Le mari de Louise est accro au sexe : « Pendant des semaines, j’ai vomi de dégoût »
Pendant dix ans, Louise a vu son mariage et sa propre santé sombrer dans le rouge à cause des addictions à l’alcool et au sexe de son mari. Si l’aide de professionnels l’a aidée à mieux comprendre comment fonctionnait le cerveau d’une personne qui souffre d’addictions, la souffrance n’en fut pas moins grande. «Il m’a fallu longtemps pour accepter que l’homme de mes rêves s’était transformé en l’homme de mes cauchemars».
« L’addiction trouve ses racines dans la tentative désespérée de résoudre un problème : le problème de la douleur émotionnelle, du stress écrasant, de la perte de connexion, de la perte de contrôle, d’un malaise profond avec soi-même. » C’est ce qu’on peut lire dans Hungry Ghosts (AnkhHermes Publishing Company, 2022, le dernier ouvrage de Gabor Maté, célèbre médecin canadien spécialisé dans les traumatismes et les dépendances et auteur à succès. La première question qu’il pose à ses patients n’est donc pas : pourquoi êtes-vous dépendant ? Mais : pourquoi avez-vous mal ? À l’aide d’histoires tirées de sa pratique, de ses propres schémas de dépendance et de la science, Maté part dans son livre à la recherche de la source de cette dépendance. Son message est le suivant : la dépendance, qu’il s’agisse de drogues ou d’Internet, est le résultat d’un traumatisme ou d’un vide psychologique et spirituel.
Oser l’accepter est le premier pas vers la guérison, mais y parvenir est difficile y compris pour la famille ou les proches. « Vivre avec une personne dépendante est frustrant, provoque une douleur émotionnelle et vous rend souvent fou », écrit Maté.
C’est également l’expérience de Louise (55 ans)*, qui a récemment divorcé de son mari Joseph. » À cause de ses addictions, il était devenu un homme très différent les dix dernières années de notre mariage « , explique-t-elle. « Parce que je me suis beaucoup trop accroché à l’image de l’homme charmant, sportif et social que j’avais connu, et que j’espérais retrouver, je suis resté bien trop longtemps dans mon rôle de sauveuse. J’espérais pouvoir l’aider. On se dit aussi qu’après avoir tant souffert cela finirait bien par s’arranger. Mais tout ce que j’ai obtenu c’est que ma propre santé s’est complètement effondrée à cause du stress chronique.
Pour de nombreux toxicomanes, il est plus facile de mentir que de dire la vérité. Ils créent une version de leur histoire pour justifier leur comportement et finissent par y croire eux-mêmes ».
Joseph, l’ex-mari de Louise, a une double addiction : à l’alcool et au sexe. Ce dernier point en particulier reste un grand tabou. « Une dépendance sexuelle va de pair avec beaucoup de honte et de solitude », dit Louise. « Avec le toxicomane lui-même, mais aussi avec son partenaire et ses enfants. Vous portez cette honte ensemble et vous avez l’impression d’être réduits au silence. Je n’ai osé en parler avec des amis que quand il n’a plus été possible de le cacher. Mais si je veux raconter mon histoire maintenant, c’est parce que je n’ai plus honte. C’est son problème. Et avec mon témoignage, je veux aussi aider les toxicomanes et les autres personnes qui souffrent, car lui et moi avons été incroyablement seuls, effrayés et impuissants. Même dans ma quête pour trouver une aide adéquate pour nous deux, j’ai trouvé peu de thérapeutes en Belgique qui ont de l’expérience avec les dépendances sexuelles. Cela nécessite une approche complètement différente de celle d’une dépendance à l’alcool ou aux drogues. Dans celle-ci, la substance addictive reste dans le corps et l’objectif est de devenir « clean ». En revanche, dans le cas d’une dépendance sexuelle, c’est le partenaire qui est utilisé comme drogue et l’objectif est que le dépendant développe à nouveau une relation saine avec le sexe. À Londres, j’ai trouvé l’expertise qu’il me fallait au Laurel Centre. Si j’avais su il y a des années quelles sont les techniques d’un addict sexuel et comment il vous manipule, cela m’aurait évité bien des malheurs. »
Gin tonic dès le matin
Louise va connaître plusieurs phases comme conjointe d’un homme drogué et cela va surtout aller de mal en pis. Louise les appelle les bombes de sa vie.
