Positivité toxique: faire comme si tout allait toujours bien n’est pas sans danger
A l’heure du positif à tout prix, certains internautes s’insurgent contre cette obligation tacite de voir tout en rose. Il est en effet aujourd’hui difficile d’exprimer son mal-être, alors même qu’au vu de la situation délicate que nous traversons, nous en avons vraiment besoin.
« Quand on veut, on peut », « Aide-toi et le ciel t’aidera », « Un de perdu, dix de retrouvés », combien de ces citations clichés qui se veulent de prime abord motivantes s’avèrent régulièrement culpabilisantes? Dans un autre registre, l’automatisme du poli « Salut, ça va? » l’a progressivement transformé en un signe de courtoisie totalement dépourvu de sens – vous attendez-vous à une réponse différente de l’ordinaire « ça va et toi? »? Peut-être évitez-vous même de l’adresser à ce collègue qui va sans aucun doute se ruer sur l’occasion pour raconter ses malheurs.
C’est un fait: se plaindre en public reste très tabou et ceux qui transgressent la règle ne jouissent habituellement pas d’une excellente réputation… « Les personnes qui osent dire qu’elles ne vont pas bien passent pour les casse-pieds de service, alors qu’elles ne font que répondre honnêtement à la question posée, explique Sally Das, psychologue clinicienne. Pourtant, cette autre personne qui fait semblant que tout va bien mais qui est désagréable avec tout le monde, car elle rencontre des problèmes, sera finalement elle aussi mal perçue. » Mais personne ne le fera remarquer… et c’est bien là la différence.
‘Être continuellement positif nous empêche d’identifier les risques, c’est justement ce qui est dangereux.’
Si la pandémie s’est avérée particulièrement anxiogène, le confinement a aussi été l’occasion pour beaucoup d’entre nous de trouver un sens à la situation, accélérant encore davantage ce « positif à tout prix ». Entre les stories de ceux qui se tuaient au travail, rénovaient leur maison ou se remettaient en forme, avez-vous aperçu une seule personne se vanter de passer toute la journée sur son canapé? Comme si nous devions tous retirer du positif de la crise sanitaire.
Pourtant, il semblerait que cette tendance ait provoqué l’effet opposé auprès de nombreux internautes qui dénoncent aujourd’hui ce qu’on appelle « la positivité toxique ». Mais de quoi s’agit-il exactement? « C’est un excès de positivité, dans le sens où l’on se sent obligé d’être positif, peu importe l’environnement ou la situation dans lesquels on se trouve, explique l’experte. Malheureusement, aller mal continue à être mal vu. Nous sommes conditionnés à ne pas montrer nos émotions, un peu comme si nous portions un masque psychologique au quotidien. A titre d’exemple, certains patients m’avouent ne pas se confier à leur partenaire car, selon eux, cela reviendrait à un aveu de faiblesse dans le sens où ils n’ont pas pu gérer leurs émotions et leurs problèmes seuls », explique-t-elle.
Etre continuellement positif nous empêche d’identifier les risques éventuels, c’est justement ce qui est dangereux
Une négativité humaine
Une idée reçue pourtant totalement fausse. Ainsi, quand une personne parle de ce qu’elle ressent, le plus souvent, c’est pour valider ses émotions, c’est-à-dire comprendre et accepter l’expérience émotionnelle. A l’inverse, l’invalidation émotionnelle consiste à dissimuler ou à ignorer ses sentiments ; un mécanisme extrêmement nocif pour notre santé mentale. Car être constamment positif n’est tout simplement pas humain! « Ce n’est ni plus ni moins que du déni, indique l’experte. Parce qu’on pense que tout va bien se passer, on se convainc que tout va certainement se dérouler comme on l’espère. Le problème, c’est que nous ne sommes plus dans la réalité… Etre continuellement positif nous empêche d’identifier les risques éventuels, c’est justement ce qui est dangereux. Car le retour à la réalité sera alors beaucoup plus violent, avec des répercussions potentiellement dramatiques. »
D’autant plus que l’être humain n’est pas du tout fait pour constamment voir la vie en rose. « Au contraire, il a même plutôt tendance à garder en mémoire ses mauvaises expériences, s’exclame la psychologue. Et pour une raison tout à fait logique, afin d’être en mesure de prévenir les dangers et ainsi assurer sa survie. » Vous souvenez-vous quand, enfant, vous vous êtes malencontreusement brûlé sur la plaque de la cuisinière encore chaude? Nul doute que vous ne vous êtes plus jamais risqué à l’approcher sans vous assurer qu’elle était bien éteinte depuis un moment. De la même manière, une jeune femme trompée lors de ses dernières relations aura beaucoup de mal à faire confiance à son nouveau compagnon. Elle aura alors tendance à se dire « j’espère qu’il n’est pas comme les autres » plutôt que « je crois que ça se passera mieux avec lui ». Alors qu’il n’y a, a priori, aucune raison que son partenaire actuel reproduise les mêmes erreurs que ses précédents amoureux.
