Témoignage | « Je peux avoir 100 TOC par jour. Il m’est arrivé de rester des soirées entières, obsédé par le fait d’éteindre et rallumer la lumière »

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© Getty images

En juin dernier, le Vif publiaient un dossier consacré aux troubles obsessionnels compulsifs (TOC), révélant que ceux-ci affectent environ 2 % de la population adulte. Mathis, un jeune français de 20 ans, s’est confié en toute transparence sur ces troubles dont il souffre depuis près de 10 ans.

Souvent mal compris et source de honte pour ceux qui en souffrent, les TOC peuvent rendre le quotidien particulièrement difficile. Mathis a grandi avec ces troubles, aujourd’hui, il entrevoit enfin le bout du tunnel. Il espère que son témoignage pourra aider d’autres personnes à comprendre et se libérer de leurs troubles.

L’enfance

« Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été un enfant angoissé, je tiens ça de ma maman malheureusement. Dès mes 6 ans je crois, je me mets à avoir des peurs obsessionnelles. Ce sont surtout des peurs liées aux maladies, mentales ou physiques, j’ai peur d’avoir un cancer ou le tétanos par exemple. J’ai aussi peur du noir, des araignées… Des angoisses qui peuvent paraître assez banales pour un enfant, mais chez moi, c’est poussé à l’extrême, envahissant. Je fais des terreurs nocturnes. En pleine nuit, je crie, je parle, quelquefois je me lève aussi. Mes parents vont décider de m’emmener voir une psychologue, il me semble vers à l’âge de 8 ans, et à l’époque, j’ai des prémices de TOC, mais ce n’est pas encore vraiment installé. Ce sont plutôt des rituels qui me rassurent.

J’entame donc cette thérapie avec une psychologue classique. On fait des exercices pour guérir mes peurs ainsi que de l’EMDR (désensibilisation et reprogrammation par des mouvements oculaires, Ndlr), ça m’aide à surmonter mes angoisses.

Mais, en parallèle, je vis quelque chose de traumatique dont je ne parle à personne. Pendant un an environ, je suis abusé sexuellement par mon voisin. Il a trois ans de plus que moi et quand tu as entre huit et dix ans, trois ans c’est beaucoup. Il me disait de ne surtout pas en parler, il était assez manipulateur et donc je ne disais rien à personne. Sauf que ma psychologue commence à voir que j’ai un blocage par rapport à certaines peurs dont je n’arrive pas à me libérer. Elle me dit qu’elle ne comprend pas, que ce n’est pas normal. Donc, au bout d’un an je craque et je décide de tout dévoiler. J’en parle à ma maman, et le fait d’en parler me débloque, me libère.

Paradoxalement, on rentre aussi dans une procédure judiciaire longue et douloureuse pour toute ma famille, on vit beaucoup de stress et je développe mes premiers « vrais » TOC. »

En silence

« Ces troubles obsessionnels compulsifs s’intensifient sans que je ne m’en rende compte, ni personne autour de moi. Et, côté suivi, on arrive à la fin de la thérapie avec ma psychologue. Je dois avoir 13 ans, ça fait peut-être quatre ou cinq ans qu’elle me suit. Globalement, je n’ai plus d’angoisses obsessionnelles comme avant. Mais je pense, après coup, que ces angoisses qui étaient là quand j’étais petit se sont transformées en TOC. En fait, la peur a toujours été là et est toujours là, mais sous une autre forme.

« Les TOC se multiplient très vite et c’est l’enfer. Dès que tu commences à sentir que tu en as, il faut s’en débarrasser. »

Ça a commencé avec des petits TOC, ce qu’on appelle des TOC de symétrie. Ça veut dire que, avant de me coucher, j’aimais bien que tout soit parallèle, bien rangé, qu’il n’y ait pas un truc qui dépasse. J’ai aussi développé des TOC de vérification, c’est-à-dire que je regardais s’il n’y avait personne derrière la porte, ou sous mon lit. Et ça, je pouvais le faire 20 fois alors que j’avais vu 19 fois qu’il n’y avait personne.

