Psychologie de la mode: comment mettre votre tenue au service de votre mental
La mode investit le champ de la psychologie et aide ceux qui le désirent à se sentir mieux dans leur tête. Il existe même désormais des cours en la matière. Précurseur de cette nouvelle discipline, Dawnn Karen nous en révèle les bases.
Envie de doper vos résultats à un test cognitif? Enfilez un costume ou un tailleur plutôt qu’un jogging! Ce n’est absolument pas une boutade, mais la conclusion tout à fait scientifique de spécialistes en psychologie de la mode – un champ académique encore relativement nouveau qui s’intéresse à la relation entre nos vêtements, nos comportements et nos émotions. Un autre exemple? Des chercheurs ont demandé à un groupe de personnes de mettre une blouse blanche en affirmant à la moitié qu’il s’agissait d’un tablier médical et à l’autre, d’un tablier d’artiste. Soumis à une série de tests d’attention, les premiers ont obtenu des résultats sensiblement meilleurs que les seconds. Nos vêtements ne servent donc clairement pas qu’à nous couvrir! Ils pourraient nous garantir une aura d’intelligence, de meilleures facultés d’observation ou une capacité à réagir du tac au tac… Mais encore faut-il savoir comment transposer les conclusions des scientifiques à notre garde-robe.
C’est la psychologue américaine Dawnn Karen, 33 ans, qui a révélé cette nouvelle spécialité. Depuis qu’elle a décroché son diplôme en 2012 à l’université de Columbia, elle multiplie les TED Talks et est aujourd’hui la plus jeune professeure de l’histoire du Fashion Institute of Technology. Son livre Dress Your Best Life a été traduit dans quatre langues. «
Une approche axée sur la morphologie est stigmatisante, psychologiquement dommageable et trop peu inclusive
Dawnn Karen
La base est scientifique, mais tout le monde peut l’appliquer au quotidien, nous confie-t-elle depuis son bureau new-yorkais. Un premier point très important est de ne pas immédiatement ouvrir vos armoires, mais de prendre le temps de vous demander comment vous vous sentez. C’est cette réflexion qui sera le point de départ de votre tenue du jour. »
A partir de là, trois possibilités s’offrent à nous, poursuit l’experte.
- La première, le « mood enhancement dressing ou dopamine dressing » (en référence à l’hormone du bonheur), améliorera l’humeur et donc la confiance en soi.
- La seconde, le « mood illustration dressing ou serotonin dressing », a pour but de refléter notre humeur du moment dans notre look pour favoriser le calme, l’équilibre et la concentration.
- La troisième, baptisée « repetitious wardrobe complex », consiste à porter toujours plus ou moins la même chose, comme le faisait feu Steve Jobs avec son éternel col roulé noir. « Mal vue dans le milieu de la mode, cette répétitivité présente pourtant de réels avantages. Limiter les choix à faire au strict minimum permet de se focaliser sur ce qui compte vraiment: le travail. »
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Tenue de déprime
L’approche de Dawnn Karen est toutefois bien plus qu’un service de stylisme personnalisé, agrémenté d’un brin de psychologie. Son objectif n’est aucunement de donner des conseils pour coller à une morphologie ou une couleur de cheveux ou de peau. Ici, tout part du mental: plutôt que de se focaliser sur l’apparence de la personne dans une tenue donnée, elle s’interroge sur son ressenti. « Pour moi, une approche axée sur la morphologie est stigmatisante, psychologiquement dommageable et trop peu inclusive, relève-t-elle. Mon approche consiste vraiment à broder à partir du style personnel de chacun. Les trois quarts de mes clients sont des femmes mais pour le reste, il y a un peu de tout, des politiciens aux musiciens. »
Dans sa patientèle, on retrouve par exemple une dame originaire du Moyen-Orient qui vit en Occident et qui peine à concilier ses deux identités ou encore des personnes qui appartiennent à la communauté LGBT… « Dans ma pratique, j’intègre l’aspect mode à mes séances de thérapie, poursuite l’experte.
Récemment encore, j’ai prescrit des vêtements jaunes à une cliente dépressive. Covid aidant, elle n’était pratiquement pas sortie de chez elle depuis des mois et elle portait lors de notre séance sur Zoom un jogging qu’elle n’avait pas enlevé depuis une semaine – le genre de tenue qui est faite pour aggraver encore une humeur morose! Elle a commencé par rejeter ma suggestion parce qu’elle trouvait que le jaune n’allait pas avec son teint… Mais lorsque je l’ai revue quelques semaines plus tard, elle m’a confié que cette couleur optimiste avait vraiment fait son effet. »
Les premières études sur le lien entre la mode et la psychologie remontent déjà au XIXe siècle. Le professeur William James, fondateur du département de psychologie de l’université de Harvard, voyait dans nos tenues une composante essentielle de notre identité matérielle, sociale et spirituelle. C’est toutefois Dawnn Karen qui, en 2010, a fait de la psychologie de la mode un domaine à part entière, qu’elle a même fait breveter.
