Juan Borbolla, le dernier vidéothécaire de Bruxelles: « J’inscris un nouveau client chaque jour »
Depuis 25 ans, ce fou de cinéma pilote le Vidéo Express, à Saint-Gilles. Soutenu par une clientèle indéfectible, l’un des derniers « vrais » vidéoclubs de Bruxelles vient de déménager à deux pas de son adresse historique. Chaque jour, Juan accueille de nouveaux abonnés, attirés par l’éclectisme d’un catalogue de plus de 24.000 films.
Le déclic Gainsbourg
Il y a des coups de foudre qui changent votre vie. Quand j’étais ado, je suis tombé sur L’Effrontée de Claude Miller, à la télé, chez un copain. Je n’allais pas au cinéma, je n’y vais toujours pas d’ailleurs, c’était trop cher pour moi. J’ai eu un vrai crush pour Charlotte Gainsbourg, je devais avoir 14-15 ans. Une véritable révélation. Je me suis précipité dans le vidéostore près de chez moi pour en louer d’autres du même genre. Le patron m’a envoyé à la médiathèque du Passage 44. C’est tout un monde qui s’est ouvert à moi.
Une collection pour tous
Il n’y a rien de mieux que les mélanges. Le Vidéo Express n’a rien d’un club élitiste rempli de films d’auteur. Dans les 24.000 références du catalogue, on trouve aussi bien un classique du cinéma espagnol que le dernier blockbuster à la mode ou une comédie romantique. Je ne choisis pas que ce qui me plaît, je ne regarderai jamais Barbie par exemple, mais je dois l’avoir, c’est obligé. Je suis toujours à l’écoute de mes clients, c’est à eux que la collection doit son l’éclectisme.
Fidèles et solidaires
La solidarité, c’est la vie. J’ai crû que l’arrivée de Netflix aurait ma peau. Jusque-là, même si je ne parvenais pas à me payer tous les mois, je gardais la tête hors de l’eau. Avec les recettes du vendredi, je passais mes nouvelles commandes de la semaine. C’est devenu de plus en plus aléatoire. J’en ai voulu aux médias d’avoir déroulé le tapis rouge à cette plate-forme, ça revenait à dire aux gens que ce serait impossible de s’en passer. C’est à ce moment-là que l’ASBL Les amis du Vidéo-Express s’est constituée. Je n’ai même pas eu à demander. Les habitués se sont mobilisés. Depuis, ils m’aident à financer les acquisitions, mais surtout à mettre en place les Vitrines : tous les trois mois environ, une personnalité ou une association y partage des coups de coeur et ça attire du monde.
2,48 euros, point barre
Je n’ai pas touché au prix de location depuis le passage à l’euro. Avant, c’était 100 francs belges. C’est devenu et ça restera 2,48 euros. C’est un « beau » prix, joli à dire, il y a une certaine douceur dans les sons. Mes amis de l’ASBL me poussent à l’augmenter, ça permettrait de rentabiliser plus vite les achats, mais je tiens bon. On ne me changera plus, je suis têtu comme un Asturien !
Un lieu de confiance
Les commerces de proximité sont le liant des quartiers. Je croise des étudiants en école d’art, des gamins du coin, des cinéphiles mais pas que, des familles. Parfois, ce sont les jeunes qui font découvrir l’endroit à leurs parents, ou alors, c’est chez moi que des gosses viennent faire leur première course tout seul. Et ça me rend fier parce que ça veut dire que c’est un lieu de confiance. J’inscris en moyenne un nouvel usager par jour, ils sont 80.000 en tout. C’est ouvert tous les jours, même à Noël, surtout le Jour de l’An, de midi à 22 heures. J’aime que les gens se perdent dans les rayonnages et se laissent surprendre par un jaquette.
Tableau d’honneur
Réprimer ne sert à rien. Je n’ai jamais voulu infliger des amendes de retard, je sais que mes clients sont responsables, qu’ils ne gardent pas un film sans raison. Et quand ça arrive, ils se sentent sans doute un peu coupables : je retrouve des petits mots d’excuses – très créatifs – collés sur la pochette du DVD quand ils le glissent dans la boîte aux lettres. Je les punaise sur le tableau d’honneur.
Des hauts et des bas
Si c’était à refaire, je recommencerais pareil. Pas que tout se soit toujours bien passé, loin de là. J’ai eu un infarctus à 48 ans, j’ai connu des galères financières. Mais j’aurais bien trop peur, si je changeais ne serais-ce qu’une virgule, de ne pas croiser la route des personnes incroyables qui m’ont aidé à devenir ce que je suis. Ma femme et mes enfants bien sûr, ma première propriétaire qui m’a fait cadeau de six mois de loyer. Et puis Jean-Claude qui m’a pris à l’essai dans son vidéoclub. Je traversais une passe difficile à l’époque et franchement, je ne me serais pas engagé moi-même si je m’étais vu. Ça, je ne l’oublierai jamais.
Témérité
Il ne faut jamais rien s’interdire. J’ai monté des projets qui ont échoué – deux autres vidéos stores, une petite librairie – mais au moins j’ai essayé. Il n’est jamais trop tard pour tenter de nouvelles expériences. Depuis l’année dernière, j’ai un boulot à mi-temps de chauffeur de car pour transporter des enfants. A 52 ans, c’est la première fois que j’ai des congés payés. Quoi qu’il arrive, je pense toujours à la devise du Che : « Hasta la victoria siempre ! ».
Vidéo Express, 55, rue Théodore Verhaegen, à 1060 Bruxelles. videoexpress.be
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