A cette période j’entre au secondaire et, fort heureusement, mes troubles n’ont jamais impacté ma vie sociale. Je ne me suis pas fait harceler, j’avais des amis. Ça se manifestait surtout à la maison, le soir. J’ai toujours détesté le moment du soir.

Mais je n’en parle pas, parce que je ne comprends pas forcément tout de suite ce qui m’arrive, et mes petites manies sont faciles à dissimuler. Ce sont des rituels que tu répètes, mais quand tes parents sont en bas, regardent la télé, que tu es à l’étage et que tu remets la porte, même vingt fois, ça ne fait pas trop de bruit. Je ne le sais pas encore, mais les TOC se multiplient très vite et c’est l’enfer. Donc dès que tu commences à sentir que tu en as, il faut s’en débarrasser.

Mes parents finissent quand même par remarquer mes obsessions, mais sans se rendre compte, encore, de l’ampleur que c’est en train de prendre. Mes TOC finissent par simplement faire partie de mon quotidien. A 14 ans, je décide de quitter le cursus scolaire classique pour faire un CAP menuiserie. Ce choix implique énormément de changements, je change d’école, je me retrouve dans le milieu professionnel et tout ça, c’est très brutal pour moi. Je n’ai plus de constantes, plus de repères, mon quotidien est bousculé et donc mes rituels aussi. En conséquence, pendant cette période, sont apparus mes TOC de superstition: “Si je ne fais pas ça, il va se passer ça”.

Chagrin d’amour et choc émotionnel

« Le mois de décembre qui suit ce changement de vie, je vis mon premier chagrin d’amour qui m’affecté énormément et va déclencher un mois plus tard, une dissociation. Il existe deux types de dissociation: la dépersonnalisation et la déréalisation. La dépersonnalisation, ça se passe généralement pendant le traumatisme ou le choc émotionnel. C’est une expérience de détachement de son propre corps ou de son fonctionnement mental, tu as l’impression d’être un observateur extérieur de ton existence et de ton corps.

« C’est un cercle vicieux: tu as une peur, et pour la calmer, tu vas faire un rituel pour la surmonter »

Mais moi, ce que je vis, c’est une dissociation de type déréalisation. C’est-à-dire que tu te déconnectes de ta réalité et tout te paraît trop bizarre. La vie te paraît bizarre, les lieux que tu connais et que tu fréquentes tout le temps, tes habitudes, tes repères… C’est comme une nouvelle perception de ta vie. Et ça peut arriver, du coup, dans des états de stress, de fatigue, de peine intense.

On est en pleine période covid, on vit toujours des choses compliquées à cause des parents de mon agresseur qui vivent toujours à côté de chez nous, même si ça fait plusieurs années que le procès est passé. La marmite est en train de déborder, et ce chagrin d’amour vient déclencher cette dissociation. A l’époque je n’ai aucune idée de ce qui m’arrive, je ne sais pas comment en parler donc je vis le truc tout seul, pendant presque trois mois.

Pourquoi je parle de cette dissociation? Parce que les TOC sont toujours là, auxquels est venue s’ajouter la peur de revivre ce que je viens de vivre, et ça vient alimenter les TOC. C’est un cercle vicieux: tu as une peur, ou une pensée obsédante (dans mon cas ce sont des peurs), et pour la calmer, tu vas faire un rituel pour la surmonter. Par exemple, tu as peur que ta mère décède. Ça, c’est ta peur. Ensuite, ton cerveau, la seule chose qu’il trouve à faire pour la calmer, c’est une compulsion qui va « annuler » la peur. Ce geste précis que tu vas répéter plusieurs fois, ça va annuler le fait que ta mère va mourir. Je vulgarise, mais c’est ça, un TOC. C’est: j’ai peur que ma mère meure, j’ai peur de m’engueuler avec mon patron, j’ai peur de ceci, j’ai peur de cela, et la réponse, ça va être d’éteindre la lumière et la rallumer 20 fois d’affilée. Ce sont des peurs, généralement, complétement irrationnelles. Elles n’ont pas toujours de sens, de fondement. »

