Autrefois, l’heure du coucher signifiait : enfiler son pyjama, poser la tête sur l’oreiller et, peut-être, lire un peu. Aujourd’hui, elle ressemble de plus en plus souvent au décor d’un film de science-fiction : masques LED lumineux, bonnets de nuit en soie ajustés, rubans adhésifs qui maintiennent la peau sous tension stratégique. Dormir n’est plus simplement se reposer, mais une occasion d’optimiser. Est-ce vraiment utile ?
Le masque viral de la marque Skims de Kim Kardashian, une bande élastique censée raffermir le visage, a récemment suscité pas mal de sourcils froncés. Mais pour ceux qui suivent un peu la tendance du sleepmaxxing, ce gadget n’était pourtant pas si étonnant. Le principe est simple: nous passons un tiers de notre vie à dormir, alors pourquoi ne pas utiliser ces heures pour paraître plus beaux? Le résultat: le lancement de toute une panoplie de gadgets et autres produits qui affirment optimiser l’apparence… pendant le sommeil.
Les nouveautés se répartissent globalement en deux catégories. D’un côté, les améliorateurs de sommeil: lampes à lumière rouge censées stimuler à la fois le rythme circadien et la peau, brumes à la lavande ou à la mélatonine, ou encore literie thermorégulatrice. De l’autre, la gamme « beauté au réveil »: masques en soie, sérums de nuit, patches censés atténuer les rides. Mais qu’est-ce qui fonctionne vraiment, et qu’est-ce qui relève du pur battage médiatique?
Le marché lucratif du beauty sleep
L’idée que le sommeil embellit n’a rien de neuf.
Au XIXe siècle déjà, les poètes l’élevaient au rang d’idéal romantique, et dès le Moyen Âge, les proverbes associaient déjà repos nocturne et guérison. La science confirme aujourd’hui que ces intuitions étaient justes: dormir est crucial pour le corps comme pour l’esprit.
« C’est important pour presque tout ce qu’on peut imaginer », explique Maarten Van Den Bossche, psychiatre-psychothérapeute spécialisé dans les troubles du sommeil et de l’éveil. « Un mauvais sommeil ne se ressent pas seulement sur la concentration ou l’humeur, mais aussi sur la faim, le poids, les processus inflammatoires, l’immunité, la santé cardiovasculaire et… la peau ».
Pas étonnant, donc, que les produits et gadgets liés au sommeil représentent aujourd’hui un marché florissant. « Dix à vingt pour cent de la population ont naturellement un sommeil fragile », détaille-t-elle. « Et beaucoup grignotent aussi sur leurs heures de repos ou cultivent des habitudes qui nuisent au sommeil. L’idée que le sommeil soit adaptatif devient alors très séduisante ».
Un sommeil sain pour un corps sain
Si dormir nous rend plus sains, pourquoi ces heures ne serviraient-elles pas aussi à améliorer notre apparence? C’est ce raisonnement qui, ces derniers mois, alimente une nouvelle vague de produits: taies et bonnets en soie, rubans adhésifs pour le visage ou encore le fameux face mask de Skims. Non pas pour mieux dormir, mais pour traiter rides et contours dès la nuit tombée. Mais la dermatologue Dr. Griet Voet (Clinique Dermatologie Gent) émet toutefois des réserves.
« Le face taping prétend prévenir les rides en tirant la peau et en relaxant les muscles. Mais une fois le ruban retiré, les muscles bougent à nouveau et les rides reviennent. En outre, répéter cela nuit après nuit peut provoquer irritations et rougeurs »
avertit-elle.
Et en ce qui concerne la soie, « les taies en soie sont plus douces et plus lisses que le coton ou le lin, ce qui réduit la casse des cheveux. Mais pour la peau, la différence est minime. On ne prévient pas les rides de cette manière. Au final, la qualité de votre sommeil est bien plus importante que la matière de votre taie d’oreiller ».
La peau se régénère la nuit
Reste que les soins cosmétiques surfent également sur ce rythme nocturne. « Beaucoup de processus de réparation suivent le rythme circadien, avec des pics la nuit », explique-t-elle. La peau aussi: le jour, elle se défend contre soleil et pollution ; la nuit, elle se concentre sur la régénération. « Pendant le sommeil, le renouvellement cellulaire et la réparation de l’ADN s’intensifient », ajoute le Dr. Voet. « Dormez trop peu, et la production d’acide hyaluronique chute, donnant à la peau un aspect plus terne et plus âgé ».
La marque belge Likami mise explicitement sur ces bases scientifiques. Les fondateurs Marianne Priem et Lieven Dejonckheere expliquent: « Avec nos backgrounds en bio-ingénierie, nutrition et diététique, chaque produit repose sur des faits.
Le sommeil n’est pas une mode, c’est une clé fondamentale du soin de la peau. Le manque de sommeil augmente le cortisol, réduit collagène et acide hyaluronique, et peut favoriser l’acné.
C’est pourquoi nous proposons des produits qui améliorent le sommeil et soutiennent la peau ».