Si elle a aujourd’hui gagné ses galons, elle s’est initialement surtout heurtée à beaucoup de scepticisme. « J’étais jeune, noire et femme. Personne ne me prenait au sérieux, et certainement pas les dinosaures de l’université, qui balisaient clairement leur pré carré. Pour eux, la mode était un phénomène superficiel qui ne méritait pas que la recherche s’y intéresse… Et comme je ne me soucie pas d’aspects comme les tendances, le secteur de la mode non plus n’était pas très chaud. »
C’est un hasard pas très heureux qui lui a finalement permis de percer… Au cours de ses études, elle arrondissait ses fins de mois en faisant du mannequinat, ce qui lui a ouvert les portes du secteur, mais l’a malheureusement aussi exposée à une agression sexuelle. « Je ne voulais pas en parler et j’ai donc choisi de m’exprimer par le biais de ce que je portais. On avait fait violence à mon corps et, pour reprendre le contrôle, j’ai commencé à porter des tenues ultraglamour dans le style de Diamants sur canapé. C’est ce que j’appelle le « pain dressing ». Ma garde-robe m’a permis de surmonter ce traumatisme et de découvrir la formidable force de la mode. C’est là que tout a commencé », se remémore-t-elle.
Maître de son image
En 2014, Dawnn Karen a lancé son propre institut de formation, la Fashion Psychology Academy. Notre compatriote Marleen Beevers a suivi ses cours en ligne en 2018 et propose aujourd’hui ses services à un public de particuliers, mais aussi d’entreprises qui veulent renforcer leur identité de marque. L’approche de la coach belge est toutefois beaucoup plus instinctive que celle de sa consoeur américaine: « J’ai défini à partir d’une série de tendances psychologiques orientales et occidentales – yoga, feng shui, cognition incarnée… – cinq grands types de personnalité, auxquels j’ai ensuite associé des textures, couleurs et coupes de vêtements. Aux personnes qui ont une personnalité structurée, je recommande plutôt des pièces monochromes en tons gris ou pastel et des matières douces comme le cachemire, la soie ou les tricots délicats, tandis que les gens actifs gagnent à porter des motifs léopard, des couleurs vives et des matières pleines de personnalité comme le cuir. Nous avons tous en nous un peu de chacun des cinq types, mais il y en a toujours un qui domine. S’habiller en conséquence est une manière d’exprimer son identité à travers son look. »
Dawnn Karen souligne que la pandémie a donné un formidable coup d’accélérateur à sa spécialité. A croire que ce n’est que lorsque les obligations et les attentes disparaissent que nous prenons toute la mesure de l’importance de nos vêtements! Ces deux dernières années, nous n’avons guère eu l’occasion de sortir notre plus beau tailleur pour une réunion au sommet ou de nous mettre sur notre trente-et-un pour un mariage et nous nous sommes donc consolés avec des matières douces et confortables. Pourtant, le télétravail en tenue négligée s’est rapidement avéré nettement moins idyllique que prévu, car ce laisser-aller a un effet funeste sur notre productivité et sur notre humeur!
Grâce au coronavirus, nous n’avons plus besoin de nous habiller pour les autres, mais il est devenu en réalité primordial de le faire pour nous-mêmes. Des motivations personnelles – comme l’envie de se sentir bien – ont gagné en importance et nous avons appris à exploiter notre garde-robe pour influencer notre humeur. Serions-nous donc tous devenus un peu psychologues du vêtement? C’est en tout cas l’avis de la professeure Carolyn Mair, spécialiste britannique en psychologie comportementale et fondatrice du tout premier programme de baccalauréat et de master en psychologie de la mode à la University of the Arts de Londres. « Ce que nous portons influence le regard des autres, mais aussi le nôtre, affirme-t-elle dans son ouvrage The Psychology of Fashion. Les vêtements peuvent même être une sorte de prophétie autoréalisatrice: si vous êtes convaincue d’être plus productive en blazer, vous vous sentirez plus efficace… et vous le deviendrez! »
Miroir, mon beau miroir…
Cet automne, au Musée Dr. Guislain à Gand et au musée de la Mode à Anvers, la double exposition Mirror Mirror abordera ce lien entre mode, psychologie, image de soi et identité. Les deux institutions s’intéresseront notamment à la remise en question des idéaux de beauté par les créateurs de mode et les artistes, mais aussi à la protection psychologique ou à la force que peuvent nous apporter nos looks. A une époque où le genre et ses déclinaisons fluides occupent de plus en plus le devant de la scène, elles mettront au centre des préoccupations le vécu personnel du corps. guislain.be et momu.be Du 1er octobre au 26 février 2023.
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