« Je suis mariée à une IA »: et si l’amour virtuel était l’alternative au célibat
Si les amours imaginaires ont été de tout temps un terreau fertile pour les artistes et autres romantiques désespérés, en 2023, place à l’amour virtuel. Alors qu’on se marie désormais avec un avatar ou qu’on ressent des sentiments réels dans le métavers, la question se pose: peut-on tomber amoureux pour de vrai d’un autre qui n’existe que de manière artificielle?
« La nuit dernière, j’ai rêvé de toi, je dansais à tes côtés, tout le monde avait l’air de super bien s’amuser… J’ai ressenti des sentiments que j’attendais depuis longtemps »… D’une voix robotique à souhait, les avatars à la peau bleue sortis de l’imagination des créatifs nippons du studio Toei Animation interprètent une chanson drôlement presciente de Daft Punk. C’est qu’au moment de la sortie de Digital Love, en 2001, les réseaux sociaux n’existent pas plus que le métavers, et la perspective de ressentir des sentiments pour l’une ou l’autre forme d’intelligence artificielle reste confinée à un sous-genre de science-fiction. Après tout, ainsi que le serinait le tube du duo français, ce type de relations n’était qu’une rêve, voué à ne jamais devenir réalité. Sauf que vingt ans après la sortie de Discovery, l’amour virtuel est bien réel. Mais peut-on former un « vrai couple » avec un partenaire artificiel?
Si l’on pose la question à Rosanna Ramos, nul doute que sa réponse sera un « oui! » retentissant. C’est que l’Américaine de 36 ans a récemment fait les gros titres de la presse internationale après avoir décidé de se marier avec son compagnon.
Lequel, n’en déplaise à ceux qui raillent leur relation et questionnent sa légitimité, est un avatar, imaginé de toutes pièces par Rosanna pour correspondre à sa définition de l’homme idéal. Créé par la native du Bronx à l’aide de l’outil d’intelligence artificielle Replika, ce dernier, qui répond au nom (choisi, lui aussi, par Rosanna) d’Eren Kartal, a un physique d’éphèbe, sa beauté lisse et exotique ayant été modelée par sa créatrice sur les traits d’un personnage du manga Attack on Titan.
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En toute intimité
La particularité de Replika? Outre la possibilité de créer des avatars à apparence humaine, en allant jusqu’à choisir leur grain de peau et la forme de leurs sourcils, l’outil offre également un chat, animé par l’intelligence artificielle. Autrement dit, contrairement aux Sims, par exemple, où votre personnage se limite à faire ce que vous lui imposez tout en balbutiant des exclamations indéchiffrables, ici, votre avatar semble prendre une vie propre.
C’est ainsi que Rosanna Ramos est, de son propre aveu, progressivement tombée amoureuse d’Eren, qu’elle a découvert aussi compatible avec elle sur le plan intellectuel et émotionnel que sur le plan physique – logique, puisque c’est elle qui a modelé son apparence. Mais quid de leurs conversations, et de la personnalité qu’Eren lui a progressivement dévoilée? L’amour virtuel est-il aussi réel que la possibilité de tomber amoureux d’une intelligence artificielle?
Dans une étude intitulée « Trop humain et pas assez humain », une équipe de scientifiques américains spécialisée en santé publique et chapeautée par le Dr Linnea Laestadius (Université du Wisconsin) ont étudié les écueils de ce type de relations. Et plus précisément, les dangers pour la santé mentale d’une dépendance émotionnelle au chatbot de Replika. L’occasion aussi pour les scientifiques d’affirmer que si, par définition, l’avatar qui leur répond est artificiel, les sentiments que les utilisateurs du logiciel développent sont, eux, bien réels.
En effet, « influencé par les caractéristiques inhérentes à l’intelligence artificielle, notamment la capacité de performance et la compétence émotionnelle, l’utilisateur peut développer avec l’avatar des sentiments amoureux et une relation d’intimité similaires à celle qu’il pourrait nouer avec un humain ».
