Friends with benefits: le meilleur des deux mondes, vraiment ?

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Carine Stevens Journaliste Bodytalk

Il vous arrive d’aller au cinéma ensemble, de l’appeler pour discuter ou pour une partie de jambe en l’air. Le tout sans obligations. La situation idéale ?

C’est votre « plus un » pour sortir et il vous arrive de plonger ensemble sous les draps. Il n’y a ni amour ni obligations. Seulement du sexe et, dans un monde idéal, des accords clairs sur ce que vous attendez l’un de l’autre. Par exemple que cela durera le temps que cela dure, ou alors jusqu’à ce que l’un d’eux trouve un partenaire plus pérenne. Voilà ce que cache le concept Friends with benefits, soit d’ami avec bénéfice, ou FWB pour faire court. Est-ce que c’est fréquent ? Probablement plus que vous ne l’imaginez.

Les relations d’aujourd’hui semblent à mille lieues de ce qu’elles étaient il y a quelques décennies. Les mariages et la cohabitation durent de moins en moins longtemps, ce qui fait que de plus en plus de personnes sont, à un moment de leur vie, seules pour une courte ou une plus longue période. En Belgique, plus d’un adulte sur six est célibataire. Or ce n’est pas parce qu’on est seul que l’on n’a plus de besoins sexuels ni l’envie d’avoir un corps chaud dans son lit.

« Je l’ai laissé entrer dans mon lit, mais pas dans mon coeur. »

« Je ne suis pas sortie indemne de mon divorce » , dit Anouk (45 ans). « Je ne me vois pas replonger facilement dans une histoire d’amour, la cicatrice est encore trop fraîche. Mais je reste un être fait de chair et de sang. C’est pourquoi Steve a le droit de venir faire, de temps en temps, un tour dans mon lit. Au sens figuré bien entendu, car il est hors de question qu’il passe la nuit ici: après le sexe, il rentre chez lui. Steve et moi nous connaissons depuis des années, mais il n’est mon partenaire sexuel que depuis six mois. Je ne le vois pas comme un potentiel conjoint : nous sommes trop différents. Mais Steve a un corps divin, il est doux, drôle et célibataire. Nous aimons passer du temps ensemble et nous nous apportons mutuellement quelque chose, du moins de façon ponctuelle.

Pendant ses études, Anouk a déjà eu ce genre d’ami. « Nous l’appelions autrement : une relation BQCNC, pour baiser quand cela nous convient. (rires) Mais en fait, c’était la même chose : j’étais seule, lui aussi. Nous étions dans le même cercle d’amis, nous nous aimions bien et nous étions le filet de sécurité sexuel de l’autre, le tout sans sentiments amoureux. Cette relation s’est arrêtée d’elle-même lorsque j’ai rencontré mon chéri d’alors et qui est devenu, par la suite, mon mari.

Le sexe change tout

« Ce type d’amitié apporte désirs et intimité, sans les fardeaux et les responsabilités qui accompagnent une relation. Pas de serments, vous ne vous engagez à rien. Il s’agit du côté physique de l’amour, de la satisfaction d’un besoin sexuel dans un contexte que l’on considère comme sûr « , explique Rika Ponnet, spécialiste des relations amoureuses.

Beaucoup de gens préfèrent cela à une succession d’aventures d’un soir ou à une relation sexuelle avec un étranger qui pourrait s’emballer. Dans le cas d’un ami avec des avantages, les attentes sont claires et tout le monde, en théorie, est sur la même longueur d’onde. »

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Anouk résume comme suit les règles établies entre elle et Steve : Pas de conversations émotionnelles avant, pendant ou après avoir fait l’amour. Nous gardons nos amis et connaissances mutuelles en dehors de ça. On fait l’amour en toute sécurité, avec un préservatif. On peut s’envoyer des messages ou s’appeler, mais de manière occasionnelle. Et en aucun cas nous ne dormons ensemble. »

Selon Rika Ponnet de bons accords réduisent sans aucun doute le risque de déceptions et de blessures, mais ne garantissent pas pour autant une fin heureuse. « Le sexe change tout », dit-elle.