Des moments où sa vie telle qu’elle pensait la connaître a implosé et qui vont lui faire perdre tous repères. Il y en aura trois. La première explose il y a dix ans lorsqu’elle découvre que son mari est alcoolique. Joseph avait perdu son poste de manager, et restait à la maison depuis deux ans sans que personne n’en sache rien. Il ne cherchait pas un autre travail et j’ai commencé à remarquer chez lui un changement d’attitude. Il était devenu apathique, introverti et agressif. C’était comme si plus rien ne le touchait. On avait aussi ensemble une entreprise, mais même quand celle-ci a frôlé la faillite, il restait inerte dans le canapé. Plus tard j’ai trouvé des bouteilles de vin vides dans le garage. Et il a commencé à boire des Gins tonic dès 11heures du matin. Rapidement il va en boire bien dix par jour. Et moi, dans le même temps, je travaillais comme une dingue. Je me levais à 5h30 du matin pour me rendre à Londres et pour ne rentrer qu’à 23 heures. Tout ça pour continuer à pouvoir payer notre belle maison dans un cadre verdoyant, les voitures et les études des enfants.
Lorsque je lui ai trouvé un travail, dans l’espoir que cela apporte un peu de structure à sa vie, il est devenu tellement étrange que j’ai vite compris que quelque chose n’allait pas. Mais à chaque tentative pour comprendre, ou pour demander s’il avait quelqu’un d’autre, il me riait au nez. La vérité c’est qu’il consacrait toute son énergie à cacher une double addiction et qu’il avait sombré. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Pour le monde extérieur, il restait l’homme qui avait réussi, mais en privé il s’était complètement isolé et s’était éloigné de la personne qu’il était.
La deuxième bombe va exploser lorsque Louise découvre une facture de téléphone et d’internet qui révèle une dépendance obsessionnelle au porno et des contacts hebdomadaires avec des travailleuses du sexe. J’ai eu l’impression qu’une explosion avait créé un cratère géant dans mon corps. La douleur fut si grande qu’aujourd’hui, cinq ans plus tard, j’en porte encore les stigmates physiques et mentaux. Pendant des semaines, j’en ai vomi de dégout.
L’idée que mon mari, pendant des années, venait me rejoindre dans le lit en me susurrant qu’il m’aimait après avoir été voir une prostituée avenue Louise et sans s’être lavé entre les deux me rend encore aujourd’hui malade. Par d’autres personnes qui ont vécu la même chose, je sais aujourd’hui que c’est une réaction typique. On veut se débarrasser de toutes cette saleté. J’ai perdu 10 kilos en quatre semaines. J’ai récuré ma zone intime à coup de Dettol, car je voulais tout désinfecter. Mais bien sûr ça n’a fait que provoquer des irritations.
Dans le centre Laurel à Londres, les experts m’ont dit que beaucoup de conjoints de personne droguée au sexe s’automutilaient, avaient des envies suicidaires ou devaient être momentanément internés tant leur corps était en état de choc suite à la découverte de cette addiction.
Le mensonge et la manipulation émotionnelle, également appelés « gaslighting », sont des techniques courantes utilisées par les toxicomanes pour tenter de dissimuler leur comportement. Liz a également vu son mari nier catégoriquement certains événements et déformer des conversations, ce qui a fini par la faire douter de sa santé mentale. « Pour les toxicomanes, mentir est plus facile que de dire la vérité. Ils créent une version de leur histoire pour justifier leur comportement et commencent à y croire. C’est ce qu’on appelle la dissonance cognitive », dit-elle. « Parce que je savais que Joseph déformerait tout si je lui posais des questions sur ces travailleuses du sexe, comme il l’a fait avec sa dépendance à l’alcool, sous le choc, j’ai rassemblé les preuves dans un dossier et sur une clé USB. J’ai découvert qui avait rendu visite depuis plus de huit ans à des escortes girls et à des prostituées qui tapinait en rue à Louvain, Anvers et Bruxelles. Il a même volé de l’argent à notre entreprise pour payer tout ça, soit de l’argent que j’avais gagné. Ce qui montre aussi une perte totale de normalité dans son esprit. Il est aussi important de distinguer le fait d’être accro au sexe et une libido élevée. Pour le premier il s’agit d’un besoin obsessionnel et compulsif de sexe pour engourdir d’autres émotions. La dépendance de Joseph s’est empirée peu à peu. À cause d’une certaine accoutumance, son cerveau demandait du sexe de plus en plus extrême. J’ai découvert des photos d’étudiantes, mais aussi de shemales, de ces femmes trans divinement belles – souvent des Latinas – dotées de pénis de 30 centimètres. J’avais besoin de voir ces images extrêmes pour croire que tout cela était vrai. Mais aujourd’hui il y a des images que je ne parviens pas à oublier comme celles de mon mari en action avec une de ces shemale. Et le pire de tout est encore que l’une d’elles s’appelle Louise. Chaque fois que je vois mon nom sur une facture ou sur ma carte bancaire, cela réveille mon traumatisme et je vois cette latina avec un pénis gigantesque devant moi. C’est une image avec laquelle je devrai vivre, disent les experts. J’ai déjà suivi un cours d’EMDR, une technique destinée aux personnes qui continuent à subir les conséquences d’un traumatisme, mais je ne pourrai jamais effacer mon propre nom de ma mémoire.
