convaincus, et dénoncent un « déni » par la justice du « haut risque de suicide » de leur client, des délais « anormaux » pour verser au dossier de fond des éléments de l’enquête américaine ou de téléphonie qui étaient mentionnés comme justifiant le maintien en détention provisoire de M. Brunel, ou encore des « dysfonctionnements des services d’enquête ». Dès mars 2023, pourtant, une procureure parisienne affirmait que le suicide était bien réactionnel à sa mise en examen et à sa ré-incarcération, mais qu’aucune « infraction pénale » ne pouvait être établie.
Ainsi que le souligne l’AFP, au moins cinq autres femmes avaient dénoncé des viols, trois autres des agressions sexuelles, des accusations remontant pour certaines aux années 70 et donc pour la plupart prescrites, en raison de leur ancienneté. Plusieurs ex-mannequins ont raconté avoir été invitées, mineures pour certaines, à des soirées en présence de M. Brunel et d’autres hommes plus âgés, au cours desquelles beaucoup d’alcool et de cocaïne circulaient, et où elles affirmaient avoir été droguées avant d’être agressées sexuellement.
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