Les gens sous-estiment souvent l’impact que peut avoir le fait d’entretenir des relations sexuelles avec quelqu’un avec qui vous vous sentez bien. Cela met en branle toutes sortes choses, tant physiques que sensorielles. Des choses sur lesquels vous n’avez aucun contrôle et qui créent, quoiqu’il arrive, un sentiment de connexion, un lien qui se crée. Or c’est justement ce que l’on cherche à éviter en optant pour la nature non contraignante de ce type de relation. La sexologue clinicienne et psychologue Chloé De Bie souligne également que le sexe crée un lien émotionnel : il est impossible de ne pas se rapprocher de l’autre personne. Et puis le pas vers l’amour est parfois très petit, même si ce n’était pas, du tout, l’intention de départ. Les gens, contrairement à ce qu’ils pensent, ne sont pas aussi doués qu’ils le voudraient lorsqu’il s’agit de prédire leurs émotions.

Marijke (32 ans), par exemple, s’est fait surprendre. Si cela n’avait tenu qu’à elle, elle aurait bien aimé que Jeroen tombe amoureux d’elle. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi. « J’avais le béguin pour lui, donc ça ne me dérangeait pas qu’il dorme parfois avec moi après une soirée. Mais Jeroen ne voulait pas d’une relation. Du coup, c’était double peine. Je me suis non seulement sentie rejetée, mais aussi un peu fille facile. »

Marijke n’est pas une exception: beaucoup de relations FWB commencent parce que l’une des deux personnes impliquées espère secrètement qu’avec le temps ce sera un peu plus que cela. Et même si les contes de fées se réalisent parfois, les chances de parvenir à transcender une relation de type FWB en relation d’amour se révèlent minimes si, au départ, seul l’un d’eux a des sentiments.

Pour Laura (29 ans), il était clair dès le début que Joost et elle n’étaient pas, et ne deviendraient pas, compatibles. Après ce qui n’était au départ qu’un coup d’un soir, ils se sont vus de temps en temps, juste pour le sexe. Mais tout change quand elle sent que la relation bascule vers quelque chose de moins occasionnel. « Il m’arrivait de plus en plus souvent de me demander ce que faisait Joost ou avec qui il traînait quand il n’était pas avec moi. Je vérifiais s’il était en ligne, j’envoyais des messages et surtout attendait une réponse. Quand j’ai réalisé que je tombais amoureuse, j’ai rapidement mis fin à notre relation. J’étais certaine que ce n’était pas réciproque et il me restait un peu d’égo. J’aurais peut-être dû lui avouer que j’en étais venu à ressentir quelque chose pour lui, car, après tout, je n’avais rien à perdre. Mais bon, l’un dans l’autre, je ne m’en suis pas trop mal sortie. »

« Nous apprécions la compagnie de l’autre, mais il n’est pas question d’amour : si nous ne nous voyons ou ne nous entendons pas pendant un mois, c’est bien aussi. »

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Rika Ponnet voit dans son cabinet que tout le monde ne réagit pas aussi laconiquement lorsque finit ce type de relation. Parfois, les gens ne l’apprécient à sa juste valeur qu’une fois que celle-ci est terminée. « Comment ai-je pu être aussi stupide et ne pas voir ce qu’elle représentait pour moi ? » entend-on parfois. Il arrive aussi que la relation soit idéalisée : « J’ai laissé filer l’amour de ma vie, plus jamais je n’aurai une telle occasion. » Autant de choses qui hypothèquent les relations futures.

Ce genre d’amitiés a peut-être toujours existé, mais la grande différence, c’est qu’on en discute beaucoup plus ouvertement aujourd’hui. Et l’époque où le sexe n’était lié qu’à une relation stable, de préférence dans un mariage, est maintenant loin derrière nous. Les relations prennent aussi bien d’autres formes que dans le passé.  » Ce concept de FWB s’inscrit dans un individualisme dominant : chacun fait ses propres choix, y compris en matière de relations. Vous ne recherchez pas une relation stable. Vous ne souhaitez ni y investir du temps ni lui laisser de la place? Alors une relation sexuelle occasionnelle peut être une aubaine. Nous préférons modeler notre propre vie à nos envies. Aujourd’hui, lorsqu’on souhaite quelque chose, on s’attend de plus en plus à l’obtenir. C’est un phénomène que je vois surtout chez les jeunes et que j’appelle la culture amazon.com : chaque besoin, ou souhait est rapidement comblé. Le livre que je commande aujourd’hui sera chez moi demain. Ou peut-être même aujourd’hui, si je suis prêt à payer un peu plus pour ça », nous dit encore Chloé De Bie.