Quand Louise lui montre les preuves qu’elle a accumulées, son mari admet qu’il est fortement dépendant. Joseph demande de l’aide, mais Liz appelle ça une thérapie par le vernis à ongles. « Il a refusé, au début en tout cas, d’aller en profondeur et d’analyser le problème sous-jacent. Il a tout minimisé et, en même temps, a juré sur sa mère décédée, ses enfants et son petit-fils qu’il ne mentirait jamais et ne rechuterait plus.
Si la dépendance est une maladie, la personne dépendante reste néanmoins responsable de ses choix et de son comportement. Notre thérapeute relationnel nous a donc recommandé d’être complètement honnêtes l’un envers l’autre au sujet du mal provoqué par sa dépendance, ou si l’un de nous avait des difficultés. Sauf que j’ai rapidement remarqué que Joseph se mettait en colère et était frustré si je lui disais que j’étais inquiète ou que je souffrais de flashbacks. Ce n’est que lorsque je me comportais comme si tout était oublié et pardonné, comme une femme forte et optimiste, que nous pouvions nous entendre normalement. Mais à force de tout garder pour moi, j’ai commencé à faire des cauchemars intenses sur mon homonyme et à donner inconsciemment des coups de pied à Joseph dans mon sommeil. »
Au Laurel Centre de Londres, Liz va participer à une semaine de thérapie de groupe intensive pour les partenaires de toxicomanes sexuels. Avec huit autres personnes, elle va découvrir comment fonctionne l’esprit de dépendance de son mari et comment y faire face. « On m’a dit des choses que je ne voulais pas savoir, mais qui vous aident à reprendre votre vie en main. Par exemple : vous ne pourrez plus jamais faire confiance à votre partenaire à cent pour cent et le risque de rechute est permanent. Mais j’ai aussi appris que ce n’était pas ma faute. Si votre mari a une dépendance sexuelle, en tant que femme, vous êtes affectée dans votre propre sexualité et votre intimité. Peut-être que je n’étais pas assez bonne au lit ? Mais à Londres, j’ai appris les trois C : you didn’t cause it, can’t control it and can’t cure it (vous ne l’avez pas causé, vous ne pouvez pas le contrôler et vous ne pouvez pas le guérir). Une troisième leçon importante a été de comprendre la technique que de nombreux toxicomanes utilisent lorsqu’ils sont confrontés à des preuves tangibles. Les experts appellent cela la technique DARVO, où « d » signifie déni, « a » signifie attaque et « rvo » signifie reverse victim offender. En fait, l’agresseur nie tout et, dans sa contre-attaque, retourne la situation et se présente comme la victime, ce qui vous amène à douter complètement de vous-même. Et c’est exactement leur intention. »
Système immunitaire détruit
La thérapie à Londres était épuisante, coûteuse et révélatrice de certaines choses qu’elle aurait préféré ne pas voir, mais elle a donné à Louise les outils nécessaires pour prendre le contrôle de sa vie. « Je me suis rendu compte que Joseph et moi avions abouti à un gouffre sans fond et que j’avais essayé de colmater et de camoufler ses problèmes pendant des années. Le sentiment d’insécurité était devenu ma nouvelle normalité. Peu importe à quel point ses addictions me mettaient mal à l’aise, je continuais à croire en l’ancien Joseph que j’avais connu. J’étais tellement attachée à ce couple fort et amoureux que nous formions à nos débuts que je ne pouvais pas croire que l’homme de mes rêves était devenu l’homme de mes cauchemars. Joseph m’avait toujours porté à bout de bras et nous partagions les mêmes ambitions. C’est un de ces hommes qui m’a joué une sérénade d’amour sur sa guitare lors d’une fête de famille. « Il t’aime tellement », disaient nos amis et nous rêvions de vieillir ensemble à l’étranger. Dans ma croyance naïve en l’amour, je suis restée avec lui jusqu’à ce