(Re)devenons bavards: comment réapprendre à discuter ensemble
Avec le confinement, nombreux sont ceux qui ont perdu l’habitude de papoter en société. Alors que nous rélargissons peu à peu nos relations, il est temps de retrouver nos langues bien pendues. Les conseils des pros pour mieux se retrouver.
Au cours de notre vie, nous avons tous déjà été amenés à communiquer avec de parfaits inconnus. Qu’il s’agisse d’acheter un pain à la boulangerie, de demander un renseignement en rue ou d’entamer une discussion avec notre voisin de bus ou dans un cocktail, nous ne vivons pas tous cet exercice de la même manière. Si, au fil des ans, la majorité d’entre nous a réussi à vaincre sa peur de l’autre ou sa timidité, d’autres éprouvent toujours des difficultés à s’exprimer et à trouver leur place au cours d’une conservation, aussi plaisante et informelle soit-elle. De fait, nous n’avons pas tous la même facilité en matière de discussions et autres bavardages.
La crise sanitaire n’a, de surcroît, rien arrangé. Pire: elle aurait même mené les individus à se refermer davantage sur eux-mêmes. Florence Gabriel, comédienne de formation, professeure de voix et d’expression orale à l’IHECS et coach dans la pose de voix et de posture du corps, évoque l’importance de vivre des interactions sociales régulières. « Le fait d’avoir été enfermé et d’avoir télétravaillé fait que nous avons beaucoup moins parlé, et la parole c’est quelque chose qui s’expérimente. Ce n’est pas la même chose de participer à une réunion Teams devant son ordinateur que de parler dans une salle de réunion, c’est un exercice complètement différent, développe-t-elle. Le fait d’être isolé fait que nous perdons aussi confiance en notre corps… Quand on ne correspond que par caméras interposées, nous n’avons pas le ressenti exact de la personne en face de nous. Et la communication, cela passe aussi par l’écoute, par le regard, par cette perception de l’autre. Lors d’une vidéoconférence, nous ne sommes pas connectés humainement », déplore-t-elle.
Le fait d’être isolé fait que nous perdons aussi confiance en notre corps…
D’autres experts ont récemment évoqué le Syndrome de la cabane, aussi appelé le Syndrome de l’escargot, soit la peur de sortir de son lieu d’enfermement. Bien qu’il soit jusqu’à ce jour non reconnu en psychiatrie, il semblerait toutefois toucher une part importante de la population. Si une majorité d’entre nous se réjouit des premiers signes de retour à la normale, tels que la réouverture des terrasses et des restaurants, d’autres sont littéralement effrayés à l’idée de se confronter à nouveau au monde extérieur. « De fait, il y a des personnes, plus timides, que ça arrange d’être cachées derrière un écran, seulement ce n’est pas la vraie vie!, s’exclame Florence Gabriel. La communication dans le monde virtuel n’est pas la même et ne sera jamais aussi efficace que dans le monde réel. Le danger c’est que ces gens s’enferment dans un monde qui n’est pas la réalité« , alerte l’experte.
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Prendre plaisir à parler
Alors que nous retrouvons un semblant de normalité, nous sommes par la même occasion de plus en plus amenés à renouer avec le dialogue inopiné. Et c’est donc aujourd’hui que le manque d’entraînement et la peur de replonger dans le brouhaha social va se faire vraiment ressentir.
Pourquoi certaines personnes semblent-elles si à l’aise, même avec de parfaits étrangers?
Pourtant, nous connaissons tous quelqu’un dans notre entourage qui, peu importe l’endroit, prend toujours plaisir à adresser la parole aux inconnus qui croisent sa route. Qu’il s’agisse d’un client, de la caissière ou d’une rencontre imprévue, la conversation se fait avec aisance et légèreté. Et ces individus extravertis semblent ne rien avoir perdu de leur capacité à attirer l’attention des autres malgré l’éloignement, c’est même souvent eux qui tenaient le crachoir lors de vos rencontres Zoom… Mais pourquoi ces personnes semblent-elles si à l’aise, même avec de parfaits étrangers?
D’après Florence Gabriel, « c’est d’abord et avant tout car elles prennent du plaisir à être là et à communiquer. Mais ce comportement n’est pas inné du tout! », s’exclame-t-elle.
