Écrire pour se reconstruire: la thérapie par les mots de Boris Cyrulnik

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Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik est un enfant blessé, qui a su panser ses plaies grâce à la parole et l’écriture. Il dédie son dernier ouvrage à cette thérapie par les mots.

« Les mots structurent nos sentiments. On parle pour tisser un lien, on écrit pour donner une forme à un monde incertain. » Telle est la conviction du célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik, dont la voix douce et posée masque en réalité de terribles blessures. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il a frôlé la mort et perdu ses parents. La Libération entraînera une longue réparation, qui lui a donné envie d’apaiser les souffrants. « Tricoter » des récits ou des romans peut renforcer la résilience. Pourquoi tant d’auteurs plongent-ils leur plume dans la douleur? En quoi les mots et les histoires parviennent-ils à cicatriser l’indicible? Quel en est l’impact véritable sur le cerveau, si malléable? Un cheminement fascinant et porteur d’espoir, tant l’inventivité de soi semble illimitée. A condition de la nourrir et de la travailler, avec amour, patience et émerveillement.

Quel regard portez-vous sur votre « enfance curieuse et chaotique »?

Les premiers mois de la vie sont essentiels. C’est pourquoi il ne faut pas stresser les femmes enceintes et offrir une niche affective aux bébés. Outre l’estime de soi, ils acquièrent un bagage pour mieux affronter les malheurs. Avec l’enfance qui avait été la mienne, j’avais le choix entre l’hébétude et la créativité. Il m’a fallu des facteurs épanouissants pour surmonter les épreuves liées à la guerre et l’après-guerre. L’envie d’aider « les mal-partis » vient de mon expérience, puisque je m’identifie à eux.

Boris Cyrulnik
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L’écriture de poèmes, de romans ou d’essais remanie la représentation de la souffrance.

En quoi les mots sont-ils salvateurs?

Ceux-ci transportent des émotions. Mais attention, ils peuvent incarner une bénédiction ou une malédiction. La neuro-imagerie témoigne d’ailleurs de leur impact sur les circuits cérébraux. Les insultes, la peur, le stress ou les traumas modifient la biologie corporelle. Tout cela est toutefois réversible. La résilience comprend un nouveau développement après une agonie psychique. Si on entoure « un grand blessé », son cerveau se remet à fonctionner. Les humains souffrent doublement. Primo, lors du coup réel. Secundo, lors de la représentation de ce dernier. La perte de mes parents est irrémédiable, or dès que j’en ai fait le récit, j’ai modifié ma mémoire. Cela permet d’être moins prisonnier du passé. En cas de traumatisme, on ne parle pas, d’autant que l’environnement nous encourage à nous taire. L’écriture de poèmes, de romans ou d’essais remanie la représentation de la souffrance.

« Les livres sont nos maîtres à rêver. » Ceux qui disent aussi une certaine vérité. Pourquoi?

La lecture permet de se réfugier dans plein de mondes différents. Elle nous ouvre les portes de l’imaginaire. Quel facteur libérateur! Ces mots fictifs explorent d’autres manières d’être humain. Enfant, je voulais être écrivain pour communiquer mes pensées et l’histoire que j’avais dû taire. Tant d’auteurs sont orphelins ou rejetés. Genet, Rimbaud, Romain Gary ou Marilyn Monroe pouvaient s’évader par les mots. Ainsi, ils se créaient un univers merveilleux, bien à eux. En thérapie, on prescrit de plus en plus d’ateliers d’écriture car cela contribue à mieux se comprendre. En agençant les choses, on accède à une vérité.

Romain Gary, Paris, 1974
Romain Gary, Paris, 1974© Getty Images

Est-ce vraiment « toujours possible d’écrire d’autres vies »?

J’ai longuement été coupé en deux, mais en parlant et en écrivant, j’ai pu redevenir moi-même. Comme si cela m’avait littéralement recousu. Se recréer, tel est le mot-clé. Cette base sécuritaire se retrouve lorsque quelqu’un vous donne confiance en vous et vous aide à saisir le sens de votre trauma. Rien de vivant n’est fixe, que ce soit le cerveau humain ou les planètes. Même la faune et la flore font preuve de résilience. Des espèces disparaissent, d’autres se développent. Ce phénomène naturel prouve que le fracas fait partie de la vie. Ces chemins s’avèrent difficiles, mais nécessaires, y compris pour « les bien-partis ». Les « mal-partis », comme moi, n’ont pas le choix. Ils doivent avancer, sinon c’est la fin de la vie psychique. Les adultes blessés peuvent tricoter, chaque jour, de petits progrès. On est contraint à l’inventivité pour créer d’autres réalités.

Pourquoi est-ce important « d’éprouver un sentiment de beauté »?

Les enfants le ressentent très tôt face à une couleur, une forme ou une bulle de savon. Elles leur procurent de la gaieté. Leurs dessins sont des oeuvres d’art. Ce moyen d’expression de soi se veut souvent un cadeau à une figure d’attachement. Ainsi, ils agissent sur le monde mental d’autrui. La beauté ne se définit pas, elle crée de l’harmonie. On en a besoin à tout âge. Petit, j’adorais le coucher du soleil ou le roman Croc-Blanc, que j’ai lu avec des paillettes dans les yeux. Ecrire consiste désormais à m’isoler dans ma liberté intérieure, mais j’ai aussi besoin de m’entourer des gens que j’aime. Etre un survivant signifie vivre plus intensément.

La nuit, j’écrirai des soleils, par Boris Cyrulnik, Odile Jacob, 302 pages.

Écrire pour se reconstruire: la thérapie par les mots de Boris Cyrulnik

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