que ma santé me lâche complètement. Vivant dans la peur dans un état d’hyper alerte pendant des années, il s’est avéré que je souffrais d’un syndrome de stress post-traumatique. Les médecins ont comparé ma situation physique à celle d’une personne ayant vécu les attaques terroristes de Bruxelles. Ces personnes souffrent également de stress post-traumatique, mais en restant à l’écart des aéroports temporairement, ou pour toujours, elles peuvent surmonter ce traumatisme. Mais parce que je suis restée si longtemps avec Joseph, que les experts appellent ma bombe à moi, mon corps n’a pas pu se distancier du traumatisme qu’il avait subi. »
Au début de l’année 2021, Louise a vu réapparaître l’ancien comportement de Joseph : il réagissait de manière brutale, s’isolait, était agressif et mentait. Lorsque les médecins ont découvert une tumeur cérébrale chez Louise en mai de la même année – des examens complémentaires étaient nécessaires pour savoir si elle était bénigne ou non – Joseph promet de lui donner tout l’amour et le soutien dont elle l’avait entouré pendant des années. » Ce comportement est qualifié de bombardement d’amour par les experts « , dit Louise. « Un ami, détective à Bruxelles, qui n’avait pas confiance dans la situation gardait un œil sur lui pour moi. Il m’a donné une nouvelle clé USB avec deux films prouvant que Joseph avait rechuté. Une dans laquelle il rend visite à une prostituée le lundi matin avant le travail, et une dans laquelle il a des rapports sexuels non protégés dans notre propre lit à la maison.
Cette troisième déflagration m’a complètement détruit. C’était pourtant un copier-coller d’il y a cinq ans et, une fois de plus, j’ai eu besoin de preuves tangibles pour le croire. J’étais à nouveau en état de choc, j’ai encore vomi, mais cette fois-ci j’ai décidé de me sauver. A la fin du mois de juin, j’ai dit à Joseph que je voulais divorcer. Il s’est mis en colère et a tout nier tout en bloc. Je me suis enfuie de chez moi, effrayée par son agressivité et son double visage. J’ai vécu dans ma voiture pendant trois mois, passant d’une amie à l’autre qui me proposait un endroit pour dormir. »
Dans Hungry Minds, le médecin canadien Gabor Maté écrit que quitter ou rester avec un partenaire dépendant est un choix que vous ne pouvez faire que pour vous-même.
Mais le pire choix que vous puissiez faire est de rester si vous lui en voulez (car vous le rejetez mentalement et le punissez émotionnellement), ou si vous essayez subtilement de le manipuler pour qu’il change. L’idée que quelqu’un devrait être autre que ce qu’il est est toxique pour vous-même, pour l’autre personne et pour la relation.
Louise reconnaît combien il est difficile pour le partenaire d’un toxicomane d’abandonner l’espoir que l’autre personne va changer. « Je voulais juste retrouver l’ancien, le vrai Joseph. Mais c’était une erreur. Il y avait devant moi le nouveau, le vrai Joseph. Au centre Laurel de Londres, on m’a dit qu’il y avait une augmentation des dépendances depuis Corona. Pourtant, je continue d’espérer que Joseph réalisera ce qu’il s’est fait à lui-même, et à moi. Les experts affirment que cela n’arrivera pas, car il est terrifié et se fait passer pour une victime à nouveau. Ils m’ont aussi dit que j’étais trop optimiste et donc pas toujours assez réaliste. Mais je suis comme ça. Je suis pleine de vie, positive et je refuse de devenir amère, même si j’ai vécu l’enfer. J’ai recommencé ma vie et je me suis entourée de beauté, de nature, de musique et de mes musées préférés. Je vis maintenant avec trois meilleurs C : choix, changements, chances. Je continue aussi à croire en l’amour, cette montagne était juste trop haute pour moi. »
*Louise est un nom d’emprunt
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