Les « small talks », ces petits bavardages pas forcément utiles en soi mais qui font partie des rituels d’attachement et qui réduisent les distances interpersonnelles.
En effet, vaincre sa peur de l’autre et oser dialoguer, ça s’apprend. Cela demande de l’entraînement et parfois même un soutien particulier. Dans son récent livre Vous allez adorer prendre la parole!, Martine Guillaud, comédienne et coach en éloquence, explique que, pour certains, dès l’enfance et l’adolescence, dialoguer s’avère compliqué: « Timides et réservés, inquiets à l’idée de mal faire ou un peu trop sensibles, ils vont choisir de se mettre en retrait, d’observer ce qui se passe autour d’eux et d’écouter, sans oser faire trop de bruit, de peur de déranger. C’est à cette étape de leur développement que des problèmes d’élocution peuvent apparaître, tant le doute s’inscrit déjà dans leur prise de parole: bégaiement, cheveu sur la langue, dyslexie, etc. Parfois, il est indispensable de faire appel à un spécialiste pour remédier à ces troubles. »
- Vous allez adorer prendre la parole!, par Martine Guillaud, Editions Robert Laffont, 216 pages.
Si vous faites partie de la tribu des gens moins loquaces, ou simplement que vous avez un peu perdu la main (ou la langue), voici quelques conseils pour babiller ou disserter à nouveau le coeur léger.
Soigner le non-verbal
Souvent, avant même que vous ne preniez la parole, vos interlocuteurs sont déjà en mesure de dresser une brève esquisse de votre intervention et, par conséquent, de votre personnalité. En effet, votre posture trahit déjà votre envie de communiquer (ou pas). Quelqu’un qui se tient en retrait avec les bras croisés ou qui porte son buste dans la direction opposée à la conversation n’a de toute évidence pas envie d’y participer. Pas nécessairement parce qu’elle ne veut pas, mais parce qu’ elle ne se sent pas suffisamment à l’aise pour le faire. C’est dommage, car ce langage non verbal indique clairement que vous ne vous sentez pas à votre place et, par conséquent, les autres auront tendance à délibérément choisir de vous exclure de leur échange… Une position pas moins inconfortable.
Dans son livre, Martine Guillaud préconise ainsi d’accorder une attention toute particulière à votre posture, « le corps « parle » et donne des informations, il est un indicateur pour la prise de parole, (…) de ce que nous sommes, de ce que l’on veut bien laisser paraître de sa personnalité. A nous d’en prendre conscience, et de décider ce que l’on a envie d’incarner. L’essentiel est de prendre conscience de sa façon de se mouvoir et de savoir ainsi comment elle est perçue par l’autre. (…) Pour cela, rien de mieux que de prendre le temps de réfléchir à ses atouts afin de bien identifier ce qui fonde sa personnalité », écrit l’autrice. En prêtant attention à la posture que vous adoptez et en veillant à vous montrer ouvert au monde extérieur, c’est également le message que vous adressez à vos interlocuteurs. Instantanément, vous devenez plus confiant et vous leur donnez aussi davantage envie de venir vers vous!
Parler avec les yeux
Un regard peut tout changer. Des yeux fuyants ou rivés au sol créeront un état de malaise, mettant rapidement fin à la conversation, alors qu’une oeillade chaleureuse donnera envie de poursuivre l’échange. C’est pourquoi Martine Guillaud conseille de s’appuyer là-dessus pour réapprendre à dialoguer: « Pour retrouver le plaisir de communiquer, même dans une situation stressante comme un entretien d’embauche, pensez toujours à regarder votre interlocuteur dans les yeux, sans insistance et en balayant parfois le paysage de haut en bas et de gauche à droite, afin de reprendre le fil de votre discours. »
Se montrer authentique
Même lors d’un échange tout à fait informel, il peut arriver d’être pris au dépourvu par l’intervention d’un tiers: une question à laquelle nous n’avons pas envie de répondre, un thème que l’on ne maîtrise pas… Ici encore, les plus introvertis d’entre nous, surtout s’ils sont face à un groupe, peuvent rapidement se refermer comme une huître et cesser toute participation à la conversation. Si quelqu’un vous interpelle de manière inopinée ou que vous ne souhaitez pas poursuivre dans la tournure que prend la discussion, surtout ne paniquez pas. L’antidote: parler lentement et marquer des pauses. Cette ponctuation donne un rythme à la conversation et vous permet par la même occasion de s’accorder des moments pour respirer: une astuce pour garder son sang-froid et éviter les « eeeuuuh » intempestifs, qui donnent l’air peu sûr de soi. « C’est important de prendre le temps. Il ne faut jamais se dire « je parle très vite comme ça c’est fini ». Non, au contraire, il faut ralentir et prendre le temps de respirer », conseille Florence Gabriel. Et si vous ne pouvez pas apporter de nouvel élément à la conversation, ne prenez pas le risque de vous ridiculiser en disant des sornettes, mieux vaut reconnaître que l’on n’a rien à dire.
