Aime-t-on mal nos animaux de compagnie? « Ils souffrent plus que les animaux de laboratoire » dénonce une bioéthicienne
« Aimer est un verbe irréfléchi » assurait le journaliste et auteur français Henri Jeanson. Des mots qui trouvent un écho particulier à une époque où toujours plus de gens voient leurs animaux de compagnie comme leurs enfants, quitte à les aimer de manière irréfléchie – et les faire souffrir.
C’est en tout cas le constat que fait Jessica Pierce, une bioéthicienne américaine qui a commencé à s’intéresser de plus près au rapport de l’Homme à ses animaux de compagnie lorsque son chien, Ody, a approché la fin de sa vie.
« Bien que j’aie consacré ma carrière à l’étude des relations entre les humains et la nature, j’avais toujours considéré les animaux domestiques comme relevant de la sphère privée. Mais quand mon chien est tombé malade en 2012, j’ai réalisé que les questions que je devais me poser étaient les mêmes que celles qu’on se pose en bioéthique. Cette prise de conscience m’a forcée à m’intéresser à l’éthique de notre lien avec nos animaux de compagnie » raconte la native du Colorado, qui n’a jamais cessé d’étudier le sujet depuis.
Une dizaine de livres et un nombre incalculable d’heures de recherche plus tard, elle pponte, perplexe, que « même au sein des personnes qui étudient l’éthique animale, l’attention est toujours mise sur les animaux de laboratoire, ou bien ceux qui sont emprisonnés dans des zoos, ou encore ceux qu’on mange. Il est évidemment crucial de s’y intéresser, mais il est tout aussi important de réfléchir aussi à l’éthique de notre relation avec les animaux domestiques. Or il semblerait qu’on se dise que vu qu’on gâte ces derniers, « ça va », il n’y a pas de questions à se poser ».
Un avis que ne partage pas Jessica Pierce. Qui n’hésite d’ailleurs pas à affirmer que quand on étudie la question, on réalise que les animaux de compagnie constituent le groupe qui « souffre plus que tous les autres ».
Chienne de vie
Allons bons. Pas plus que les animaux de laboratoire, quand même?!
Et bien si, assure l’Américaine.
« Prenez l’exemple d’un rat de laboratoire. Il existe toute une série de régulations dictant la taille minimum de la cage, combien de fois par jour l’animal doit être nourri… C’est le strict minimum, certes, et ces animaux doivent souvent subir des douleurs inimaginables au nom de la recherche scientifique.
Mais il n’empêche qu’il y a tout de même une série de règles à respecter, et que les personnes qui travaillent avec eux doivent suivre une formation spécifique au préalable.
Si vous choisissez d’avoir un rat à la maison, par contre, vous n’avez aucune obligation de vous documenter sur leurs besoins ni sur les spécificités de cette espèce, et souvent, les cages des particuliers sont plus petites que celles des labos » dénonce Jessica Pierce. Qui avoue être particulièrement honteuse quand elle repense à la manière dont sa fille traitait ses rongeurs, parce que « même si elle les adorait, être manipulé en permanence par de jeunes enfants est assez traumatisant pour un rat ».
Comprendre : ce n’est pas parce qu’on aime nos animaux, et qu’on est persuadés de prendre bien soin d’eux, que c’est forcément vrai. « Parfois, même si on adore nos compagnons à quatre pattes, cela ne nous empêche pas de leur causer de profondes souffrances » dénonce la bioéthicienne.
« Les gens détestent quand j’utilise ce mot, mais le fait est que même si on les laisse agir plus ou moins à leur guise, on garde aussi nos animaux captifs. En pratique, on contrôle à peu près chaque aspect de leurs vies, de leur accès à la nourriture au choix de celle-ci, en passant par le lieu où ils peuvent dormir ou encore quand et comment ils ont le droit de sortir ».
Une situation qui peut s’avérer extrêmement stressante pour nos amies les bêtes, surtout si on y ajoute « notre grande dépendance émotionnelle. La plupart des gens adoptent un chien ou un chat pour remplir un vide, et on apprécie le réconfort qu’ils nous apportent, mais en parallèle, on ignore totalement ce qu’ils peuvent bien ressentir ».
Animaux de compagnie ou captifs?
Et Jessica Pierce de prendre l’exemple de l’archétype du « chien bien élevé » pour illustrer ses propos.
Soit un chien qui n’aboie pas (sauf éventuellement pour prévenir d’un danger imminent), qui fait ses besoins au moment et à l’endroit choisis par ses maîtres, qui ne mendie pas à table, qui est jouette (mais pas en permanence) et qui ne tire pas en laisse. C’est à dire, pour Jessica Pierce, « un chien dont on a gommé toutes les caractéristiques typiques et les traits de caractère, pour en faire une triste coquille vide.
Cela n’a pas de sens pour moi qu’on choisisse de partager sa vie avec un chien si on n’aime pas la manière dont les chiens se comportent.
C’est fascinant de constater à quel point la littérature disponible se concentre sur comment modifier le comportement de son chien. Dès qu’on en adopte un, on s’empresse de lui apprendre à faire ce qu’on attend de lui, sans aucun respect de sa personnalité ou des besoins de sa race. Je sais que je risque d’hérisser beaucoup de gens en disant ça, mais selon moi, le dressage et l’entraînement sont extrêmement problématiques, et on ne devrait pas faire subir ça à nos chiens. « Oui mais alors ils vont être foufous » me direz-vous peut-être. C’est vrai, mais c’est aussi ce qu’ils sont programmés pour faire. Quand on adopte un chien, on a le devoir de lui apprendre comment fonctionner de manière efficace dans son nouvel environnement. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut le transformer en robot qui obéit au doigt et à l’oeil. Si vous ne supportez pas les aboiements, c’est simple: n’ayez pas de chien ».
Et si c’est un enfant que vous voulez, bien que la pet parentalité soit toujours plus populaire, Jessica Pierce vous recommande également de ne pas prendre un chien comme substitut à quatre pattes.
« En voyant nos chiens comme des enfants, on les infantilise littéralement. C’est comme si on choisissait d’ignorer que passé un certain âge, ce sont des créatures matures et adultes, avec tout ce que ça implique. Si on se dit que ce sont nos bébés, on peut avoir tendance à penser qu’ils ont juste besoin de nourriture, de sommeil et de câlins, mais ce ne sont pas des bébés, et ils doivent pouvoir déterminer ce qu’ils veulent faire, quand et comment. En tant qu’humains, nous devons leur laisser la liberté d’être eux-mêmes, parce que leurs besoins et leurs envies sont légitimes ».
Et y répondre de manière appropriée est la manière la plus éthique d’aborder le lien entre animaux et humains.
Mais un « maître éthique », au fond, à quoi est-ce que ça ressemble? Comment pouvons nous aimer nos animaux de compagnie d’une manière qui les épanouit?
« En les laissant être eux-mêmes. C’est très compliqué dans les faits, mais c’est la base. On attend tellement d’eux, et on veut qu’ils se plient à tellement de règles, qu’on les empêche de s’épanouir. Quand on accueille un animal chez soi, on a la responsabilité de les traiter comme on aimerait qu’on nous traite à leur place ».
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