Redactie Knack Weekend

« Le monde a besoin de plus de marchés aux puces, pas pour les trouvailles mais pour le lien social »

Courus par les amateurs de bonnes affaires en tout genre, qui s’y pressent pour traquer les trésors à bas prix, les marchés aux puces pourraient également être l’antidote idéal à la solitude galopante dans notre monde toujours plus clivé. Du moins, notre chroniqueur Jean-Paul Mulders en est convaincu.

Devant moi, il y a des crayons de menuisier, des moules à baguettes et des rouleaux de pellicule dont la date de péremption est le 1/8/1997. Je résiste à l’attrait du Manuel pratique des oiseaux de cage et de volière ainsi que d’un carreau mural sur lequel est écrit en bleu de Delft « Cueille chaque jour avant de finir dans un vase ».

J’achète les Neuf boules de poivre, une bande dessinée qui sent le papier jauni et les émois de ma jeunesse. Sur la couverture, Néron soulève d’un bras un tramway jaune vif au-dessus de sa tête, sous le regard perplexe d’une foule de gens et d’un petit éléphant. La vendeuse est une dame âgée. « Je les ai reçus de ma mère quand j’étais petite fille », confie-t-elle en presque en s’excusant.

« Toute ma vie, je n’ai pas pu m’en séparer, mais aujourd’hui, je pense qu’il est temps ».

Plus loin, sous les platanes, un couple vend de vieilles cartes routières Michelin. La France en soixante-dix volumes, à l’échelle 1:200 000. Les cartes se défont presque quand on les déplie. « Je les ai héritées de mon grand-père », me raconte le vendeur. « Peu après la guerre, il avait une agence de voyage ».

On trouve (vraiment) de tout sur les marchés aux puces

Je caresse les cartes en m’émerveillant de ces choses qui nous viennent du fond des âges. Je rêve de limaces de vignes et de promenades oubliées sur des routes ensoleillées, à une époque où le monde n’était pas si rempli. Ce n’est qu’à ce moment-là que je remarque que de grandes parties du littoral sont ombrées en rouge. Zone minée, déminage en cours, lis-je dans la légende. Et aussi: endroits ou parties d’endroits gravement endommagés.

C’est vrai que ce n’était pas un paradis, là, en 1946.

Le soleil cogne sur les cornets de glace, les enfants qui jouent et une foule qui semble soudain redevenue bon enfant. Le monde a besoin de plus de marchés aux puces.

Pas pour la marchandise, mais pour quelque chose qui est devenu encore plus rare: la lenteur, la tangibilité et l’envie de bavarder.

Des gens de toutes sortes déambulent devant les étals, et personne n’a d’écouteurs. Tous les 20 mètres, on parle d’un autre sujet. La reliure. Les puits d’eau. Le destin tragique de certains chanteurs de jazz.

Une femme aux cheveux blonds s’adresse soudain à moi. Elle me dit qu’elle aime bien lire ce que j’écris sur mes filles, mais qu’elle ne suit plus le reste du journalisme depuis longtemps. Son père était expert en béton. Elle se souvient que le 11 septembre, ils ont regardé l’effondrement des tours jumelles à la télévision. « Mon père m’a dit : « C’est impossible». Ce jour-là, j’ai abandonné mes études ».

La conversation a commencé par des banalités, mais elle glisse rapidement vers de sombres soupçons: Christine Lagarde, l’euro numérique, Klaus Schwab, le nouvel ordre mondial. La femme parle de 30 prédictions qui se réalisent une à une. Elle me touche le bras et me dit : « Ils veulent que nous mangions moins de viande. Leur objectif ultime est qu’il ne reste plus que cinq cents millions de personnes dans le monde ».

J’acquiesce poliment, mais le malaise monte en moi. Non pas à cause de ce qu’elle dit, mais de l’évidence avec laquelle elle l’affirme. La femme remarque mon hésitation. Elle me regarde avec compassion, tente de m’aiguiller, en mode « vous devriez écouter de bons podcasts ». Je la remercie pour le conseil et continue à marcher, fasciné par une théière vert menthe et des marionnettes ventriloques qui attendent leur tour pour parler.

Texte: Jean-Paul Mulders

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