A noter toutefois que se montrer positif ou bienveillant n’est évidemment pas toujours synonyme de positivité toxique. Par exemple, si, après une rupture avec votre compagne, votre meilleur ami tente de vous consoler avec les paroles suivantes, il est très probable que votre échange vous permettra de surmonter cette terrible épreuve plus rapidement – « C’est normal que tu te sentes triste, on va discuter ensemble pour comprendre ce qui vous a menés à cette décision. »
Par contre, si celui-ci vous tient un tout autre type de discours, pas certain qu’il vous soit d’une grande aide: « Arrête, c’est une bonne chose, vous vous disputiez tout le temps! Tu verras, t’en retrouveras une autre très rapidement! » En plus de minimiser votre mal-être, vous aurez vite fait de culpabiliser d’éprouver autant de chagrin pour une personne qui, d’après votre confident, n’est pas faite pour vous… Nous sommes donc pile dans la positivité toxique.
C’est pourquoi il est primordial d’accepter les émotions que l’on ressent, car elles sont toutes essentielles à notre équilibre.
Le dialogue occupe d’ailleurs une place très importante dans ce processus. C’est en tout cas ce qu’explique la psychologue Sally Das. « Il faut pouvoir identifier et nommer nos émotions car cela nous permet déjà de passer progressivement à autre chose. J’encourage vraiment à parler, encore plus dans la sphère privée. Si une personne ne verbalise pas, cela se traduit dans son comportement. Elle est alors plus frustrée, plus agressive et son mal-être se manifeste d’une façon que le partenaire ne va pas pouvoir comprendre. Ce qui, dans la majorité des cas, débouche très rapidement sur un conflit… Alors qu’il suffirait de dire « Aujourd’hui je ne suis pas bien pour telle raison » », achève-t-elle. En suivant ce principe, combien de disputes de couple inutiles auraient pu être évitées?
‘Les personnes qui osent dire qu’elles ne vont pas bien passent pour les casse-pieds de service, alors qu’elles ne font que répondre honnêtement à la question qu’on leur a posée.’
Les ados se rebellent
Sur les réseaux sociaux aussi, la positive attitude commence à irriter… Léna Situations, influenceuse lifestyle suivie par plus de trois millions d’internautes sur son compte Instagram, est depuis peu très critiquée pour son mantra « +=+ » qu’elle tourne à toutes les sauces. Son objectif? Motiver ses followers en affirmant haut et fort que le positif attire le positif. Sa devise figure d’ailleurs dans le titre de son livre de développement personnel paru en 2020, Toujours plus, + = +. Pourtant, les astuces qu’elle y prodigue n’ont pas toutes été bien reçues et ce, au sein même de sa propre communauté. « J’ai 15 ans, j’ai lu son livre et quand je l’ai acheté, je n’allais vraiment pas bien. J’ai l’impression que le livre m’a juste enfoncée plus qu’autre chose avec ces conseils bidons », écrit une ancienne abonnée. Plus loin, un autre compte complète: « J’ai surtout relevé le « Il n’y a pas qu’à toi que ça arrive… » Je le prends comme le fameux « Il y a pire que toi! » Certains ont de vrais problèmes, notamment les dépressifs qui subissent ces idées reçues au quotidien. Elle minimise leur mal-être. »
D’après Sally Das, il n’est pas étonnant que certains jeunes se soient sentis heurtés par de tels propos. Et pour cause, « les adolescents constituent un public plus fragile car ils sont déjà de nature plus négative, précise notre experte. Les réseaux sociaux et les influenceurs qui affichent une vie parfaite leur mettent la pression. Alors qu’ils ressentent déjà une pression importante à la maison et à l’école. Ils n’ont pas toujours envie d’entendre tout ce positif car ils n’ont pas nécessairement le même regard que nous, c’est une période de la vie qui est déjà assez compliquée pour eux », indique-t-elle.
En conclusion, mieux vaut-il voir le verre à moitié vide ou à moitié plein? « Le positif n’attire pas le positif, conclut la psychologue. Cela amène davantage un état d’esprit qui va nous permettre d’aborder une situation plus sereinement, ainsi que de relativiser les choses et de les accepter plus facilement si elles sont négatives. »
Ainsi, les personnes de nature pessimiste peuvent apprendre à se montrer plus optimistes et, à l’inverse, celles qui enfouissent leurs émotions négatives doivent apprendre à davantage les écouter. Alors, la prochaine fois que vous rentrez d’une pénible journée de travail, ne cherchez plus à vous débarrasser de votre mauvaise humeur en vous en prenant à votre pauvre moitié. Dites-lui plutôt « Chéri(e), quelle journée de m**** j’ai passée! »
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