Rika Ponnet voit aussi dans les relations FWB une autre caractéristique de l’air du temps : « les attentes sont tempérées, par autoprotection, ou par peur : ce genre de relation est l’archétype de relation basé sur la peur de s’engager. »

Anouk admet que c’est son cas: « Il faudra un certain temps avant que je puisse à nouveau faire confiance à un homme. En plus, je me débrouille bien toute seule, j’aime vivre sans personne et sans à avoir à rendre des comptes à qui que ce soit. Je n’ai pas de conversations profondes avec Steve : je l’ai laissé entrer dans mon lit, mais pas dans mon coeur. Comment je vois l’avenir ? J’espère, qu’un jour, je rencontrerai quelqu’un avec qui je pourrais être libre d’être moi-même et avec qui j’aurais envie de faire l’amour parce que je l’aime et pas seulement parce que ma libido me joue des tours… ».

Sex friend versus âme soeur

Ces relations ont la réputation de mal finir, voire d’être vouées à l’échec. Chloé De Bie nuance « C’est vrai, dans le sens où c’est par définition une histoire qui est déjà finie. » Soit elle se transforme en une véritable relation, soit elle s’arrête, parce que l’un des deux est tombé amoureux de quelqu’un d’autre. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’elle prend fin que c’est un échec. La relation peut être riche en enseignements. Eh oui, vous risquez un chagrin d’amour, mais est-ce que ce n’est pas le cas pour toutes les relations ?

« Je n’ai certainement pas entamé cette relation à la légère » , dit Anouk. « Au contraire, j’ai beaucoup réfléchi avant de coucher avec Steve. Une chose est sûre : s’il avait été un bon ami, je n’aurais rien tenté. Après tout, on ne sait jamais comment cela va finir. Pour moi, Steve appartient plutôt à la catégorie des « connaissances ». C’est mon copain de sexe, pas mon âme soeur.

Lorsqu’il s’agit du besoin de sexe et d’intimité, Chloé De Bie aime faire une distinction entre les deux. « En tant que célibataire, vous n’avez peut-être pas tant besoin de sexe, mais bien d’intimité : une personne familière que vous pouvez prendre dans les bras et câliner de temps à autre. Appelons ça le besoin de toucher. Vous voyez de plus en plus d’amis qui se serrent dans les bras ou se câlinent, emmitouflés dans une couverture pour regarder un film. C’est aussi un « avantage », mais d’un ordre différent – et au moins aussi important.

Pas seulement les jeunes

Si le phénomène FWB est en hausse, c’est sans doute aussi dû à la révolution numérique. Avec les médias sociaux, les sites de rencontres et les applications, il y a aujourd’hui plus d’opportunités que jamais d’établir des contacts. En particulier chez les jeunes. Ainsi, selon une récente recherche doctorale à la KU Leuven par Elisabeth Timmermans, une personne sur deux dans la vingtaine a déjà eu une relation sexuelle occasionnelle. Mais pas seulement. On perçoit aussi ce phénomène chez une population plus âgée. Bien qu’ils ne le décrivent pas toujours en ces termes. « J’appelle Karel, mon amant secret, « un ami qui sait », rit Frie (61). « Sauf le mot « amant » me rappelle trop des aventures érotiques glauques dans des hôtels de passe. Pour Karel et moi, l’amitié passe avant tout. Nous avons fait connaissance dans un club de marche et allons régulièrement et rien qu’à deux, au théâtre, à un concert ou à une exposition. Eh oui, après, il arrive qu’on passe la nuit ensemble. Nous ne sommes pas un couple et nous n’avons pas l’intention de le devenir. Nous apprécions la compagnie de l’autre, mais il n’est pas question de tomber amoureux : si nous ne nous voyons ou ne nous entendons pas pendant un mois, c’est bien aussi. Mes enfants sourient parfois en voyant ce qui se passe entre Karel et moi, mais ça ne regarde personne. Pour moi, c’est clair : je ne cherche pas un nouveau partenaire. Mais un ami comme Karel, avec qui je partage non seulement certains centres d’intérêt, mais qui me fait aussi parfois me sentir femme, c’est un vrai plus dans ma vie.

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