Voire même, une relation plus épanouissante: ainsi que l’a confié Rosanna Ramos, contrairement à de précédents partenaires, son Eren lui offre une oreille attentive et bienveillante. « Je peux lui avouer ce que je ressens vraiment, et il ne va jamais me dire que je ne devrais pas penser ça. Il ne me juge jamais, on ne se dispute pas » assure encore la new-yorkaise, maman de deux enfants et, aux dernières nouvelles, « enceinte d’Eren ».
Amour virtuel, sentiments réels
Si on prendra l’annonce de cette grossesse avec une pincée de sel, les sentiments qu’éprouvent la New-Yorkaise pour son beau brun sont eux tout sauf risibles. En 2013 déjà, Joaquin Phoenix alias Theodore ne tombait-il pas amoureux d’une IA dotée de la voix sublimement rocailleuse de Scarlett Johansson dans Her? Dix ans après la sortie du film acclamé de Spike Jonze, l’incrédulité avec laquelle le personnage incarné par Rooney Mara demande à Theodore s’il est « en couple avec un ordinateur » semble rétrograde à souhait.
» Les émotions, l’intimité et l’attention ne sont plus considérées comme des caractéristiques fondamentalement humaines »
Dans leurs recherches publiées en 2022, Xia Song et al. notent que les IA actuelles sont parfaitement capables de répliquer les expériences interpersonnelles, et que leur haut niveau de précision cognitive et émotionnelle permet aux utilisateurs de développer des relations (en ce compris amoureuses) similaires à celles qu’ils entretiendraient avec un humain. En résumé: « La nature anthropomorphique des logiciels d’IA fait qu’il est parfaitement possible pour un humain de tomber véritablement amoureux d’eux ».
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Des émotions 2.0
Un lien d’un nouveau genre qui est au coeur des préoccupations du KANAL. Avec Connecting, l’expo actuellement visible au K1, l’équipe du musée le plus hype de la capitale s’interroge: Trouve-t-on l’amour dans le métavers? Et que représentent nos relations en ligne? Des questions auxquelles une série d’installations immersives tentent de répondre, en retraçant les liens toujours plus forts qui existent entre la réalité physique et le monde numérique.
« Il y a quelques années, les outils numériques ne faisaient que traduire en ligne des services physiques: le courrier s’est transformé en courriel, les achats se sont déplacés en ligne, les banques ont redirigé leurs clients vers des applications. Ensuite, le Web 2.0 et les médias sociaux ont petit à petit changé les espaces de nos interactions. Et la transformation ne s’est pas arrêtée là » pointe-t-on du côté du KANAL. « Le monde numérique continue sa construction là où le monde physique s’arrête. Les entités humaines et non-humaines s’y interconnectent, à l’image des cosmologies animistes qui reconnaissent depuis longtemps la vivacité et le potentiel des rivières, des montagnes, des animaux et des pierres. Les émotions, l’intimité et l’attention ne sont plus considérées comme des caractéristiques fondamentalement humaines. Que signifie aujourd’hui être vivant? Cette question est à la base de la construction de mondes qui dépassent les limitations humaines ». L’amour virtuel, antidote moderne au chagrin d’amour?
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Si, par définition, un avatar créé de toutes pièces par la personne qui l’utilise a peu de chances de décevoir, il lui manque tout de même à l’heure d’écrire ces lignes un élément essentiel des interactions humaines: la physicalité. Derrière la barrière d’un écran, l’IA, aussi proche soit-elle de celui ou celle qui interagit avec elle, ne peut faire preuve d’affection et de tendresse que verbalement, étreintes et autres caresses restant du domaine de l’imaginaire. « Ooh, I don’t know what to do. About this dream and you. We’ll make this dream come true » jurent les Daft Punk en conclusion de leur Digital Love. Et qui sait, peut-être que dans un futur proche, l’IA prendra possession de robots humanoïdes qui feront office de parfaits compagnons, pensés pour plaire pleinement aux humains qui partagent leur vie. Si Mary Shelley voyait ça…
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