Besoin de stabilité

« Après mon CAP, il faut que je continue mes études et que je parte vivre loin de chez mes parents. Alerte rouge pour moi et mes TOC. Parce que mes TOC, ils ont besoin de repères. C’est comme ça que j’arrive à les neutraliser et à les gérer, grâce à des constantes. Le moindre changement dans ma vie – mettons que je change de coque de téléphone ou de fond d’écran – me perturbe. J’aime avoir des repères.

Mon départ est très angoissant pour moi. D’un autre côté, ça fait un moment que j’ai mes TOC et j’arrive à un stade où je les connais presque par cœur, donc je sais comment fonctionne le mécanisme. Ils sont très présents et violents, mais j’arrive à les arrêter plus facilement.

Aussi, j’ai appris avec le temps à me créer des repères beaucoup plus vite. Et en plus, je me lance dans des études d’ébéniste, un métier qui me passionne. C’est alors ce qui me sauve parce que pour la première fois j’ai le sentiment de m’être trouvé.

« Les périodes où tu vis des choses importantes, qui te stressent, forcément, ça empire les TOC, et sur une phase de deux heures, tu peux en avoir 150, c’est énorme. »

80% de mes TOC depuis cette période sont des TOC de superstition. Je peux en avoir jusqu’à 50, 100 par jour… Je ne compte plus. Ça paraît beaucoup, mais ça va vite. 24 heures, c’est long! Parfois, j’arrive à les gérer. Je me répète beaucoup de phrases rassurantes et positives, des choses que ma mère me disait pour me rassurer. Mais d’autres fois, ça ne fonctionne pas, et il m’arrive de rester des soirées entières, obsédé par la lumière par exemple. Tu allumes, tu éteins, tu regardes 10 minutes de film et ça te reste dans la tête. Tu ne passes pas un bon moment, tu ne penses qu’à cette lumière. Tu te relèves, tu rappuies sur l’interrupteur, et ça dure jusqu’au coucher. Les périodes de vie avec des événements importants, stressants, empirent les TOC, et sur une phase de deux heures, je peux en avoir 150, c’est énorme.

Mais quelque part, malgré le fait que ça puisse être lourd au quotidien, ça m’a aussi un peu aidé dans un sens. Ça m’a rendu perfectionniste et c’est une vraie qualité dans mon travail. Je suis obsédé par l’idée de faire les choses parfaitement. Ça m’a rendu maniaque aussi, mon appart, encore aujourd’hui, est toujours impeccable.

« Je ne savais pas si j’avais envie d’arrêter mes TOC, parce que j’avais que ça me retire une partie de moi-même. C’est aussi, ça qui fait que je suis Mathis »

« Mes parents ont vraiment pris conscience de l’ampleur des compulsions vers mes 19 ans. Quand je vais les voir, j’ai plus de mal à les cacher, et aussi je commence à en parler un peu plus ouvertement. Mais j’ai eu du mal à me décider à aller voir un spécialiste. Ce qui est très complexe avec mes TOC, c’est que ça fait partie de moi, et j’arrive à être heureux avec. Et au plus profond de moi, je ne savais pas si j’avais envie d’arrêter mes TOC, parce que j’avais peur que ça me retire une partie de moi-même. C’est aussi, justement, ce qui fait que je suis Mathis. Ça fait tellement partie de ma vie! C’est comme quelqu’un qui arrête de fumer, il se sent seul, en manque.