Leur gamme l’illustre: une brume Sleep Well Mist à la lavande et à l’huile de vétiver pour instaurer un rituel apaisant ; une Good Night Renewal Cream aux céramides, acides gras et rétinol pour stimuler le renouvellement cutané ; un Recharge Sleep Mask aux AHA et à la niacinamide pour exfolier et apaiser ; ou encore un Lume+ LED Mask, exploitant la lumière rouge, technologie reconnue pour ses bienfaits sur les cellules de la peau et, selon des premières études, sur la qualité du sommeil.
Une base scientifique
Que Likami profite de la tendance ne signifie pas qu’il adopte toutes les modes. « Nous gardons toujours une approche scientifique », insiste Marianne. « Prenez le face taping, censé effacer les rides: pour nous, c’est davantage du marketing qu’un produit efficace. De même, trop de rétinol peut endommager la peau. Transparence et étiquetage clair sont essentiels pour éviter attentes irréalistes et mauvais usages ».
Le Dr. Voet abonde: « Si cela paraît trop beau pour être vrai, c’est souvent le cas. Courir derrière chaque nouveauté coûte cher et déçoit.
Certaines tendances peuvent même être nocives. Il n’existe aucune étude prouvant que rubans ou masques de nuit atténuent les rides.
Pour une vraie prévention, mieux vaut discuter avec un médecin d’un traitement au rétinol sur ordonnance ».
Trouver le bon rythme (de sommeil)
« Le beauty sleep commence par un rythme sain », affirme Van Den Bossche. Ses conseils: se coucher et se lever à heures régulières ; garder une chambre fraîche (16 à 20 °C), calme et sombre ; prendre du temps pour se détendre avant de dormir ; éviter alcool et caféine en soirée ; veiller à ne pas se coucher l’estomac trop vide ou trop plein. « Même de petits ajustements peuvent avoir un grand impact ».
Selon lui, notre cycle veille-sommeil fonctionne comme un interrupteur. « On est éveillé ou endormi. Pour basculer, le corps doit ralentir: baisse du rythme cardiaque et de la température, activité cérébrale qui diminue. Tout ce qui favorise cette transition — détente, rituels calmes — est bénéfique ».
Un rituel beauté nocturne peut donc s’y intégrer, tant qu’il favorise la relaxation. « Mais tout ce qui stimule au lieu de calmer est contre-productif. La détente dépend de chacun: lecture, méditation… Il n’y a pas de recette universelle. L’essentiel est de trouver ce qui marche pour soi et de le pratiquer, plutôt que de chercher une technique miracle ».
Et dans les faits?
Un teint lisse, moins de rides, une lueur matinale qu’aucun highlighter n’égale: la promesse du beauty sleep, ou « sommeil de beauté » si on doit le traduire, est irrésistible. Surtout pour moi, qui me réveille d’ordinaire avec une chevelure de Méduse et un visage bouffi. J’ai donc décidé de tester deux semaines durant. Pas avec les rituels extrêmes où l’on arrache quinze masques au petit matin (morning sheds), mais avec des gestes simples, réalisables.
Le protocole viral suggère: nettoyage, dix minutes de lumière rouge, sérums et huiles spécifiques à la nuit, plus taie en soie, masque de nuit, sérum capillaire, voire ruban adhésif frontal. J’ai choisi une version plus pragmatique. Exit le masque Skims, les gants hydratants, les masques occlusifs ou encore la lubie de mettre de l’huile de ricin dans son nombril.
Premier soir, premier succès: le masque LED Lume+ de Likami. Futuriste, presque sci-fi, rebaptisé chez moi « casque de Dark Vador ». La lumière rouge, étonnamment apaisante, m’a offert dix minutes de calme absolu, et mon rituel du soir est devenu une parenthèse pour moi. Les soins visage? Prévisibles mais efficaces: crèmes aux huiles essentielles et au rétinol, parfaites de nuit. Un sérum capillaire Kérastase a laissé mes cheveux doux et parfumés. Le ruban adhésif, en revanche, est un fiasco complet, digne d’un bricolage raté.
Autres découvertes: la taie en soie et le masque de nuit, doux et frais, associés à une brume au vétiver, ont transformé ma chambre en boutique hotel. Le masque finissait par terre au réveil, le tape aussi, mais la taie rendait mes matins plus agréables.
Au fil des jours, certains éléments ont disparu: le masque de nuit a été subtilisé par mon compagnon, le tape, relégué au tiroir. Restent le masque LED, les soins et la brume, que j’associe désormais inconsciemment au sommeil.
Est-ce que je dors mieux ou parais plus belle? Impossible à dire. Mais j’ai découvert ceci: plutôt que de scroller sans fin, j’ai instauré un rituel qui me prépare à la détente. Faut-il soie, sérums ou gadgets futuristes pour ça? Probablement pas. Mais rendent-ils l’heure du coucher plus douce? Absolument. Peut-être que la vraie magie du beauty sleep réside moins dans une méthode miracle que dans cette transition consciente entre jour et nuit, un moment que l’on s’offre à soi-même.