Le Noël qui a tout changé: “J’ai décidé de me libérer du tabou et de dénoncer mon violeur”

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Synonyme de cadeaux, dinde rôtie ou encore de rassemblements en famille, la Noël a une image plutôt joyeuse dans l’imaginaire collectif. Mais elle peut aussi être le cadre de bouleversements, ainsi qu’en témoignent ces récits de fêtes résolument pas comme les autres. À l’image du témoignage de François, 29 ans, qui a choisi cette période pour s’exprimer à visage découvert sur les abus dont il a été victime.

« Quand j’avais 17 ans, j’ai commencé à parler sur MSN avec un homme qui me disait avoir la trentaine. En quelques semaines de discussion seulement, j’ai commencé à m’accrocher à lui, voire carrément ressentir une forme de dépendance, et on a décidé de se voir. Il rentrait de Paris, d’où il m’avait ramené un t-shirt que j’avais trop envie d’avoir mais que ma maman ne voulait pas m’acheter. Le jour de notre rencontre, il est venu me chercher en voiture et j’ai immédiatement réalisé qu’il n’avait pas 30 ans mais bien plutôt la cinquantaine bien tassée. Malgré son mensonge, il m’avait l’air bienveillant et il était gentil avec moi donc je n’ai rien dit et je l’ai suivi.

Quand on est arrivés chez lui, il m’a fait visiter sa maison en terminant par sa chambre, où il avait posé le fameux t-shirt sur le lit. Il m’a dit de l’essayer, ce que j’ai fait, puis il m’a conseillé de l’enlever pour qu’il puisse le remballer, et c’est là qu’il s’est jeté sur moi et m’a violé. Cela a beau s’être produit il y a des années, il m’est toujours trop difficile d’entrer dans les détails, mais je n’ai rien pu dire, je n’ai pas su le repousser, c’est comme si mon corps et mon esprit ne répondaient plus à rien.

Après son agression, il m’a dit de prendre une douche avant de me reconduire chez moi, et je n’ai plus eu de ses nouvelles ni entendu parler de lui jusqu’en 2019. Entretemps, suite au visionnage d’un documentaire sur le viol, j’ai compris ce qui m’était arrivé et ça a réveillé quelque chose en moi. J’ai sombré dans les troubles alimentaires, et j’ai dû arrêter de travailler car je n’avais plus assez de force: déjà mince à la base, j’ai perdu plus de 30 kilos en trois mois. Cela a marqué le début d’une série d’aller-retours en hôpitaux psychiatriques et en centres spécialisés dans les troubles du comportement alimentaire (TCA) qui ont marqué ma vie pendant deux ans. Ce n’est qu’en 2023, en rencontrant celui qui est aujourd’hui mon mari, que j’ai réussi à commencer à sortir de ma dépression, manger à nouveau un peu et trouver un job ».

Lire aussi: Le Noël qui a tout changé: « Mon mari a demandé le divorce la veille du réveillon »

Parler pour aider les autres à le faire

« Des années après les faits, j’ai décidé de porter plainte contre mon agresseur. Je sentais au fond de moi que je n’arrivais pas à m’en sortir, que je devais punir cette injustice à tout prix, et puis je culpabilisais aussi à l’idée qu’il puisse y avoir d’autres victimes alors que je restais là à ne rien faire. Lorsque j’ai su que je n’étais pas le seul, et que pourtant, aucune enquête n’avait été ouverte, j’ai décidé d’agir, pour nous tous: j’ai contacté un bon avocat et j’ai traîné ce monstre en justice… Sauf que le Covid en a décidé autrement: emporté par la maladie, il est décédé avant d’avoir pu être jugé. Cela a été terrible pour moi, et j’ai sombré encore plus profondément dans la dépression et les TCA, parce que je me détestais de ne pas avoir pu offrir cette réparation à toutes ses victimes. Je voulais qu’il paie, pour montrer aux autres que les agresseurs ne sont pas au-dessus des lois, mais la vie en a décidé autrement. L’idée que d’autres victimes n’aient jamais osé se manifester et soient encore en souffrance à cause de lui me ronge.

C’est pour ça qu’à l’approche de la Noël, j’ai décidé de raconter mon histoire dans une vidéo face caméra. J’ai réalisé que souvent, les gens prennent plus facilement la parole s’il ne sont pas les premiers à devoir le faire, et je me suis dit que si j’exposais mon histoire, d’autres allaient peut-être pouvoir trouver la force de s’exprimer ».

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

“Le cadeau d’arriver à vivre avec son passé”

« J’étais sûr de moi lorsque j’ai partagé la vidéo, je sentais que c’était comme un devoir, que je devais ça aux autres victimes, celles qui souvent n’osent pas parler. Et par après, je me suis senti soulagé de voir les retours si positifs que j’ai pu obtenir. Chaque mois de décembre depuis 4 ans est pour moi une piqûre de rappel du combat que j’ai décidé de mener quand j’ai porté plainte contre mon agresseur. Et cette année plus que les autres, je sentais en moi assez de force pour en parler, et ce faisant, pouvoir peut-être aider d’autres victimes. J’espère que grâce à ma vidéo, elles se sentiront moins seules, que ceux qui n’osent pas en parler le feront et que je contribuerai peut-être à leur faire comprendre qu’il n’est jamais trop tard pour se battre contre ses vieux démons.

Quand je vois comme la parole est libératrice, je culpabilise chaque jour de ne pas avoir pu en parler avant, parce que je me dis que ça aurait pu m’épargner bien des souffrances. Maintenant que mon histoire n’est plus un secret, je ressens un énorme soulagement, comme si j’avais pu me débarrasser d’un fardeau incroyablement dur à porter. J’aimerais que toutes les personnes qui ont subi des abus sachent qu’il n’est jamais trop tard pour en parler. Qu’il n’est jamais trop tard non plus pour porter plainte, et que souvent, faire cette démarche peut aider à aller mieux. Et je souhaite pour cette Noël que toutes ces victimes puissent avoir assez de force pour vivre en paix avec leur passé ».

Si vous ou une personne qui vous est proche a été victime d’abus sexuel, sachez qu’une série de services d’aide aux victimes sont mis en place en Belgique francophone, et que l’ASBL Brise le Silence offre un espace pour libérer la parole de victimes de violences sexuelles.

Lire aussi: Brise le silence, l’association qui rend la parole aux victimes de violences sexuelles

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content