On voit les TOC comme quelque chose de négatif, mais dans la tête de quelqu’un qui en a, ça le rassure, ça l’apaise. C’est presque… des amis. C’est en tout cas comme ça que je les voyais avant. C’est pour ça qu’il faut être prêt à suivre une thérapie et surtout trouver la bonne thérapie. J’ai suivi beaucoup d’hypnothérapies mais ça ne m’a jamais soigné en profondeur. Quand on “guérissait” un TOC, ça en débloquait un nouveau. Par exemple, des TOC corporels, comme de bouger les oreilles ou de bouger un peu ma tête. Ce sont des choses qui ne m’handicapent pas, mais que j’ai encore actuellement et que je fais souvent. »

La thérapie cognitive-comportementale

« Je pense que ce qui est important quand tu vis ce genre de troubles, c’est d’en parler, ne pas avoir honte et d’être bien entouré. Ma copine est très bienveillante, elle me dit des phrases qui m’aident, qui sont rassurantes. Et du coup en juin dernier, j’ai pris la décision d’aller voir une psychologue spécialisée dans les troubles obsessionnels compulsif.

Je commence enfin une thérapie cognitive-comportementale (TCC). C’est ça que j’aurais dû faire depuis le début! Lors de la première séance, la psychologue m’explique ce qu’est un TOC, comment ça fonctionne. De mon côté, je raconte absolument tout. Mon passé, mes TOC, mes traumatismes… Je remplis un questionnaire pour déterminer la nature de mes TOC, de supersition, etc. Ensuite on va mettre des choses en place. Le but de la TCC, c’est de te confronter à ton TOC et d’aller à l’encontre de la compulsion. Ainsi, quand tu as une peur, au lieu de déclencher une obsession pour te soulager, tu résistes, tu combats et tu apprends à face à ta peur.

Comment se passe concrètement la thérapie? Je n’ai eu que trois séances avec elle pour l’instant. Mais en gros, c’est très mécanique, c’est comme si tu avais une recette, et que tu devais traiter les TOC en suivant cette recette. Ce n’est pas comme d’autres thérapies où chaque cas est différent. Là, bien évidemment que chaque patient est singulier, mais les TOC eux, se soignent toujours à peu près pareil.

« Le but de la thérapie cognitive et comportementale, c’est de faire face à ton TOC et d’aller à l’encontre de la compulsion. […] Tu résistes, tu combats et tu fais face à ta peur. »

On peut imaginer ça comme une courbe, au début ça va être très intense donc la courbe va être très haute, la peur très présente, mais avec le temps, tu t’habitues, et la courbe va baisser progressivement. Donc, c’est très dur au début. Tu passes des mauvais moments, des heures difficiles, mais petit à petit ça va mieux.

Mon premier exercice, c’est d’écrire dès l’apparition d’un TOC. Je dois noter l’heure, l’obsession, la compulsion, tout. Ce qui me permet de visualiser avec du recul mes peurs et mes compulsions et elle de savoir l’occurrence et la récurrence des TOC, et donc de travailler plus efficacement. Ma psychologue m’a aussi conseillé un livre qui s’appelle TOC : Vivre avec et s’en libérer, co-écrit par l’association Française AFTOC et les docteurs Elie Hantouche et Vincent Trybou.

Comme je l’ai dit je ne suis qu’au début de la thérapie, donc je n’ai pas encore eu l’occasion de rentrer vraiment dans d’autres exercices, mais je sens que j’ai déjà moitié moins de TOC. Le travail commence en en parlant, en faisant ce premier pas, et le fait d’en parler, de comprendre, c’est déjà faire la moitié du chemin. »

Lire le dossier du Vif :

Sommes-nous tous victimes de nos obsessions? Ce que les TOC disent de nous (1/2)
Vérifier, compter, laver: les pistes pour se débarrasser de ses TOC (2/2)

Si vous souffrez de troubles obsessionnels compulsifs, vous pouvez contacter le Réseau TOC Belgique, un réseau de soutien, de compréhension et de guérison.

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