Accepter ses défauts
Plus généralement, rester soi-même est la règle d’or pour trouver sa place dans une conversation. Ceci inclut également vos petits défauts, comme des tics de langage, des gestes parasites ou encore le rougissement intempestif, qui pourrait vous pousser à éviter d’attirer l’attention sur vous. De fait, un grand timide aura tendance à rester en retrait, de peur de laisser transparaître son manque de confiance en lui… Seulement, au plus vous vous concentrez sur ce que vous considérez comme des faiblesses, au plus vous multipliez vos chances de les laisser paraître.
Rester soi-même est la règle d’or pour trouver sa place dans une conversation.
D’après Florence Gabriel, la parade consiste à « s’accepter avec ses fragilités. Plus on va vouloir les camoufler, plus elles vont prendre de la place. Par exemple, je dis souvent à mes étudiants qui ont peur de rougir devant les autres, « vous allez rougir une fois mais après ça va redescendre tout de suite. Tandis que si vous sentez que vous rougissez et que votre corps se referme sur ce rougissement, il va prendre encore plus de place ». Prendre la parole, c’est accepter d’être humain », explique-t-elle.
Communiquer dans l’écoute
Nous en avons tous fait l’expérience lors d’un dîner entre amis ou d’une réunion de famille: il n’y a rien de plus horripilant qu’une personne qui ramène à tout bout de champ la conversation vers elle. Si on en croit ses dires, elle a tout vu et tout vécu! Ne lui jetons pas la pierre pour autant… Car nous avons tous tendance à penser notre réponse alors que notre interlocuteur n’est pas encore parvenu au bout de sa phrase. « C’est très culturel en Europe, explique Florence Gabriel. Pourtant, la communication, ce n’est pas se demander à quel moment on intervient, mais c’est d’écouter ce qui se dit sans vouloir spécialement répondre. Nous ne sommes pas obligés de remplir l’espace en utilisant notre voix et notre corps. On peut discuter dans l’écoute, et c’est aussi un dialogue. Je pense même que c’est plus important que de prendre à tout prix la parole », conclut-elle.
Parler de la pluie et du beau temps
« Tu pars en vacances? », « Et alors, déjà vacciné? », « Il fait beau aujourd’hui »… Nous n’avons pas eu beaucoup d’occasions de papoter ainsi de futilités ces derniers mois avec grand monde. Pour reprendre pied dans cette vie à l’unisson et sortir, au propre comme au figuré, de sa bulle, il sera donc probablement nécessaire de réapprendre à placer ces petites phrases sans importance pour (re)briser la glace et (re)trouver le chemin du dialogue. C’est ce que l’ethnologue Bronislaw Malinowski (1884-1942) a appelé dans ses travaux les « small talks »: de petits bavardages pas forcément utiles en soi mais qui font partie des rituels d’attachement et qui réduisent les distances interpersonnelles. Ces blablas sans conséquence permettent aussi la prise de contact avant d’aborder d’autres sujets plus importants, et d’évaluer l’humeur, la prédisposition de la personne face à soi. Ou de conclure plus doucement une rencontre, en ne se limitant pas au strict minimum… Enfin, ces papotes remplissent également les silences qui, dans de nombreuses cultures, semblent inconfortables ou gênants…
Comment on s’y prend? Chercher des points communs avec l’individu face à soi, prévoir à l’avance quelques sujets de causette, miser sur des thématiques optimistes pour ne pas tout de suite plomber l’ambiance et susciter la polémique, garder le sourire en lançant sa petite phrase, être attentif aux réactions pour rebondir intelligemment… Prêts? Parlez!
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